Ils avaient un avion à prendre ce soir mais ils ont décidé de le rater pour être au Day 3 du Colossus
Le Colossus, c'est plutôt le genre de tournois que, en tant que couvreur, on néglige jusqu'à l'arrivée de table finale. Et encore : seulement si un Français parvient à se glisser dessus. On te lance toujours une petite blague quand tu annonces que tu vas jeter un œil sur un tournoi aussi monstrueux. "Tu vas compter les stacks des 28 Français restants à 500 left ?" C'est ainsi que je me retrouve à parler de ce tournoi qui a réuni la bagatelle de 16 301 joueurs. Au hasard de mes pérégrinations post-dinner break, je passe en revue les français restants dans le field. Je cherche quelques têtes connues, mais elles ont déjà tous bust, ou presque, à part Nicolas Vayssières et Théo Rebour. Il reste alors 300 joueurs.
Grâce à la fabuleuse appli WSOP+, je tombe sur le joueur français avec le stack le plus fourni : 5 millions de jetons pour un certain... Morgan Ravail (à droite sur la photo ci-dessus). Disons-le tout de suite, il me semble la parfaite incarnation de ce qu'on appelle de manière un peu précipitée "un random". Après m'être présenté, voilà qu'il m'annonce que son pote lui a parlé de moi avant de venir à Vegas, et qu'il vient de Guadeloupe. Mon cerveau connecte d'un coup. Mais oui, je me souviens maintenant !
Il y a quelques semaines, un joueur anonyme m'avait contacté pour me demander des conseils sur Vegas. Pour sa première fois. Un fan de jeux de société avec qui j'ai un très bon ami en commun, Manu pour ne pas le nommer. Je vous la fais courte, mais Jean-Charles de France (de son vrai nom - à gauche sur la photo) me raconte son parcours et ce qui l'a mené à Vegas dans le rail du héros de ce post : "Je joue depuis 2006, à l'époque où Bruel commentait les étapes du World Poker Tour sur Canal+. J'ai joué pendant 10 ans en tant qu'amateur éclairé, mais sans jamais chercher à devenir vraiment bon", confesse-t-il. Après une période de downswing, il s'éloigne du poker et se met aux jeux de société, avec passion. C'est là qu'il rencontre Morgan Ravail, dans un club de jeux de société en Guadeloupe. Les deux compères sympathisent, jouent ensemble très souvent, aux jeux de société puis au poker, jusqu'au moment où l'un raconte à l'autre son voyage à Las Vegas en 2023. "Il m'a raconté sa victoire au Golden Nugget où il avait pris 8 000 $, sur son dernier tournoi du séjour. Il me parlait aussi du fait de vivre ça en solitaire, que c'était parfois très dur quand tu bustais d'un tournoi et que tu devais rentrer dans ta chambre en ruminant ton bust. Il m'a aussi raconté plein de trucs fous qu'il a vécues là-bas, plein de choses qui donnaient vraiment envie."
Entendre le récit de son pote sur ses aventures vegassiennes donne furieusement envie à Jean-Charles de se remettre à jouer avec Sin City dans le viseur. C'est décidé, il ira à Vegas. Avec un petit budget, 2 500 $, pour kiffer à deux avec son pote et découvrir cette ville qu'il s'est promis de découvrir un jour. Sur cette route de Vegas, il s'offre un petit Space KO à 5 € des Winamax Series pour 2 500 €. "Il n'y pas eu beaucoup de beaux KO, mais j'ai quand même pris un logo et 2 500 €", commente-t-il. Jean-Charles décide de réinvestir cet argent dans son voyage à Vegas, avec le Colossus dans le viseur.
