Le 15 juillet, Clément Richez remportait un bracelet WSOP pour 1 million de dollars. Le lendemain, il voyait son poulain Malo Latinois atteindre la finale du Main Event. Le grinder aux mille tatouages revient sur cette fin de Vegas surréaliste, ce rêve devenu réalité de voir la Team “Aim The Millions” au sommet du poker et enfin, sa dernière mission, devenir le meilleur joueur de cash-game au monde.
Crédit photo : WSOP
"Les défaites, ce sont juste des tests"
Salut Clément, tu sors de deux jours de folie. Procédons par ordre, tu as eu le temps de digérer ce bracelet WSOP ?
Sur le moment, j’ai eu beaucoup d’émotions. Je me suis mis à pleurer, à respirer très fort pour pouvoir me calmer, alors que je ne m’y attendais absolument pas. Après ça, il y a la deuxième étape, celle où tout le stress redescend. J'étais avec mes potes en train de boire un coup, et je me sentais comme dans un sauna. Tu vois, un endroit très chaud, où c’est le calme absolu. Y’avait beau avoir le bruit des machines ou des jetons à côté, dans ma tête, c’était le silence, comme dans un bain chaud.
Maintenant, la troisième étape, c’est savoir comment investir cet argent sur moi-même, pour pouvoir en profiter et aller plus haut dans le poker. Là maintenant, je suis calme, je suis content, c’est un peu le rêve… Cette victoire, ça permet aussi d’être légitime mine de rien, même si je ne me considère pas du tout comme champion du monde. Pour moi, il n’y a qu’un gars qui est champion du monde (le vainqueur du Main Event). Mais, le bracelet, ça permet d’être légitime pour la vie. Regarde Patrick Bruel : on le désignera toujours comme un champion du monde.
Ce tournoi, le Mid-Stakes Championship à 3 000 $, arrive à la fin d’un long Vegas. Tu peux nous replacer dans le contexte où tu arrives sur ce tournoi ?
Je suis arrivé le 9 juin et le tournoi commence le 13 juillet. En début de Vegas, j’étais excité. Je voulais en découdre, je me sentais incroyablement confiant dans mon jeu. J’ai beaucoup progressé cette année. Même si c’est en cash-game, ça se transmet en tournoi également. Et jour après jour, défaite après défaite, l’excitation s’en va. Je me retrouve à être dans le dur, à me lever, fatigué, sans aucune envie d’aller jouer un tournoi et pourtant, j’y retournes.
Début juillet, j’ai une discussion avec mon coach mental (Laurent Delbrel). Il m’a dit “J’te connais, je sais que t’es un compétiteur. Si tu veux aller au très haut niveau, pour toi, ces défaites, ce sont juste des tests". Si jamais tu rencontres le meilleur du monde, comment est-ce qu’il réagirait ? Est-ce qu’il se plaindrait de ces difficultés ? Si j’entends le champion du monde dire ça, je me dirais que c’est pas un champion du monde. Le bad run, j'en ai fait une compétition. Je voulais me prendre encore plus de bad beats pour que ce soit encore plus difficile. Dès que j’ai eu ce changement de mentalité, tout est devenu très simple. Je jouais juste pour entrainer mon mental.
C’est pour ça que sur Instagram tu réclamais des bad beats, pour voir jusqu’à quel point tu pouvais être challengé ?
Exactement. C’est le fait de savoir que plus c’est difficile, plus d’autres personnes vont abandonner. Donc tu gagnes déjà une compétition. Si tu t’en prends des sales, mais que tu réagis de la bonne manière, tu sais que pendant ce temps, d’autres vont partir en tilt et être écartés de la compétition. Tu creuses l’écart avec les autres et ça rajoute quelque chose d’excitant pour moi.
Ce qui est dingue, c’est que le résultat arrive très vite après ce changement de paradigme…
C’est un film. Littéralement. Ça survient une semaine après. Si tu veux écrire le scénario, c’est “le héros a du mal, il galère, il a une discussion qui lui change la vie et derrière il réussit”. C’est un film de A à Z.
