Un set-up imparable prive Malcolm Franchi d'une table finale de Main Event WSOP. Eliminé en 11e place, le reg Parisien réalise malgré tout un exploit hors normes, qui propulse sa carrière de joueur, pour un gain de 800 000 $
Main Event 10 000 $ (Day 8)
À une marche du rêve. Dans ce Main Event, Malcolm Franchi a tout fait. Escaladé des montagnes de jetons sur les premiers jours, rampé à travers les tunnels de shortstack du Day 5 au Day 7, passé des flips décisifs, bataillé sans relâche, tendu des pièges, patienté des heures, chuté au pire des moments, ressurgi des enfers… Une odyssée de huit jours, 80 heures à jouer aux cartes pour se retrouver aux portes de la table finale du plus grand tournoi du monde.
Malgré des vents contraires, un bluff raté, des pions perdus ici et là, le Parisien s’accrochait et trouvait les ressources pour revenir près des vingt blindes, alors que le field descendait sous les 15, puis les 12, puis les 11 joueurs. Encore une élimination, et Malcolm réaliserait le rêve de tout joueur de poker. C’est là que Jordan Griff open 3 200 000 depuis le bouton. En grosse blinde, Malcolm découvre AQ
. Avec 19 BB, la décision est évidente : tapis pour ses 34 700 000 jetons ! La configuration semblait magnifique jusqu’à ce que Malcolm entende dans la demi-seconde le “call” de Jordan. L’Américain retourne A
K
, la main qu’on ne voulait pas voir.
Un run-out 84
9
7
9
et c’est déjà fini. En quelques secondes, Malcolm passe d’une possible finale à l’élimination brutale. Le joueur prend la porte en 11e position, peut être la plus déchirante des places du poker de tournoi. Le rêve s’écroule. Cette table légendaire qui semblait à portée de main, il ne s’y assiéra pas.
“Une immense fierté”
Malcolm s’extirpe de l’Event Center quelques instants. Il a besoin de prendre un temps seul. Toute cette émotion qu’il a si bien gérée durant ses huit jours de tournoi retombe d’un coup. Le joueur déguste quelques instants, reprend doucement ses esprits, sèches les quelques larmes sur ses joues puis revient dans l’arène pour l’interview. La voix posée, quoiqu’encore légèrement tremblante, mais la tête haute. Malcolm n’a pas perdu, loin de là. Il a accompli quelque chose d’immense.
"Là, maintenant, il y a deux choses qui me traversent. Je ne sais pas vraiment laquelle prend le plus de place dans ma tête : une immense fierté et une immense déception, pose le joueur avec un calme épatant. Quand on joue un tournoi de poker, on joue pour le gagner bien sûr, mais je ne m’attendais pas à faire ce deep run là, à aller aussi loin sur ce tournoi-là. Ensuite, il y a les circonstances. J’ai passé 23 heures de jeu avec moins de dix blindes, et je n’ai jamais craqué. J’ai toujours bien sélectionné mes spots, même short. Je suis fier de ce que j’ai accompli, de comment j’ai joué, de comment j’ai compris les dynamiques. Et pourtant, je suis aussi extrêmement déçu de m’arrêter là. Quand on était 80, tu te dis “on est encore loin”, mais quand tu es onze… Et qu’au moment où tu bust, le floor apporte les racks à table et re-draw la dernière table du tournoi, la redescente est dure".
Malcolm rappelle ici son parcours du combattant, qui l’a vu traverser les jours malgré un stack boiteux. La patience, le mental dont il a fait preuve pour revenir dans la partie et passer les différentes phases du tournoi, alors que les enjeux devenaient vertigineux. Pourtant, Malcolm ne bronchait pas. Il restait posé, serein, assis sur cette chaise installée à l’envers comme pour attendre un massage qui ne venait jamais, la respiration tranquille, l’œil alerte, à jouer son poker, sans se poser plus de questions.
"Même aujourd’hui, j’ai ressenti zéro pression. J’ai joué comme si je jouais un “random” 300 balles quotidien à Paris. Pour ça aussi, je suis fier de moi. Je n’ai pas ressenti d’anxiété ou de stress. Bien entendu, je faisais attention à ne pas faire d’erreur ICM, parce qu’on joue des gros paliers, mais je n’avais pas de boule au ventre, j’étais à l’aise". Mais comment un joueur qui n’a jamais expérimenté ce genre de deep-run, qui plus est sur un buy-in à cinq chiffres peut-il aussi bien gérer la pression ?
"Il y a ma mère et ma copine qui m’ont dit tous les jours depuis le Day 4 qu’elles étaient fières de moi. Du coup, j’avais déjà accompli quelque chose de grand, peu importe quand ça s’arrêtait, j’étais prêt à ce que ça s’arrête. C’est ce que je te disais hier, j’étais en freeroll en émotions et en argent. Ça m’a permis d’être en dehors de tout ce stress".