Les deux compères partent à Vegas avec l'idée de jouer beaucoup de petits tournois au Golden Nugget et au Orleans, et de garder le Colossus comme objectif principal, "le tournoi-phare de notre séjour, notre Main Event à nous". Installés ensemble au Jockey Club, un petit hôtel qui ne paye pas de mine derrière le Bellagio, les deux potes ont décidé de swap 10% sur tout le séjour. "On ne voulait vraiment pas qu'un de nous deux fasse une grosse perf sans que l'autre n'en profite" Grâce à une belle session de cash-game au Golden Nugget, où Morgan ressort d'une 1/3$ avec 2 300 $, ils jouent tous les deux le 600$ Deepstack, l'un stakant l'autre. Jean-Charles ne passe pas loin de la grosse perf au Golden Nugget, la faute à un gros 80/20 perdu pour le pot du chiplead au début de la table finale, et réalise quelques beaux deep run et quelques belles sessions de cash-game pour rester à flots. Mais c'est surtout grâce à ce Colossus que les deux vivent la plus folle partie de leur séjour.
Jean-Charles a mis 4 bullets sur le tournoi, sans trop de réussite... mais la deuxième bullet de Morgan a suffi pour monter un stack de 320k pour le Day 2. Et c'est précisément aujourd'hui que Morgan a vécu une journée qu'il aura bien du mal à oublier, et qu'il a raconté dans les moindres détails sur la conversation WhatsApp "Le Club Poker à Vegas", faisant vivre son ascension à tous les potes qui ont partagé son expérience à Vegas, et à tous ceux qui lui ont pris quelques pourcents pour kiffer. "Ça a commencé comme dans un rêve sur ce Day 2, un short pousse son tapis de 150k, tapis d'un autre short pour 200k et j'ai deux As. Ça tient contre As-Roi et Roi-Valet. Après, je prends un énorme coup où je me fais payer une relance à tapis river par As-6 sur un tableau A-9-8-8-10 quand j'ai As-6. Ensuite, j'élimine un mec qui a une vingtaine de blindes avec les Dix contre As-Dix." Monté très rapidement à 5 millions, en tête du clan tricolore, Morgan connaîtra une fin de journée plus compliquée à la table de Jeff Madsen, un joueur qu'il n'aurait jamais reconnu. Et pourtant, juste derrière lui, on pouvait le voir affiché au mur sous la bannière... Player Of The Year. En 2006 !
Pas du genre à faire des plans sur la comète, les deux compères avaient leur avion retour ce soir à 00 h 50 aujourd'hui. "Je dois travailler mardi, j'avais décidé de prendre l'avion fin de Day 2 du Colossus, surtout parce que pendant mon dernier voyage à Vegas, je m'étais fait ouvrir pendant tout le séjour avant le dernier tournoi". D'habitude, on entend plutôt ce genre d'histoire sur le Main Event, quand les joueurs qui passent au Day 4 nous disent qu'ils avaient pris leur avion pour le jour d'après l'entrée dans l'argent. Cette fois, c'est un Day 3 de Colossus qui va bouleverser les plans des deux joueurs de la Guadeloupe, mais pour une sacrée carotte. Il y a 550 000 $ à la gagne du Colossus, un gain faramineux de 1 000 buy-ins et les espoirs sont encore permis.
À deux heures de la fin de journée, après avoir chuté à une dizaine de blindes, Morgan pousse son pote J-C à aller prendre son avion tout seul. "Je jouerai pareil si tu n'es pas là. Ne va pas perdre 1 000 balles pour changer d'avion", lui dit-il pour le convaincre de le laisser seul sur son deep run, tout en sachant que ça peut se terminer à tout instant. Peu confiant à ce moment-là, Morgan parvient à éviter les balles sur la fin de journée et à remonter un stack et un rêve : 12 blindes pour le Day 3 du Colossus, à 100 joueurs restants. "J'atteins le rêve ultime, un Day 3 de WSOP, mais c'est surtout la logistique qui occupe mon esprit. "Où dormir cette nuit, comment annuler mon avion, est-ce que le prochain palier me permettra de changer mon vol sans perdre d'argent..." Regardant la salle se vider, Morgan Ravail retire sa casquette après cette longue journée de 13 heures, l'une des plus folles qu'il a vécue à Vegas : "Et si je prenais 30 secondes pour réaliser que je suis au Day 3 d'un WSOP ?".
L'histoire est belle, avec déjà 4 520 $ d'assurés pour ce commercial en station d'assainissement. Elle pourrait être encore plus belle demain, avec 12 blindes et un rêve : rester encore une nuit de plus et qui sait atteindre la table finale du Colossus ?