Il a remonté un short-stack en inventant des coups de poker d'avant-garde, il a bossé très dur pour se faire une place sur l'une des plus belles finales de l'année : Mustapha Kanit se qualifie pour la dernière table du Super Main Event des WSOP Paradise avec le troisième plus gros tapis, aux côtés de son amie Liv Boeree et de deux géants du poker : Justin Bonomo et Michael Addamo. Jeudi, le membre du Team Winamax tentera d'enfoncer le clou en remportant son premier bracelet, et le plus gros gain de sa carrière.

L'accession de Mustapha Kanit en finale du Super Main Event des WSOP Paradise est un évènement exceptionnel. En écrivant cela, on ne fait pas référence au prestige du tournoi, ni à son argument de vente initial – cette fameuse dotation garantie de 50 millions de dollars dont tout le monde parlait depuis six mois. On ne parle pas non plus des six millions de dollars réservés à la première place, qui font que Muss va peut-être battre son record de gains jeudi soir.

Non, ce qui rend cette performance hors normes, c'est qu'elle n'a pas été facile du tout. Longtemps, le destin de l'Italien est resté incertain. Et cette table finale qu'il va jouer demain, elle n'a certainement pas été offerte sur un plateau à notre Team Pro.

Mustapha a dû se battre comme un forcené pour remonter un stack initial faiblard au possible, douze blindes à peine. Les jetons, il a dû aller les chercher lui-même, au forceps, sans l'aide de coups joués d'avance, du genre deux As contre deux Rois ou des brelans floppés. Par deux fois, il a puisé dans ses réserves pour trouver le courage de faire des hero calls dangereux à l'extrême. À plusieurs reprises, il s'est montré d'une suprême agressivité pour forcer ses adversaires à abandonner le meilleur jeu. À ceux qui essayaient de l'attaquer, il leur répondait en y allant deux fois plus fort... avec ce message subliminal : regarde-moi, je vais te montrer comment on joue vraiment agro.

"J'en ai envoyé quelques-uns à l'asile aujourd'hui"

La journée est restée stressante jusqu'à la toute dernière seconde. Très peu de temps après avoir accédé aux hauteurs du chip-count, Mustapha a dégringolé aussi sec, faisant d'abord doubler Chris Moneymaker (ouverture au bouton avec Q5, l'Américain fait tapis avec QJ, Mustapha est commit, il doit payer, et perd le coup) puis le Biélorusse Vadzim Lipauka (plus standard : un As-10 qui ne tient pas contre QJ). Tombé à six blindes aux portes de la finale, Mustapha trouvera un peu d'oxygène avec deux Dames tenant le coup face au As-Roi de Liv Boeree. Mais c'est sonné qu'il allait partir en pause peu après 20 heures, avec tout juste onze blindes.

On craignait le pire. On flippait en imaginant une élimination sur la toute dernière marche. En fait, on se faisait du souci pour rien. Un Mustapha Kanit dans les cordes n'est pas un Mustapha Kanit KO.

La partie reprend : Musta vole les blindes, personne ne bronche. Puis rebelote, nouvelle relance, pour titiller Ren Lin, de loin son adversaire le plus agressif (plus tôt, on l'avait vu forcer Liv Boeree à abandonner une paire de 10 avec un 4-bet all-in préflop : il n'avait que As-8 de pique en main.) Le piège fonctionne : Lin 3-bet à tapis avec Roi-Valet. Mustapha le cueille avec As-Dame, évite les balles sur le board, laisse échapper un "Let's go!" rageur, les yeux fixés sur son adversaire tout en encaissant le pot de 100 millions.

Main suivante : Mustapha à la relance, encore, presque avec un sourire gourmand sur les lèvres. Et 3-bet all-in de Ren Lin, encore. Sauf que cette fois, le chasseur est devenu la proie : le Chinois est désormais couvert, et son Q10 doit s'améliorer face à AK. Board Valet-8-2-Roi-7 : game over pour Ren Lin, la finale est prête, et Mustapha Kanit s'y est taillé une place de choix en un temps record, avec en sa possession le troisième plus gros tapis. Réaction à chaud du héros dans la boucle Whatsapp du Team Winamax : "Je pense que j'en ai envoyé quelques-uns à l'asile !"

