ShiShi et Jonathan Therme éjectés du tournoi sur deux coups étrangement similaires (78e et 77e, 109 400 $ chacun)
Les espoirs du clan tricolore reposent sur Clément Richez et Estelle Cohuet
Il reste 69 joueurs
Main Event 10 000 $ (Day 6)
Scroggins, le grand méchant du film
Dans tout bon film d’horreur, il faut un méchant charismatique. Un personnage cruel dont le regard noir provoque l’effroi, le dégoût. Ce mercredi soir à Las Vegas, il était incarné par Daniel Scroggins. Un rôle interprété à la perfection par le grinder américain.
Une masse aussi imposante que son tapis, un crâne chauve impeccablement rasé, un visage patibulaire, qui hantera certainement les cauchemars de nos héros français. Depuis quelques heures déjà, Daniel fait sa loi en table 600 et écrase sans pitié les audacieux qui se dressent devant lui. Jonathan Therme fait partie de ceux qui ont eu le malheur de se mettre sur sa route.
Open de Jonathan 240 000 au bouton et défense de Scroggins pour voir le flop KK3. Therme fait tout petit, une blinde (120 000), payée rapidement par Daniel. Turn Q, check Scroggins, check Therme et un 4 apparait sur la river. Une blank, a priori, qui inspire un lead 475 000 à Scroggins. Jonathan réfléchit une minute, s’empare d’une pile de jetons gris et l’avance sur le tapis, pour un raise à 1 600 000.
Le grand méchant grimace, regarde ses jetons, puis en envoie un devant lui en guise de call. Therme révèle alors son AK, que tout le monde pense gagnant jusqu’à ce que Daniel retourne… 44.
Une main invisible, broyant d’un coup d’un seul le stack de Therme, qui tombe sous les 20 blindes. Scroggins, impassible, ramasse les dégâts et passe la barre des 10 millions.
La dame qui pique
On jouait alors l’une des dernières mains du niveau, mais le croupier trouve le temps d’une nouvelle donne avant le dinner break. Shishi ouvre le pot au low-jack pour 240 000 et tout le monde fold jusqu’à ce satané Daniel Scroggins. L’Américain ne semble pas rassasié et prend pour cible l’autre Français de la table, avec un 3-bet à 1 050 000. Shishi paie.
Le flop vient 1026 et Scroggins c-bet pour 750 000. Shishi paie encore. J sur le turn, une carte qui fait ralentir l’Américain. Check et Shishi reprend l'initiative : 1 300 000 pour suivre. Tout le monde est déjà parti diner. Il ne reste que les deux protagonistes et Ludovic Geilish, qui observe derrière la table, ainsi que les spectateurs, majoritairement français.
Beaucoup s’attendent à ce que le coup s’arrête là, l'action et le board semblant en faveur du Français. Mais Scroggins n’est pas du genre à laisser une proie s’extirper de ses griffes : tapis annoncé, pour les 2 600 000 restants à Mika.
Dans un même mouvement, Shishi regarde une dernière fois ses cartes, puis les retourne après avoir avancé une pile de jetons au milieu : JJ. Top set. Il se lève du même coup pour voir le jeu de son adversaire, en espérant ne pas voir de couleur : QQ. Shishi est devant ! 11 millions de jetons au milieu, qui iront vers Shishi s’il parvient à éviter les quelques outs de Scroggins… Q river.
L’Américain a frappé son brelan, qui assomme Shishi, et du même coup le rail français. Tout le monde est horrifié par cette river, qui fait taire tous les observateurs. Sonné, Mikael reste quelques secondes debout derrière sa chaise, le temps de déguster, puis quitte l’espace de jeu déjà vide.
Shishi, une semaine de folie
Évidemment, quelques secondes apres cette river, le moment n’est pas à l’interview, ni même aux commentaires. Mais nul doute que Shishi reviendra vers nous pour évoquer cette sortie effroyable. Dans les prochaines heures, le dégoût laissera peu à peu place à la fierté et le Français réalisera son parcours épique.
Débarqué à Vegas deux jours avant le Main Event, Shishi ne s’attendait à rien. Il voulait simplement vivre une expérience, immortalisée par la caméra de Timothé. Tous les adeptes de Kill Tilt, toute la famille CPiste et tout le poker français ont suivi son odyssée dantesque.
Dès le premier jour, Shishi lançait son Main Event avec un move de génie pour éviter le bust avec full contre carré. Derrière, il grindait toute la journée pour monter un stack de compétition, qu’il faisait fructifier de jour en jour, jusqu’à la démonstration de la bulle. Mika écrasait sa table pour s’inviter dans le cockpit du tournoi et pilotait avec aisance pour planer dans les hauteurs du chipcount.
