C'est finalement assez rare sur le Main Event des WSOP : les quatre derniers représentants français encore en course après cinq jours sont tous bien connus de nos services. Et tous nous ont fait sacrément vibrer au cours d'un Day 5 où les retournements de situation n'ont pas manqué. Ils nous racontent pour vous.
Jonathan Therme : l'homme qu'on ne voudra plus bluffer
7 900 000 (99 BB)
Dix heures de jeu, de grind, de tension, un hero-call légendaire et l’envolée vers les sommets du tournoi.
« Et pourtant, je ne sens même pas la fatigue. C’est normal, j’ai eu tellement d’adrénaline » commente
Jonathan Therme, juste après avoir bag son stack colossal de 7 900 000.
Le Français a remporté beaucoup de coups pour monter un stack si imposant. Mais pour pouvoir les jouer, il fallait passer le premier, le plus beau et l’un des plus "ballsy" coups de poker qu’il ait jamais joué. Un hero-call qui fera jaser toute la communauté pokeristique française. Si hier, les réseaux s’enflammaient sur le fold de Clément Richez, que diront-ils de ce hero-call de mutant ?
Les lecteurs assidus que vous êtes ont certainement déjà lu l’article consacré, mais rappelons quand même la magie qu’a produit Jonathan Therme. Open AQ en début de parole, payé MP. 249 sur le flop.
Check Johnny, 150 000 vilain, payé. Turn 6, check Johnny, 260 000 vilain, payé (oui, oui, avec rien du tout). River 3, check Johnny, tapis vilain, qui nous couvre. On nous demande nos 750 000, représentant encore 25 blindes, au Day 5 d’un Main Event WSOP, vous avez hauteur As dans ce spot. Que faites-vous ? Vous vous demandez surtout ce que vous faites encore là. Et bien Jonathan Therme, lui, a décidé de payer. Son adversaire a retourné AJ et le grinder français prenait son envol.
« C’est peut-être le hero call le plus important de ma carrière, admet Jonathan lorsqu’on lui pose la question. Sur le moment, j’étais en euphorie, c’est pour ça que j’ai dû me lever. Je suis content de mon read et surtout d’avoir suivi mon instinct. J’avais trop d’indices qui me disaient de payer. J’avais vu les "lines" qu’il avait choisi dans des spots similaires, ces "sizings" étaient vraiment étranges, je l’ai observé pendant longtemps... Ce n’est pas théorique, puisque je n’ai même pas de bloqueurs ».
Après ce hero-call, Therme passait à 2,6 millions. Six heures de poker plus tard, il est à presque 8 millions. « Ça c’est bien passé. J’ai remporté beaucoup de coups, j’ai passé des 3-bet, des 4-bet light, je me sentais bien, et j’ai quand même beaucoup touché » résume le joueur, qui a notamment fait très mal à son voisin Masato Yokosawa.
« C’est la première main que je gagne contre toi, s’enflammait le youtubeur japonais sur l’un des derniers duels du jour.
Il m’a battu tout le temps, alors qu’on a joué au moins cinq gros affrontements ».
Rien de personnel, Jonathan a globalement siphonné toute sa table, dans l'ensemble plutôt docile. Il en découvrira une nouvelle demain, pour un Day 6 de Main Event WSOP. Après plus de dix ans de présence sur le circuit, le grinder tient en réalité l’une des plus grosses opportunités de sa carrière.
« Je me définis plus comme un joueur de live. Je joue beaucoup online, mais le live, c’est ce que je préfère. C’est là où j’aime être. J’aime cet aspect direct avec les joueurs, ça me passionne vraiment. Certes, je n’ai jamais eu de gros scores, mais j’ai eu pas mal de continuité. J’ai eu des opportunités online, en arrivant proche de grosses finales, avec un million à la gagne, mais en Live, je n’ai jamais été si loin dans un si gros tournoi ».