On sent que déception de l’élimination se mêle, dans une réaction chimique unique, au bonheur d’avoir accompli ce deep-run. Malcolm savoure ce qu’il décrit très justement comme “une réussite”, en ayant tout de suite une pensée pour les proches, qu’ils soient familiers du poker ou non. "J’avais envie de rendre fier les gens qui ont cru en moi. Aujourd’hui, je l’ai prouvé. Je ressens énormément de gratitude par rapport à ça. J’ai réussi, mais je ne l’aurais pas fait tout seul. Mon entourage m’a aidé à réussir. Je pense à ma mère, à ma copine et une personne en particulier qui m’a aidé dans le poker, mais dont je ne peux pas citer le nom, mais son petit surnom c’est “poulet”".
Le reg de live nouvelle génération
À moins que vous ne squattiez les clubs parisiens, avant ce Main Event il y a peu de chances pour que vous ayez eu vent de Malcolm Franchi, un joueur plus habitué aux low buy-ins du circuit français qu’aux World Series of Poker. Sa carrière a pris un tournant aujourd’hui, et pas seulement par le résultat. Tout le long de ce Main, le joueur a montré qu’il avait l’étoffe pour boxer sur ce genre de ring.
Malcolm, c’est le reg de live nouvelle génération. Un joueur qui connait les clubs comme sa poche, qui a fait du “Circus” sa deuxième maison, mais qui n’oublie pas de perfectionner son jeu ailleurs que dans les établissements en durs. Un passionné de poker, qui s’endort sur son bureau "devant une review de Wina Series” et qui, sans être un grinder online, peut se lancer un Coffee Time à 9 heures du mat’ pour tuer l’ennui. "Je suis un peu insomniaque, donc quand je n’ai rien à faire à 9h, je grind un p’tit peu online. Mais ce n’est pas la priorité. Du moins, pour l’instant", nuance Franchi, qui dispose pourtant d’une palette technique digne des bons grinders d’internet.
"Même si je ne joue pas online, je fais énormément de reviews. C’est surtout pour comprendre le field qui joue GTO, pour pouvoir m’adapter à leur jeu, même si je garde mon côté joueur de live, déclare Franchi, qui s’est également mis à niveau sur l’aspect mental. Je travaille avec Audrey (Verlomme, coach mentale) depuis octobre dernier. Cette année, sur les quelques deeps runs que j’ai eu, je n’avais pas passé mes coups charnières. Avec Audrey, on en a beaucoup parlé pour savoir comment appréhender ces situations mentalement, ça m’a beaucoup aidé”.
Faut-il travailler avec Audrey Velrhomme pour passer ses coups à tapis sur les WSOP ? Entre les exemples de Julien Pérouse, Jonathan Pastore, Gregory Teboul et désormais Malcolm Franchi, on est en droit de se poser la question. Ce qui est sûr, c’est que Malcolm était préparé pour ces coups charnière. Et que sur ce tournoi, il les a passés, à l’image de cette fin de Day 7 fantastique, qui le voyait revenir de l’avant-dernière place à la tête de course.
Sur ce dernier jour, Malcolm n’a pas eu de réussite particulière pré-flop. C’est sa gestion de l’ICM, son adaptation aux configurations de table et sa résistance short-stack qui lui ont permis d’aller si loin. Le double-up contre Malo lui permettait de récolter les jetons nécessaires pour tenir, et voir deux concurrents se faire éliminer avant lui (Kristen Foxen et Gabriel Moura). Deux bustos synonyme de palier à 200 000 $, élevant ainsi son butin à 800 000 $ de gains. Un score qui changera à jamais sa carrière de joueur, et même sa vie, tout simplement.
"J’avais un stackeur, calme Malcolm. Et je suis aussi très heureux parce que ça fait plus d’un an qu’il me fait confiance. Moi, ma bankroll, elle explose, et lui, il a ce rendu-là. Un beau rendu même. Ce que ça va changer ? Je ne peux pas répondre à cette question, puisque je n’y ai pas réfléchi. Je ne m’étais pas projeté, je ne savais pas combien j’allais prendre".
Malcolm doit prendre le temps de voir ce qui changera dans son quotidien de grinder, mais il sait déjà les ambitions qu’il a dans ce jeu. La performance qu’il réalise aujourd’hui le fait avancer à pas de géant sur la route qu’il s’est fixé et qui se matérialisera à travers des titres. “En MTT, mon objectif, c’est de gagner un bracelet et un EPT, annonce le joueur. Cette perf’, elle va me permettre de me rendre plus dispo sur le circuit EPT. J’ai fait mes premiers ces dernières années, avec ma première place payée à Paris en février. C’est un bon propulseur pour atteindre mes futurs objectifs, c’est sur."
Depuis dix jours, Malcolm a partagé l’aventure avec Malo Latinois, qu’il a même eu pour voisin durant tout ce Day 8. Un joueur qui aura naturellement une place particulière dans la carrière de Malcolm. Son élimination lui permet d’accéder à la table du Main Event des WSOP. "C’est quelqu’un que je ne connaissais pas du tout, mais on a un très bon ami en commun, Ludovic Uzan (membre ATM ainsi que de la Team Elite, qu’on a également découvert sur ce tournoi), que j’avais rencontré au WPO Madrid. De par Ludo, ça fait quelques jours qu’avec Malo, on discute ensemble pendant les pauses. Et c’est vrai que ce sera un souvenir gravé à vie. On a été deux Français à 12 left du Main Event, c’est énorme. Et à la question de si je vais rester pour le supporter, mon sac est déjà dans le rail, donc on y va tout de suite !".