"J'ai été conditionné pour faire les bonnes choses. Et à chaque fois, je suis récompensé"
Tu peux nous raconter les grandes étapes de ce tournoi et comment tu l’as vécu ?
Les tournois, je ne les vois pas avancer. C’est très rapide quand tu es en table. Tu joues dix heures, elles passent en deux secondes et t’enchaines comme ça tous les jours. Ce qui est drôle, c’est que le tournoi s’est déroulé exactement comme les gens pensent qu’il doit se dérouler. C’est à dire qu’on ne se rend pas compte de la chance qu’on a. Le tournoi te fait te dire que tu as trop bien joué alors qu’en fait, tu as trop chatté. Je n'ai pas touché avec deux Dames contre deux Rois, je n'ai pas gagné quinze flips, j’en ai perdus autant que j’en ai gagnés… Mais quand t’as les Dames, que l’autre a les 8, et que ça tient, c'est de la chance.
J’ai eu un coup très important. J’ai J9
au CO, Chance Kornuth call au bouton et un papi américain call de grosse blinde. J
9
3
au flop. Je mise, Kornuth raise, le papi fait tapis, je fais tapis et Chance paye. Il a A
6
, l’autre a 10
8
… Donc je joue contre beaucoup d’outs. Je le gagne, j’élimine les deux. Et à partir de là, c’était tranquille. J’étais énorme, et je sentais que les joueurs avaient peur. Je ne sais pas si c’est l’expérience mais le million à la gagne ne m’impressionnait pas, le bracelet, ce n'était pas un objectif donc j’étais sans pression. Je jouais les mains les unes après les autres en essayant de jouer du mieux possible. Alors que les autres, je les voyais pétrifiés, trembler. Personne n’allait se lancer dans un bluff 3-barrel donc pour moi, c’était facile de manœuvrer. Tu leur fais faire des énormes fold et toi tu folds aussi, c’est très simple.
Si tu ne regardes pas le payout et que le bracelet n’a jamais été un rêve pour toi, qu’est-ce qui te “drive” sur ces tournois, qui te donne cette détermination d’aller au bout ?
Toute ma vie, j’ai été conditionné pour faire les bonnes choses, et je suis récompensé. Je vais te prendre une métaphore : si une dame fait tomber son portefeuille, t’as le choix entre le garder et le redonner. Je sais qu’à chaque fois, je vais redonner le portefeuille et je serai récompensé. Comme si la dame te le redonnait en disant “Tiens, garde-le y’a mille balles dedans”. J’ai plaisir à bien faire les bonnes choses, et je sais que quoiqu’il arrive, j’en sortirai grandi. Pour le poker, je sais que ma place l’été est à Vegas, à jouer tous les tournois à fond, et à la fin de l’histoire, c’est toujours pareil, j’ai été récompensé.
Avant, tu disais que le bracelet ne te faisait pas fantasmer. Mais quand tu l’as eu, t’as senti des émotions que tu n’attendais pas…
En y repensant, je faisais un peu le malin. Si on me proposait de gagner 1 000 000 $ et un bracelet ou bien 1 005 000 $ mais sans bracelet, je répondais toujours que je prenais les 1 005 000, parce que le bracelet c’est juste une breloque. J’étais pragmatique. Mais c’est enfantin de penser comme ça. Maintenant que je l’ai, je comprends qu’il faut prendre le bracelet tout le temps.
Qu’est-ce que t’as ressenti au moment de le gagner ?
Pendant tout le heads-up, je ne voulais pas penser au bracelet. Il était à côté mais je ne le regardais pas. Si tu fais deuxième, ça te hante à vie ! C’est tellement décevant de se dire qu’il était si proche... Je voulais m’éloigner de tout ça. Du million de dollars, du bracelet. Je pense que c’était un peu une manière de me préserver en cas de défaite. Mais maintenant que je l’ai, ça y est, on ne peut plus me le voler. C’était tellement fort, j’ai même les larmes aux yeux qui me reviennent en en parlant. C’est l’expérience poker la plus forte que j’ai jamais eu de ma vie. Ce qui est drôle c’est que j’ai dit à ma femme “Ça te rend presque accro à cette sensation, alors que tu ne la retrouveras peut-être jamais”. La seule place où ton cerveau est “éteint” à la fin, c’est la première. Quand t’es second ou une autre place, tu repenses à ce flip, à cette main que t’aurais pu jouer différemment… Mais là non. T’es zen, c’est fini. Tu as fait tout ce que tu devais faire.