Respecté des meilleurs, apprécié de tous, Jonathan tient son occasion d’aller chercher un gros score. Et peut-être plus encore. - Fausto
Clément Richez : heureux comme Buddha
5 000 000 (62,5 BB)
Après une démo de grind, de hero-fold et de run good,
Clément Richez nous partageait son kiff de traverser les jours du plus beau tournoi du monde. Aujourd'hui encore, le taulier de la Team ATM a montré la voie, en patron, avec la même recette mêlant le talent, l'expérience et la réussite. Il sort de son Day 5 avec la même banane, la même confiance et la même joie de l'instant qu'hier.
« Je suis ultra zen, même encore plus qu’avant » confesse le joueur dans les allées du Horseshoe, où il marche épaulé de ses collègues de la Team ATM. « Je me sens tellement chanceux d’être là, d’avoir le run que j’ai eu. On ne se rend pas compte, mais le coup qui me propulse, le K-K qui tient contre A-9, c’est de la chance aussi ». Le joueur n’oublie pas ce coup avec AQ, pris dans un tapis 3-way contre KK et AK.
« J’ai calculé, sur le flop 1067, j’ai 0,89% » s’amuse Clément. Mais cette semaine, l’homme aux mille tatouages semblent être protégé par une bonne étoile. Une Q turn et un A river plus tard, Richez était remonté à plus des 5,5 millions.
Un tapis plus que confortable pour aborder le Day 6 d’un Main Event WSOP, le plus grand tournoi du monde, avec 12 millions de dollars à la gagne. De quoi peut-être altérer la légèreté de Richez et se dire qu’on joue pour un pactole sérieux ?
« Je vais te dire : si je prends 12 millions, ça ne changera pas ma vie. Évidemment que ça changera, dans le sens où je pourrais arrêter de bosser, que ça change évidemment tout d’un point de vue de la notoriété… Mais j’ai déjà tout ce que je veux dans ma vie. Ce n’est pas l’argent le problème. Tu me mets sur un tournoi à 10 €, je le joue à fond. C’est juste que je suis heureux avec ce que j’ai, ma vie est déjà incroyable » déclare Clément.
Ces déclarations ne sont en rien prétentieuses. Elles témoignent seulement de l’enthousiasme, de la sincérité et de la gratitude d’un garçon en phase avec lui-même. Un homme qui joue pour l’amour du poker, pour les émotions qu’il procure et bien sûr, pour gagner. Ça tombe bien, c’est avec cet état d’esprit qu’on peut aller loin, et pas seulement dans un tournoi de poker. - Fausto
Estelle Cohuet : la Nouvelle Star
3 380 000 (42 BB)
Elle ne voulait absolument pas se retrouver en table TV. Elle y a passé quatre des cinq niveaux de la journée, dont une bonne partie sur celle que l'on appelle la
Main Feature Table, observée par une armée de caméras. Résultat des courses ? Un tapis multiplié par dix, de 350 000 (soit 14 blindes), à 3 380 000.
Estelle Cohuet a attiré la lumière à elle aujourd'hui, éclipsant presque ses voisins de table
Nicholas 'Dirty Diaper' Rigby,
Bill Klein et même
Chance Kornuth. "
Je l'adore, je suis à fond derrière elle !," nous a même lâché
Kara Scott après l'avoir interviewée pour le compte de PokerGO. Qu'en a pensé la principale intéressée de cette première journée sous le feu des projecteurs mondiaux ? "
Ce n'est pas quelque chose avec lequel je suis super à l'aise, et je n'ai pas exorcisé tous mes démons d'un coup, mais dans l'ensemble, je me suis sentie bien. Par contre, qu'est-ce que j'avais chaud. Et la lumière me fatiguait les yeux. Une fois revenue sur le floor, c'était beaucoup plus frais, mais j'étais contente d'avoir froid !"