Cerise sur le gâteau : Mustapha partage cette perf' avec une vieille amie du circuit, la championne EPT Liv Boeree

Au micro des couvreurs Winamax, Mustapha développe un peu. "Ça fait du bien, car la plupart du temps, j'ai eu raison. J'étais dans la zone, j'ai réussi à jouer les joueurs. C'est une expérience unique, de se retrouver à la fin d'un tournoi de ce genre avec un petit stack. On se retrouve à devoir résoudre plein de problèmes qui ne se posent pas d'habitude. Dans ce genre de situation, je suis capable du meilleur. Je suis content de moi, car je pense avoir fait des trucs vraiment cool. Dès le début de la journée, j'ai réussi à mettre la pression, à envoyer des 3-bets, des hero calls, même avec 20 blindes. C'est une vraie bonne journée, car c'est dur de jouer avec 10 ou 11 blindes, et pourtant j'ai quand même réussi à faire les choses bien."

La méthode de Mustapha ? Un mélange savant de feeling et de théorie... dont il sait dévier au bon moment. "Je fais confiance à mes instincts, mais ce n'est pas juste du feeling. Souvent, je repère quelque chose qui ne va pas, je capte que le mec joue le coup un poil différemment. Dans ces situations, j'arrive à faire ressentir la pression aux autres. Ils savent que je n'ai pas de tells, alors que eux, parfois ils en ont."

C'est avec bonheur que l'on a regardé Mustapha exploser de joie après son double-up crucial contre Ren Lin... "On ressent toujours des émotions dans ces moments. C'est important de les accepter, de les laisser s'exprimer. Et puis, il était très agressif, il fallait lui montrer qu'il n'était pas le seul à pouvoir l'être."

Ce que Mustapha nous a appris aujourd'hui, c'est peut-être que la peu enviable condition de short-stack peut être apprivoisée si l'on s'en donne les moyens. "Dans les tournois, même avec 10 blindes, on peut encore faire beaucoup de choses. En fin de partie, le stack moyen est très bas, donc ça peut aller vite. L'important, c'est de ne pas rester bloqué, et de rester dans le moment présent, attentif. Je l'ai appris il y a longtemps." Faisant avancer son raisonnement de trois cases, Mustapha ajoute qu'on peut "pleurer, se lamenter sur sa malchance, mais en vérité, on est tous très chanceux de faire un métier où on gagne sa vie en jouant !"

Une finale à la hauteur de l'évènement

Liv Boeree, Justin Bonomo, Mustapha Kanit sur la même table ? Un ancien fan de poker qui passerait par là après avoir laissé tomber le jeu pendant dix ans ne trouverait rien à redire devant la finale de ce Super Main Event, qui peut se targuer d'accueillir, dans l'ordre : une championne EPT à la retraite n'ayant rien perdu de son charisme ; le numéro 2 actuel de la All-Time Money List ; et l'un des pros les plus appréciés du circuit, une bête de scène toujours en quête de son premier bracelet WSOP.

Fort d'un CV en béton (4 bracelets, 23 millions sur Hendon Mob, des titres High Rollers à la pelle) et d'un tapis en titane, Michael Addamo entamera la partie en position d'évident favori. Les autres, on les connaît moins... pour le moment ! Tous auront leur mot à dire en finale, malgré des palmarès bien moins fournis. Le Chinois Yinan Zhou avait atteint la 28ᵉ place de cette épreuve il y a un an : ce sera sa première finale WSOP. Même topo pour le Brésilien Marcelo Aziz, et les Allemands Christopher Nguyen et Georg Lehmann.

Siège	Nom	Stack
1	Liv Boeree (UK)	111,4 m. (37 BB)
2	Marcelo Aziz (Brésil)	105,5 m. (35 BB)
3	Mustapha Kanit (Italie, Team Winamax)	141,2 m. (47 BB)
4	Vadzim Lipauka (Biélorussie)	66,3 m. (22 BB)
5	Justin Bonomo (USA)	63,4 m. (21 BB)
6	Michael Addamo (Australie)	196,8 m. (66 BB)
7	Georg Lehmann (Allemagne)	48,4 m. (16 BB)
8	Yinan Zhou (Chine)	88 m. (29 BB)
9	Christopher Nguyen (Allemagne)	143,1 m. (48 BB)

Les prix

La finale n'est pas gagnée d'avance pour Michael Addamo. Mais avec ses 66 blindes et un statut de terreur des high rollers, c'est bien lui qui a le plus à perdre jeudi !

Rang	Prix
Vainqueur	6 000 000 $
2e	4 600 000 $
3e	3 600 000 $
4e	2 800 000 $
5e	2 100 000 $
6e	1 650 000 $
7e	1 300 000 $
8e	1 000 000 $
9e	750 000 $

Sept ans que la retraitée Liv Boeree n'avait pas disputé de finale majeure. Et encore, c'était sur un tournoi gadget, le "Tag Team" des WSOP, remporté en tandem avec son mari Igor Kurganov. On lui demande comment les émotions du jour tiennent la comparaison avec celles de sa plus belle finale, celle de l'EPT San Remo, remportée en 2010. "C'est encore mieux ! J'ai envie de pleurer !"