Et puis, voir le soutien des Français, ma femme qui est venue, qui était en pleurs, fière de moi... Il y avait tout ! C’est une vraie consécration. Alors qu’un mois avant je t’aurais dit “J’en ai rien à faire !”
Le bracelet, c’est le symbole, mais il y a aussi tout le moment qui entoure cette victoire avec le rail français qui chante et qui danse autour de toi…
Au-delà de ça, je trouve ça beau de se dire qu’il y a des gens, qui ont zéro part sur moi, on se connait pas trop finalement, on se croise une fois par an sans trop d’affinités et pourtant, ils étaient là, et ils sont heureux pour moi. Tu les voyais vibrer, appeler les cartes… Je trouve ça magnifique. Ça m’a beaucoup touché.
Crédit photo : WSOP
Tu dis que ta place est ici, et ça fait effectivement deux ans que tu viens et tu repars avec, dans l'ordre, un deep run Main Event, puis un bracelet. Les deux plus grands rêves des joueurs de tournoi… Alors que tu n’es même pas un joueur de tournoi. Comment expliquer ça ?
Il y a une grande part de chance. Ça serait mentir que de dire que je suis supérieur aux autres. Ce n’est pas mon format. Je pense à d’autres joueurs, Axel Hallay par exemple, qui a fait quatre TF pour zéro bracelet, alors que c’est des meilleurs joueurs français de tournoi. Moi, je joue vingt tournois dans l’année, je fais un bracelet et une 50e place sur le Main… Et en même temps, mon poulain fait finale du Main Event ! J’ai réalisé tous mes rêves possibles, c’est fou. Il ne me reste plus qu’à battre tous les “LinusLove” en cash, que ce soit marqué dans les médias que je l’ai dépassé ou qu’il dise lui-même “Je ne peux pas le battre”, et là, j’aurait tout fait.
"Notre premier rêve, c’était d’inviter la Team ATM à Vegas, et leur filer les liasses en leur disant “C'est pour vous, allez jouer” !"
On va parler de cet objectif mais puisque tu évoques Malo, qui traçait son chemin vers la finale du Main Event pendant ton deep-run, comment tu as vécu ce partage de concentration entre les deux tournois ?
Fin Day 3, c’était une catastrophe. Déjà, j’étais fatigué, et en plus il y avait Malo qui arrivait à dix left. Je me levais en plein milieu des mains, les gens se plaignaient en disant “Il faut muck sa main”… Je n’étais pas du tout concentré, je voulais vraiment voir Malo dans les neuf. C’était incroyable. Et je pensais “Imagine, je gagne le bracelet, et je me retrouve en tribune le lendemain pour voir Malo”. J’ai gagné le bracelet et j’ai réalisé mon rêve.
Vous êtes une équipe. Malo c’est ton élève, toi tu es le fondateur. Ça fait quoi de voir la Team Aim The Millions championne du monde, puis sur la plus grande finale du monde ?
C’est drôle parce qu’avec Ben, quand on créé “ATM”, on hésitant entre “Aim The Million” ou “Aim The Millions” avec un S. On se disait qu’un million d'euros de gains, ça serait déjà fou. En ligne, on a dépassé les 4 millions. Et là, si tu rajoutes le live… En 2017, ça nous paraissait quelque chose d’impossible avec Ben. En fait, on a réalisé tout nos rêves. Notre premier, c’était d’inviter la Team à Vegas, et leur filer les liasses en leur disant “C'est pour vous, allez jouer !”. On avait vu un Allemand faire ça, on se disait “Ah l’batard, c’est stylé”, on voulait faire la même chose, c’est ce qu’on a fait.
