Parti deuxième en jetons sur sa première finale WSOP, Bruno Lopes voit ses espoirs de bracelet douchés en quelques minutes
Kool Shen se contente de la sixième place, pour 99 203 $
Event #65 : Seniors High Roller 5 000 $ (Finale)
Pas de “grosse prod”, de caisses claires qui claquent ou de basses grondantes qui donnent envie de tout casser. Pour accompagner la table finale de Kool Shen, on choisirait une “instru” bien plus grise, avec un air de piano façon That's my People, ou un sample mélancolique comme dans Laisse pas trainer ton fils.
Aujourd’hui, c’était plutôt Laisse grinder ton vieux. Sur une nouvelle scène braquée de projecteurs, Kool Shen kickait son couplet final sur le High Roller Seniors, réservé aux grinders issus de la génération Fonky-Tacchini.
« Regarde-les, ses adversaires ! Bruno ça pourrait être le fils d’un de ces gars ! » scandait Antonin Teisseire, sur les bords du rail. Que l’on parle de physique ou de poker, Bruno est effectivement l’un des “Seniors” les plus fringants et les plus costauds. Le vécu a creusé quelques rides naturelles, les cheveux savamment peignés ont pris des teintes grises, mais Kool Shen a l’air plus jeune, plus fort et plus déterminé que ses adversaires.
« Ça fait des années qu’on lui parle de ces Seniors Events » rappelle Mustapha Kanit, l’Italien évoquant le spot unique que représentent ces tournois-là, qui semblent taillés sur mesure pour Bruno. À buy-in équivalent, les fields y sont bien plus "softs" que sur les autres tournois WSOP. Un joueur de son calibre et de son expérience saurait en tirer un avantage. Kool Shen l’avait déjà démontré il y a trois ans, avec un deep run énorme sur le Seniors Championship, dont il terminait 24ᵉ, sur 5 404 joueurs, suite à deux bad beats consécutifs qui lui restaient encore « en travers de la gorge ».
Cette fois, c’est sur le tout nouveau 5 000 $ Seniors High Roller, plus cher, légèrement plus relevé, que Bruno s’offre une deuxième chance. Avec le deuxième plus gros tapis au départ de la table finale, un “edge” supposé sur ce field relativement anonyme, malgré la présence du bracelet WSOP Kevin Nathan ou du reg américain Michael Vela, Bruno tient une opportunité en or d’aller décrocher les 573 barres, et surtout, le bracelet WSOP.
Avant même le début du match, on imagine l’histoire magnifique, la résonance que provoquerait une victoire de l'ancien membre du Suprême NTM sur les Championnats du Monde de poker, et la signification du bracelet pour notre Team Pro, pionnier du poker français et passionné depuis plus de vingt ans.
La déception est finalement à la mesure des espoirs suscités. Après un scénario terrible, Kool Shen passe du chiplead à la dernière position en une demi-heure de jeu. Ce fameux coup avec brelan de 6, parti à tapis contre la quinte floppée de Mark Checkwicz, constitue un tournant, un coup de massue dont Bruno ne se relèvera pas.
Notre Team Pro parvient tout de même à rallier l’ultime table, sur l’estrade télévisée, dressée au moment du 6-left, qu’il attaque avec très exactement 20BB. Le kop français s’est mis en place. Les Winamax, les grinders bleus, les médias, les observateurs de passage commencent à s’asseoir dans les gradins affichant un grand drapeau tricolore. Les supporters ne devaient pas arriver en retard. Après seulement quinze minutes de finale, Bruno joue déjà son dernier coup.
Une défense avec A8
contre un open CO de Kevin Nathan. Le flop vient A
4
6
et Nathan c-bet chérot, 325 000 (3,25 BB), payé. Turn 3
, l’Américain poursuit l’attaque de manière drastique : tapis, pour les 1 925 000 restant au Français. Kool Shen tank une grosse minute puis avance ses jetons au milieu. Malheureusement, sa main est complètement dominée par le A
Q
adverse. Un 8 seulement peut le sauver. Il ne viendra jamais. Le K
river valide l’élimination de Bruno Lopes, qui se contente de la sixième place, pour 99 203 $.
La dureté de ce jeu fait que ce genre d'exploit prend des allures de défaite. Effectivement, au regard de la situation de départ de finale, des ambitions et des espérances placées dans notre Team Pro, le résultat est décevant. La soirée aidera sûrement à ravaler cette frustration, pour observer de manière plus lucide ce nouvel accomplissement de Bruno Lopes.
À 58 ans, il vient d’atteindre une table finale WSOP, l’une des seules qui manquaient à son palmarès. Finaliste EPT, vainqueur WPT, runner-up High Roller EPT, vainqueur SISMIX… En quinze ans de carrière, Kool Shen a décroché des résultats remarquables sur tous les plateaux, tous les buy-in, tous les circuits qu’il a joués. Les 100 patates gagnées aujourd’hui ne le consoleront pas, mais demeurent un gain colossal, qu’il ajoute à ses 2 millions de dollars accumulés en carrière.
Depuis le début, Bruno Lopes occupe une place à part dans le paysage du poker français. Par son personnage, son histoire et son charisme, aux tables comme en dehors. Un mélange de classe et de roublardise, de suite royale au Wynn et de Seine-Saint-Denis, de réflexion et d’impulsivité.
Dans toutes les disciplines, il sait s’approprier les codes pour mieux les casser et affirmer son style. Avec sa sensibilité, son génie et ses failles. Une recette qui lui a permis de parvenir jusqu'en table finale d'un tournoi à 5 000 $ des WSOP. Et qui en a peut être aussi causé sa sortie. Ce soir, le coup est dur à encaisser et le joueur ne préfère pas s'arrêter à chaud devant les micros. Mais Kool Shen s'en relèvera. "Jamais down", jamais K.O, disait-il pour clôturer l’un de ses célèbres tracks. Car en aucun cas, ce n'était le dernier round.