Soutien indéfectible à la cause palestinienne, Justin Bonomo devra retirer son keffieh sur le plateau télévisé, sur ordre des organisateurs. Une décision que les WSOP justifient par les contrats de diffusion de la table finale, qui interdit aux joueurs de porter des symboles ouvertement politiques.

La finale du Super Main Event des WSOP Paradise débutera jeudi à midi, heure locale (18 heures en France). À suivre en stream sur la chaîne YouTube officielle des WSOP (avec le décalage de rigueur), et bien sûr ici même, en textes et en photos. Soyez nombreux pour soutenir Mustapha !

Benjo

Chris Moneymaker éliminé en dixième place (500 000 $)
Super Main Event 26 000 $ (Day 4)

Il restera comme la grande victime d'une fin de journée à rebondissements, durant laquelle il est passé par tous les états, dangereux puis en danger, doublant avant de faire doubler ses adversaires, short-stack puis gros stack puis encore short-stack : 21 ans après son improbable et mémorable victoire sur le Main Event des WSOP 2003, Chris Moneymaker manque d'une marche la finale du Super Main Event des WSOP Paradise.

Après avoir perdu un 60/40 à 67 millions contre Liv Boeree (AJ contre QJ), l'Américain s'était retrouvé avec dix maigres blindes en guise de tapis. Ce n'était pas la première fois de la journée. Mais ce serait la dernière.

Une paire de 9 trouvée au hi-jack sera largement suffisante pour tout mettre au milieu. Derrière, la même Liv Boeree ne demandait que ça, ayant reçu les Valets au bouton. L'Anglaise fera donc tapis, elle aussi, tandis que Yinan Zhou hésitera en SB avant de sagement abandonner les 10.

"On a besoin d'un 9", dira Moneymaker à l'attention de ses potes tenus à distance par l'imposant dispositif de caméras du plateau télé.

De 9, il ne sera pas question sur le board 8-6-2-5-4. Dernier éliminé du Day 4, Chris Moneymaker part collecter un prix de consolation loin d'être symbolique : 500 000 dollars, tandis que ses neuf adversaires se tombent dans les bras.

Longtemps, on a pu croire que Moneymaker ne pourrait jamais retrouver les sommets qu'il avait atteints en 2003, lorsqu'il avait surpris la planète poker entière en devenant le premier amateur issu d'Internet à remporter les Championnats du Monde, après avoir gagné un sat online à 80 $. Les trois tables finales Triton jouées ces dix-huit derniers mois (dont une gagnée) prouvent qu'il n'est jamais trop tard pour s'offrir un come-back. Même si cette dixième place sur le Super Main Event des WSOP Paradise ne représente qu'un ersatz de triomphe, elle démontre que l'ancien comptable, ex-petit joueur de Sit&Go sur son ordi pendant ses pauses-déj, est encore capable d'actualiser son poker, et de rester performant face aux générations successives de pros qui lui ont succédé.

Mustapha ne se laisse pas faire par sa vieille amie Liv Boeree
Super Main Event 26 000 $ (Day 4 - 12 joueurs restants)

Mustapha Kanit peut compter sur le soutien de ses coéquipiers, engagés dans des épreuves annexes à quelques mètres du plateau TV

Le poker est un jeu formidable pour se faire des amis. Mais une fois les cartes distribuées, c'est du chacun pour soi. Liv Boeree et Mustapha Kanit viennent de nous en offrir une nouvelle démonstration.

UTG, Mustapha découvre A10 et min-raise pour 2 millions. Tout le monde passe jusqu'à Liv, qui défend sa BB avec QJ.

Le flop tombe 875 : aucun des deux joueurs ne mise.

Turn : 9. Boeree décide de prendre les choses en main avec une mise de 5,5 millions.

La rivière est un 9. Boeree envoie le second barrel, assez chérot : 12 millions.

Il ne reste plus qu'une paire de "time banks" à Mustapha, qu'il va utiliser avant d'opter, comme il l'a déjà fait avec succès aujourd'hui, pour le hero call. Même pas avec une paire cette fois, juste une hauteur As. Probablement que d'avoir le 10 de carreau l'a bien aidé dans sa décision... et de nouveau, c'est très bien vu : Boeree ne peut montrer mieux qu'un QJ ayant tenté l'arrachage.