Une acclimatation loin d'être évidente donc, mais paradoxalement facilitée par son voisin de gauche, LA star de ce début de Main Event, dont les éminences grises derrière le casting télévisé ne semblent pas vouloir se passer, grâce à des moves que l'on qualifiera de facétieux calibrés pour les réseaux sociaux : Nicholas Rigby. "Il n'est pas facile à jouer, mais en théorie il finit par te donner ses jetons," glisse Estelle. C'est justement ce qu'il a fait. "J'ai gagné les premiers pots contre lui, et il avait l'air un peu tilté, même s'il fait tellement de cinéma que je ne sais pas ce qui est vrai. Il faut dire qu'il a fait des calls incompréhensibles contre moi. Comme cette main où il me paie alors que je suis en train de bluffer avec hauteur Roi. Il a muck ! Je ne pensais quand même pas que j'avais une aussi mauvaise image."
Mais n'allez pas croire que la progression observée par la Top Shark 2023 fut linéaire. Bien au contraire. Dans la foulée d'un triple up rapide, elle est redescendue à force de bluffs manqués, a de nouveau doublé, grignoté des pots sur sa nouvelle table, avant de subir un nouveau coup d'arrêt. "
UTG open et le joueur en MP [Stephen Friedrich, NDLR] 3-bet alors qu'il est très tight. On est tous très profonds donc je décide de just call As-Roi au bouton." Sur un flop hauteur neuf rainbow, le 3-betteur c-bet petit et se fait payer par notre pro. Deuxième barrel sur le Roi turn, payé de nouveau. La river est une brique. "
Le reste de son tapis est plus petit que le pot, précise Estelle.
Je réfléchis, et j'ai autant de mal à lui trouver des combos de value que de bluffs. Je bloque les paires d'As et de Rois, je ne pense pas qu'il 3-bet deux 9, et on a souvent la même main." Dourbie finit par payer, pour se voir montrer... une paire de 9. Retombée à 750 000, elle reprend des pots à Rigby puis repasse la barre des trois millions grâce à un cold 4-bet avec une paire d'As, avant de valoriser un brelan sur sa nouvelle table. Que d'émotions ! "
Oui, et je suis assez fatiguée, je ne dors pas beaucoup. J'ai mon avion de retour dans deux jours, je ne sais pas encore ce que je fais..." Pour traduire littéralement une expression bien d'ici : nous franchirons ce pont quand nous y arriverons. En attendant, la dernière W rouge de ce tournoi continue de faire le travail et de nous impressionner !
- Flegmatic
Mikael Berrio alias ShiShi : le converti
2 875 000 (36 BB)
"
Mais quelle journée de malade mental !"
Mikael Berrio vient de vivre un Day 5 propre à faire virer la cuti du grand défenseur du cash-game qu'il est. Souvent moqueur envers l'écosystème MTT et ses stacks peu profonds lors de sa Club Poker Radio hebdomadaire aux côtés de Comanche, ShiShi avance dans la seconde moitié du plus long tournoi du monde. ShiShi : on te pardonne de nous avoir si longtemps dédaigné. Au contraire, on est ravis que tu goûtes enfin aux sensations uniques d'un deep run sur un tournoi. Sur LE tournoi, qui plus est. Avec un stack tombé aussi bas que 2 blindes avant le dîner (oui : deux), puis un possible coup de main d'origine divine, des retournements de situations improbables, et une belle session de grind finale pour te replacer en queue de peloton, tu pouvais difficilement demander mieux, question émotions.
Mikael est resté à la même table durant les dix heures du Day 5. À la fin de la journée, ses adversaires lui sont tous tombés dans les bras les uns après les autres pour rendre hommage à sa ténacité.
"Ouais, je leur ai fait un sacré numéro d'équilibriste !" Sur la corde raide après avoir dû jeter pas moins de trois paires de Rois sur des boards épineux, ShiShi a cru entrevoir une porte de sortie avec une paire de Dames. Non : en face, il y a eu... les Rois. Pas éliminé mais à l'article de la mort, le coach Kill Tilt chute alors à 5 BB. Après le passage des blindes - avec des mains injouables - le voilà au bouton avec tout juste 2 BB. Pas un stack de joueur de cash-game, c'est certain. "
2 BB, plus trois jetons de 5 000, c'est important pour la suite. Car quelqu'un relance, j'ai As-Roi, je fais tapis pour 2 BB et 15 000 de plus, et là le joueur à côté demande si mon all-in constitue une relance ou un call. La croupière dit que c'est une relance... alors que c'est faux ! Pour rouvrir l'action, j'aurais dû avoir 25 000 de plus. Du coup, mon voisin a peur de payer avec 66, car ça peut faire tapis derrière lui. Il passe sa paire, je gagne à la hauteur contre Roi-Dame. Si la croupière ne se trompe pas dans le règlement et que la paire de 6 est dans le coup, je suis éliminé ! Derrière, j'ai grindé pour remonter à 35 blindes..."