En observant son attitude à table, ses moves de roublards, sa gestion émotionnelle, personne ne pouvait penser que l’animateur radio jouait là l’un de ses premiers grands tournois. Sur le plus beau du monde, il aura tout vécu. Il a craqué deux As avec deux Rois, il s’est fait craquer deux As avec deux Rois, il a fait tourner la tête de Jason Koon, il a pris deux Rois contre deux Dames pour tomber à deux blindes lors du Day 5… avant cette remontée mythique, qui lui permettait d'attaquer le Day 6 avec cinquante blindes.
C’est le tapis qu’il avait au moment d’engager l’action contre Scroggins. Malheureusement, ce n’est que dans les films que les gentils gagnent à la fin. Cette river n’enlève rien au mérite et à la performance de notre héros CPiste. On le savait bon joueur de cash game, animateur hors pair. Cette transition vers le MTT s’annonce prometteuse. Cette semaine, il a prouvé qu’il avait sa place parmi les grands. Bravo ShiShi. - Fausto
Johnny, Johnny come home
Le retour du dinner break était porteur d'espoirs pour Jonathan Therme. Peu après avoir remis les pieds dans l'Event Center du Horseshoe, le Bordelais trouve un spot de double up : As-Roi contre As-10. Pas d'horreur à signaler, et John remonte autour des 25 blindes. Une ou deux orbites plus tard, il se retrouve en bataille de blindes contre Juan Maceiras. L'Espagnol ouvre à hauteur de 3,5 fois la grosse blinde, et Jonathan défend. Sur le flop A98, l'ancien Team Pro PS fait grossir le pot de deux blindes. Payé de nouveau.
Personne ne s'attend à ce que l'action s'envenime à ce point à l'apparition du 6 turn. Juan s'empare d'une pile des jetons orange d'un million qui viennent d'être mis en circulation et la fait passer la ligne : il ne demande ni plus ni moins que le tapis du Français, soit 3,2 millions. "C'est quasiment deux fois la taille du pot !," s'étouffe Erwann Pécheux dans le rail. Un rail, justement, qui n'en finit plus de grossir, suspendu à la décision de Jonathan. Tout comme la veille, avant qu'il ne claque l'un des (sinon le) hero calls du tournoi, Therme prend tout son temps. Pour repasser l'action dans sa tête, mais aussi observer son voisin de table. "Je n'aimerais pas qu'il me regarde comme ça...," commente Nicolas Plantin, autre curieux tricolore amassé autour de la table. La réflexion est intense : une issue positive à ce call lui permettrait de remonter au niveau de la moyenne. Dans le cas contraire, il n'aurait éventuellement qu'une carte pour le sauver.
La clock est finalement appelée contre lui. Jonathan passe 25 secondes à dépouiller Juan Maceiras du regard. De là où nous sommes alors placés, l'Espagnol ne semble pas bouger d'un pouce. "Five... Four... Three..." Le compte à rebours final démarre. Il n'ira pas à son terme (vous l'avez ?). John avance une pile de jetons et retourne Q9. Maceiras fait la grimace, récupère péniblement ses cartes et montre... J4. C'est un nouveau hero call ! Johnny l'a encore fait ! Il va doubl...
Pas le temps de célébrer. La croupière n'a mis que quelques secondes à sortir la river. C'est un 3. Juan Maceiras a trouvé sa couleur. Exactement comme ShiShi, Jonathan Therme termine crucifié par la dernière carte du board. Exactement comme ShiShi, il a été poussé dans ses derniers retranchements par un joueur agressif, et a pris la bonne décision. Exactement comme ShiShi, son run sur le Main Event s'arrête en cours de Day 6, pour un gain de 109 400 $. Sa première place payée sur le Big One. Son meilleur gain live en dix ans de carrière. Son premier cash à six chiffres. Longtemps dans l'ombre de certains de ses très bons amis qui empilaient les perfs aux WSOP et ailleurs, celui qui a basiquement appris à jouer à Romain Lewis est passé en pleine lumière durant ces six jours de tournoi. Impressionnant par sa composition à table, bluffant de justesse dans ses lectures, capable d'aspirer à lui les jetons avec une régularité désarmante, sans jamais avoir à montrer ses cartes ou presque, ce féru de poker live a prouvé, si besoin était, qu'il est taillé pour ce genre d'événements. Cette maudite variance l'a empêché de transformer cet excellent deep run en quelque chose d'encore plus grand. Mais on sait que l'expérience accumulée durant cette semaine lui sera utile pour repartir de plus belle, et encore plus fort. GG Johnny ! - Flegmatic