La bulle éclate au petit matin dans une odeur de napalm frais
Main Event 10 000 $ (Day 4)
Un café bien noir, deux œufs “sunny side up” et une bulle de Main Event WSOP. Voilà le menu pour le petit déjeuner de ce 10 juillet. Après avoir dormi quelques heures, 1 518 joueurs avaient rendez-vous ce midi pour le moment fatidique. Parmi eux, neuf participants allaient rester sur le carreau.
Les dizaines de shortstacks revenus avec moins de dix blindes ont débarqué la goutte au front. Après quatre jours de bataille acharnée, de swings et de sueurs, pas question de repartir bredouille.
Avec 24 000 jetons au départ de la journée, Clément Cure sentait cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Avec trois blindes devant lui, le jeune homme est le dernier Français apparaissant au chipcount. Avant même le début de la partie, une décision pourrait sceller son sort : le placement du bouton. « J’ai chatté, s’exclame Clément, en apprenant qu’il débute la journée en tant que CO. J’ai calculé, après les blindes, il me restera 3 000 jetons. Ça devrait le faire » estime le grinder de Rozvadov, qui commence à tank-fold ses premières mains. « Je viens de folder un monstre, A-K suité » se félicite le joueur. La session “paillasson” peut commencer.
De l'art de stall
Cet exercice nécessite une grande maîtrise technique. Au moment de parler, le short-stack reste droit, le torse levé, les yeux rivés sur la clock. Il observe les secondes s’égrainer, et ne baisse les yeux que pour regarder ses cartes, deux ou trois fois, à intervalles réguliers. Quand il sent que ses adversaires s’impatientent, le joueur gratte encore quelques secondes puis rend ses cartes, le sentiment du devoir accompli.
Le temps vaut de l’argent, mais n’a pas la même valeur pour tout le monde. À l’autre bout de la salle, Rabah Aït Abdelmalek est lui aussi shortstack, et espère bien accrocher l’ITM. Cependant, tanker comme une statue et laisser ses adversaires s’essuyer les pieds sur son petit tapis, très peu pour lui. « Si j’ai une main, j’envoie » annonce Rabah, qui ne va pas faire le lâche au moment de découvrir As-Roi UTG. Tapis, payé par deux Rois en MP. Pan ! L’As au flop et voilà comment faire l’argent du Main Event sans besoin de faire l’acteur.
Tout le monde n’a pas la réussite de Rabah. Parti avec 231 000 jetons, Tristan Forge semblait hors de danger. Il trouve même un superbe spot de double up au moment où le chipleader de la table le 4-bet avec As-Valet. Payé par deux Barbus, As au flop, Tristan est éliminé en 1 511e position (photo).
« Lancez le main-par-main ! Vous n’allez pas laisser 1 500 personnes "staller" » hurlait Jason Mercier quelques minutes plus tôt. Les souhaits du champion américain sont enfin exaucés. Après une demi-heure de nage en eau libre, les superviseurs dressent les lignes et posent les filets. Charlie Ciresi boucle le périmètre et ordonne aux joueurs de rester campés dans leur tranchée : la guerre va commencer.
Assaut, offrandes et hara-kiri
À chaque explosion, les floors donnent l’alerte pour diriger les caméras vers le lieu du sinistre. Les journalistes déboulent à toute vitesse. Tel Attila et sa horde, l’armée noire des Pokernews et PokerGO déblaie tout sur son passage, armés de leurs énormes steadycams, obligeant même les croupiers innocents à se mettre à couvert.
Quelques-uns des impitoyables soldats de l'armée noire
« Ils sont arnachés comme Terminator. Ils se croient tout permis ! » s’emporte un couvreur français, à deux doigts de se prendre un coup de boitier. Pour ne rien arranger, les joueurs aussi veulent voir de leurs yeux le dernier affrontement et barrent la route à cette myriade de couvreurs et caméramen. « RESTEZ À VOS PLACES !!! » rugit l’un des floors managers, exaspéré par tant de désordre et menaçant de pénalité ou d’expulsion les joueurs récalcitrants.
Cette violence se justifie par un impératif : il faut absolument capter la main qui fera péter la bulle du tournoi.
Un premier "all-in & call" en section “Red”. Il ne s’agit pas d’un short stack, mais de Davor Bojovic, un tapis moyen qui a tout mis avec As-Roi sur un board AK106. Pas de chance, il y avait 1010 en face pour un brelan. Brique river, et de un !
Dix minutes plus tard, la percée des caméras se fait en section “Blue” où un joueur est à tapis blinde. Le chipleader de la table l’a mis à tapis avec A5. Paul Tong n’a pas encore vu ses cartes : 103. Pas de miracle sur le board A-Q-8-J-6… Et de deux !
Paul n’a pas eu la même chance que son homologue de la table voisine. Également à "tapis-blinde", Amin Hosein a eu le plaisir de recevoir… un walk ! « On lui a offert un walk puisqu'au lieu de stall comme tout le monde, il a joué rapidement toutes les mains » explique le joueur au siège 5, assumant parfaitement la collusion collective de la table.
Bubble-boys en trouple
La main suivante accouchera d’une série de double-up. Il manque encore un busto pour entrer dans l’argent. Nous en aurons trois pour le prix d’un. Première grenade lancée en table 411 où Jeppe Bisgaard et Jonathan Mc Caan ont formé un pot de 600 000 jetons pré-flop avec les deux meilleures mains du poker. Pas de Roi sur le board, Jeppe Bisgaard est out !
Quelques tables plus loin, Yueqi Wang (photo) a décidé de jouer la bulle de son tournoi sur un flip. Mais pas celui qu’on croit. Sur un board 6K9K6, la joueuse a lancé une pièce en l’air pour savoir si elle allait payer ou non avec son A8. Le lancer est tombé sur le côté “call”. Dommage, il y avait carré de six en face chez Mikayi Kudo. Yueqi prend la sortie.
Le dernier coup est plus cocasse. Tandis que toute la table attend que les deux premiers “all-in & call” en terminent, Eric Fields en profite pour appeler sa maman. « Je suis à la bulle du Main Event, j’ai pensé que c’était le bon moment pour faire un FaceTime » explique l’Américain en tournant l’écran de l’iPhone vers la quarantaine de journalistes présents pour qu’ils puissent saluer sa mère.
« Puis-je montrer ma main à ma maman ? » demande Eric en direction des floors, qui ont obligé comme toujours les joueurs à ne pas révéler leurs cartes. Fields montrera finalement QQ contre AK et la maman assistera en direct au double-up de son fils, qui élimine son opposant Peter Nigh (photo).
Trois bustos d’un coup, rassemblés par Jack Effel autour d’une table annexe pour un dernier coup à tapis : celui qui gagne obtient son ticket gratos pour le Main Event de l’année prochaine. À ce petit jeu, Jeppe Bisgaard est le plus veinard. Les trois joueurs repartent avec 10 000 $ chacun (deux fois 15 000 $ divisés par trois) et lui avec un ticket à 10 000 $ en bonus. Fair enough.
De son côté, Clément Cure, a réussi sa mission. Pour son premier Main Event, le jeune grinder atteint l’argent… avec 3 000 jetons. Moins d’une demi-blinde. Ça suffira largement pour repartir à l’assaut. « Maintenant, on va essayer d’écrire l’histoire », déclare notre héros français, prêt pour la remontée fantastique. Avant d'être suivi par le traditionnel et tant attendu refrain de Jack Effel : « Congratulations, you are all in the moneyyyy ». La guerre est terminée.