Un scénario incroyable, mais vrai. Et, peut-être, dicté par des forces surnaturelles. "
Faut que tu racontes ça. Je pars en pause-dîner très short-stack. La copine de Flavien Guenan me trouve et me tend un caillou, une pierre précieuse comme on en trouve dans les boutiques de souvenirs ici. Elle me dit 'Je sais pas si tu crois à ces trucs, mais ça pourrait t'aider'. Je le mets dans ma poche. Et derrière, il m'arrive tout ça..."
Classé 92e parmi les 149 qualifiés pour le Day 6, ShiShi explique avoir tenu durant les moments difficiles grâce au mental. "
J'avais visualisé tous les scénarios en amont : les situations super où je triple mon stack, celle où je perds des jetons... Donc quand c'est arrivé, j'étais prêt, j'ai tenu. J'ai attendu mon heure. Je me disais : au pire, tu regardes les paliers de gains, un truc que je n'avais pas prévu de faire." Après cinq jours sur le Big One, peut-il maintenant en parler en fin connaisseur ? "L
e truc, c'est que ça fait des années que les joueurs me parlent de ce tournoi. Via ces discussions avec des centaines de joueurs, j'avais déjà toute une expérience par procuration, elle m'a bien servi." Autre facteur clé : le soutien d'une large communauté de potes et de fans. "
C'est dingue, les centaines de messages que j'ai reçus ! C'est très important. Quand j'étais au plus bas, j'ai demandé dans le groupe Whatsapp plein de bonnes ondes. En quelques secondes, il y avait 50 messages qui apparaissaient !"
Arrivé à ce stade, ShiShi ne va pas modifier ses habitudes pré et post-game. "
Ce soir, je vais appeler ma copine. Je ne vais pas lui raconter les mains ni rien, mais faire une sorte de débrief émotionnel. Ca va me permettre de reconstruire le déroulé de la journée. Derrière, debrief poker avec quelques potes qui n'attendent que ça. Après, un podcast, je sais pas lequel, l'After Foot sûrement. Puis une douche chaude, et dodo. Demain : réveil vers 9h30, petit-dej et 30 mn de sport." Avant une sixième journée de poker que l'on espère aussi longue que les précédentes... -
Benjo
Lorenzo Santos Rodriguez : le Savoyard embusqué
720 000 (9 BB)
Il est né de parents galiciens, doté d'un passeport espagnol mais parle mieux la langue de Molière que celle de Cervantes. Il a vécu toute sa vie entre la France et la Suisse, habite actuellement en Haute-Savoie, tout proche de la frontière mais enseigne les mathématiques à Genève.
Lorenzo Santos Rodriguez est un homme multi-cartes. Et du genre discret. Aussi bien à la table, où son combo casquette/hoodie/short pourrait le faire passer pour un grinder américain, qu'en dehors. "
Ah tiens, j'avais presque oublié que tu étais encore dans le tournoi !," lui a carrément lancé l'un de ses voisins avec qui il a passé toute la journée, après avoir fold sur le 3-bet shove du Franco-Espagnol. "
J'ai joué là-dessus, avoue Lorenzo,
je me doutais qu'il n'allait pas payer." Joueur serré par nature, pas forcément très bien servi par les croupiers, il n'a pas eu grand-chose à se mettre sous la dent aujourd'hui. "
Mais on est toujours là," avec neuf blindes tout pile pour tenter l'opération
remontada.
- Flegmatic