Deux jeunes squales sur leurs premiers WSOP, en 2017
Ensuite, on voulait en voir un en table finale, juste en table finale. Et là, on fait table finale du Main Event ! Maintenant, le but, c’est de créer les meilleurs joueurs du monde et qu’on continue de parler de nous. Quand je vois les articles Winamax ou autres en disant “le joueur de la Team ATM, le prodige de la Team ATM”, ça me rend le plus heureux de la Terre.
"On va faire un film sur Malo"
Tu disais que c’était un vrai scénario de film… Mais effectivement, vous étiez suivi par des caméras. Quelle est cette équipe de tournage, et le projet derrière ?
Il y a Alex Treil et Edouard Debrousse. C’est toujours cette volonté de bien faire les choses. Lancer une chaine YouTube, il faut le justifier. Quand t’es une entreprise, tu comptes en coûts et en recettes. Avec Ben, on sait que c’est le bon investissement. On sait qu’on doit faire des vidéos, proposer du contenu de haute qualité, et on sera récompensés plus tard.
Là, on va faire un film sur Malo, du début jusqu’à la fin de son Main Event et l’histoire est folle parce que c’est son premier Vegas. Et il y aura un film sur ma table finale, qu’on a pu filmer derrière mon épaule. L’objectif va être d’affiner notre style, trouver quelque chose qui plait vraiment aux gens, qui nous fasse plaisir à produire et de jouer potentiellement plus de live avec Ben, pour proposer du contenu dans le même style.
"Partir à la guerre, sur les tables les plus chères, face aux meilleurs du monde"
Maintenant que ce Vegas est terminé, quelle sera la suite, et ce nouveau projet ambitieux que tu évoquais ?
Là, je vais rentrer au Mexique et j’ai envie de silence complet. Juste être dans mon lit, que personne ne me dise quoi faire et qu’il n’y ait pas un bruit, puisqu’à Vegas, ce n’est pas trop le cas. Après quelques jours, je vais partir à la guerre. Littéralement : la guerre. Je vais me battre pour devenir le meilleur. Travailler tous les jours, dix heures par jour entre l’étude et le grind. Jouer sur les tables les plus chères du monde, contre les meilleurs du monde, sans fish. Quand il y a un amateur, tout le monde gagne. Là, il n’y aura pas d’amateur, donc si tu gagnes, c’est que t’es meilleur, point. Ca va prendre des années et des années. Tu me verras en NL10K en train de “HU” les top-monde, et tu sauras que je suis en train de réaliser mon dernier rêve du poker.
Tu t’es donné un temps imparti ?
10 000 heures. Soit sept heures par jour, six jours sur sept, pendant cinq ans. Et y’aura pas de vacances de deux mois où je ne sais pas quoi. Et encore, avec les deux mois de Vegas, ça sera plus du neuf heures par jour. J’ai arrêté de coacher. J’ai fermé la Team principale “Cash-Game” d'ATM, mais j’ai ouvert la Team Académie, dirigée par deux des meilleurs joueurs français. Mais moi, je vais m’enfermer pendant cinq ans.
Tu suivras quand même les projets ATM ?
Evidemment. Je suis 100% ATM et je serai 100% là. C’est seulement les coachings qui vont disparaitre. Pour une heure de coaching, je prends sept heures de préparation. Je préfère passer ce temps à travailler sur mon jeu et à jouer. Et pour la section tournoi, elle sera toujours gérée en Hongrie par Benjamin Chalot et Adrien Delmas.
Toi, tu as fait le choix du Mexique. Est ce que ce changement de vie te convient, tant d’un point de vue perso que de ton quotidien de grind ?
C’est génial, j’ai neuf heures de décalage horaire, donc si je veux jouer contre les Européens je me lève à 10 heures ou à midi. Avant je jouais de 19h à 4h du mat’, c’est un rythme que je déteste. Je me sens très bien au Mexique, c’est dépaysant. Je vais y rester cinq ans. Quand on aura les enfants, et qu’ils auront cinq ans, on repartira en Europe. Je suis très bien là-bas, avec ma femme et mes chiens, c’est super.
Merci beaucoup Clément. Bonne chance à toi dans tous ces nouveaux projets et félicitations !