Toute la table laisse éclater son admiration. Cette bagarre entre copains permet au Team Pro de montrer à 73 millions. Un nouveau point culminant pour Mustapha, alors que l'on est tombé à 12 joueurs restants après les éliminations de Sorel Mizzi (16ᵉ - un coin-flip contre Michael Addamo), Sebastian Toro (15ᵉ), Justin Carey (14ᵉ - un flop aussi), et Vlad Lache (13ᵉ - As-Dame contre le As-Roi d'Yinan Zhou).

La table finale semble désormais à portée de main...

Véritable légende vivante du poker en ligne durant les années 2000, Sorel "Imper1um" Mizzi se fait plus discret sur la scène live ces derniers temps. Sa 16ᵉ place lui rapporte 295 000 $

Notre Team Pro déballe l'air de rien un call de classe mondiale pour atteindre son point culminant dans le tournoi, alors que les demi-finales sont prêtes
Super Main Event 26 000 $ (Day 4 - 16 joueurs restants)

Concentrez-vous, on va vous raconter du vrai poker. Le genre qu'il faut être capable de pratiquer lorsqu'il ne reste plus que trois tables sur le plus gros tournoi High Roller de l'année.

UTG, le pro allemand Christopher Nguyen relance. Tout le monde passe, sauf Mustapha Kanit, positionné en grosse blinde.

Le flop tombe 423.

Mustapha check/call un c-bet de 4,5 millions. Le croupier retourne un K en guise de turn. Les deux joueurs checkent.

Rivière : doublette du 2. Mustapha checke une dernière fois. Plutôt que d'aller au showdown, Nguyen revient à la charge avec une mise de 7 millions.

Mustapha se met en mode avion, et rentre dans le proverbial tank. Ses yeux vont de gauche à droite, de droite à gauche, du board à son adversaire, de son adversaire au board. Les secondes défilent, les time banks aussi. Un joker de temps, deux jokers, trois... La réflexion de Mustapha n'en finit pas. Clairement, sa décision va se jouer à pas grand-chose. Il ne le voit pas, mais Adrián Mateos est debout juste derrière lui, observant attentivement la scène entre deux mains du Day 2 du High Roller à 50 000 dollars.

Après six ou sept time banks dépensés, presque l'intégralité de sa réserve, Mustapha avance un jeton. C'est payé. Et sans même avoir vu sa main, on devine qu'il va gagner : Nguyen ne retourne pas la sienne immédiatement. Deux secondes s'écoulent avant qu'il ne montre... 109. Un bluff total.

Avec quoi Mustapha a payé ? Presque rien. À peine mieux. Un Q4 très faible... mais largement suffisant pour remporter un pot de 30 millions.

"Go, bro!" souffle Adrian à son coéquipier. "Focus!" Oubliée, la situation précaire de Mustapha Kanit en début de journée, avec seulement douze blindes pour se défendre ! Quatre heures lui auront suffi pour se refaire, et ce sans jamais jouer un coup à tapis payé s'il vous plaît.

Mustapha empile la manne de jetons fraîchement gagnés. On compte et recompte avec lui : 64 millions. Le voilà au-dessus de la moyenne, pour la première fois en 24 heures.

Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule : il ne reste plus que 16 joueurs, c'est officiel, les demi-finales sont prêtes ! Le dernier retirage de table est en cours. Et l'on a franchi le troisième palier de gains de la journée : tous les joueurs sont désormais assurés de remporter 295 000 $. Mais notre héros n'a aucune intention de s'en contenter...

Super Main Event 26 000 $ (Day 4 - 22 joueurs restants)

Après l'élimination du Britannique Darius Samual en 25ᵉ place, un nouveau tirage au sort a été effectué. Mustapha Kanit a dit "ciao à plus" à Liv Boeree, en partance pour la table télé principale, tandis que lui n'avait qu'à se décaler de deux places sur sa table. Puis Matthew Belcher (24ᵉ) et Joonhee Yea (23ᵉ) ont quitté un tournoi tenant désormais entièrement sur le plateau télé (trois tables) : le second palier de gains du Day 4 était franchi.

Quoi qu'il arrive, Mustapha est dorénavant assuré de remporter 230 600 $, un bond significatif de 50 000 $ par rapport au palier précédent. Avec une quinzaine de blindes devant lui au niveau 30 (800 000 / 1 600 000), sa position reste inconfortable, même si bien meilleure qu'à la reprise il y a quatre heures.

En tête : encore et toujours l'incroyable Michael Addamo. Pas très loin : Justin Bonomo, une Liv Boeree qui a encore chatté un 3-outer (As-Dame contre deux Rois) et Chris Moneymaker. Dans la seconde moitié du tableau : Sorel Mizzi, et notre Mustapha à nous qu'on a.

Le prochain retirage des tables se produira une fois atteint le chiffre de 16 joueurs restants.