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Dans la tête d’un Player of the Year

- 2 juillet 2023 - Par Fausto

Il est l’une des sensations de ces WSOP. À force d’enchainer les perfs et tables finales dans différentes variantes, Michael Rodrigues touche du doigt l’objectif presque inatteignable qu’il s’était fixé en début de festival : jouer le titre du Player of The Year. Une course prestigieuse et dangereuse, réservée à la crème des grinders. Encore runner-up hier du PLO8, le Portugais accroche pour l’instant la roue de Shaun Deeb, mais reste dans le rétroviseur de l’autre phénomène de ces WSOP, un certain Ian Matakis.

Rodrigues

Il y a un mois, Michael Rodrigues n’attirait ni les foules, ni les projecteurs. Il faisait seulement partie de ces bons regs qu’on voit deep run de temps à autre, tantôt sur les EPT, un peu sur le circuit français. Pour autant, avant l’année 2023, aucune victoire de marque, aucune table finale de prestige n’était inscrite à son palmarès. Après un mois de Vegas, Mika est désormais champion du monde et quadruple finaliste WSOP. En 12 ITMs il a cumulé plus d’un demi-million de dollars. Soit près du double de ce qu’il avait jusque-là amassé dans toute sa carrière.

« Quand je vais revenir en France, je vais me réveiller » déclare le joueur, faisant référence à cet enchainement de perfs démentiels, qu’il a du mal à quantifier, à réaliser.

Au-delà des dollars encaissés, Michael Rodrigues démontre depuis le début de festival sa polyvalence dans toutes les différentes formes de poker. Un premier titre en Badugi, variante qu’il jouait pour la première fois en Live, et pour la deuxième fois de toute sa carrière. Une 7e place en Deuce-To-Seven, un jeu de “Draw”, sur la version à 1 500$… Avant de répéter la performance, trois jours plus tard, sur la version Championship, dont il terminait 3e pour 139 048 $.

Rodrigues

Ce vendredi, ce n’est plus avec cinq, mais avec quatre cartes en mains que le Portugais a fait des étincelles, sur un jeu qui n’a rien à voir avec les deux premiers : le PLO8.

« Je pensais qu’il était pour moi ce deuxième bracelet. J’avais 17 millions, quand les autres en avaient dix à eux deux, rappelle Rodrigues. Mon adversaire a tout touché sur les derniers coups. Je partais avec nut-low et un gros tirage high et je ne prenais qu’un quart du pot ou bien je me faisais scoop ». Le Portugais sait qu’il n’a pas trop le droit de “whine”. La déception du doublé est toute relative. « 2e devant 1 100 joueurs pour 160 000, je ne vais pas me plaindre ». 

Après son titre en Badugi, Mika se présentait à nos micros comme « un joueur de cartes ». Un grinder formé à la dure, capable de se défendre sur tous les terrains. Pour ces décathloniens du poker, il existe une compétition toute trouvée. Un classement qui récompense justement les meilleurs joueurs de cartes, qu’ils en tiennent deux, quatre, cinq ou sept : Le prestigieux Player of the year.

POY

A l'instar des Chris Ferguson, Jason Mercier, Mike gorodinsky ou Shaun Deeb, les vainqueurs du POY scrutent à jamais les joueurs se ballandant dans les salles et les couloirs des WSOP

« Cette saison, je suis venu pour 50 Jours, avec un objectif personnel bien particulier en tête, et assez élevé. Je le dirais pas maintenant, mais pour te donner un indice, cet objectif s’achève le dernier jour du festival » déclarait Mika le lendemain de son titre. Le joueur n’a plus besoin de nous le cacher : il comptait dès le départ combattre pour le titre du “POY”. 

Un pari bien audacieux pour un joueur qui n’avait jusque-là aucune finale, ni même de vraies perfs sur les World Series. Un grinder Portugais dont la plus belle perf ne dépassait même pas les six chiffres. Pouvait-il vraiment combattre dans la course des Shaun Deeb, Dan Zack, Josh Arieh, Brian Rast et compagnie ? Des hommes qui ont déjà fait tomber les bracelets et les millions de dollars de gains ? Oui.

Deeb

Michael a rapidement fait son apparition dans le classement, son titre en Badugi le plaçant même dans le Top 10. Après ses deux finales en Deuce-To-Seven, Mika approche même la barre des 2 000 points et se positionne comme un prétendant sérieux.

Avec désormais une victoire (sur 516 joueurs), une deuxième place (sur 1 125 joueurs), une 3e place (sur un Championship de 113 joueurs), plus une quatrième finale, Mika se classe provisoirement en 3e position dans ce fameux classement, “seulement”. La faute à un Shaun Deeb toujours aussi monstrueux de régularité (14 ITM, 4 finales, 1 titre sur le 8-game mixed). Mais aussi à un invité surprise. Un certain Ian Matakis, grinder américain relativement random, et qui, à l’instar de Rodrigues, vient de réaliser en trois semaines autant de résultats qu’en six ans de carrière.

Matakis

Jusque-là inconnu au bataillon, Ian Matakis déroule sur ces WSOP en deep-runant absolument tous les tournois sur lesquels il s'aligne.

15 ITMs, 3 TF, 1 victoire. Ajoutez-y une 15e place sur le Milly-Maker (plus de 10 000 joueurs et trois autres Top 20), et ça vous fait un total de 3 338 points. Et contrairement à Shaun Deeb, Monsieur Matakis ne joue pas de gros buy-in. Un seul 5 000 $, grand maximum, où il a fait ITM, avant le 5 000 $ 6-max… Dont il terminait 7e hier soir.

« C’est incroyable ce qu’il fait ce Matakis. Alors que personne ne le connait. Tout le monde ne parle que de Shaun Deeb, alors que c’est lui qui a toujours été devant » commente Michael Rodrigues, admiratif de ce joueur qui deep run tous les tournois dans lesquels il rentre. « Je vais peut être aller combattre dans la cour de Ian, qui prend les points que sur les petits buy-ins. Au moins, sur ces tournois, tu es sans pression ».

À voler trop près du soleil, on peut se bruler les ailes

Rodrigues

Si la course au POY est réservée à l’élite des grinders, c’est parce qu’elle peut s’avérer dangereuse… Et extrêmement coûteuse. Pour prétendre au titre, il faut jouer un volume monstrueux. Chaque jour-off est une opportunité laissée à vos concurrents de vous dépasser. Les plus gros buy-in rapportant plus de points, il est largement conseillé de joueur les 10 000 $ et plus, d’autant que les fields réduits permettent de multiplier les tables finales. Et si le run n’est pas au rendez-vous, la facture peut être salée.

Installé dans le Top 3 provisoire du classement, Michael Rodrigues a voulu mettre toutes les chances de son côté en tentant des shots sur des gros, voire des très gros buy-in. Sa réussite en mixed-game l’a même poussé à tenter le Poker Players Championship à 50 000 $. Plutôt couillu pour un homme dont le cœur de buy-in est davantage les 1 000 - 2 000. « J’ai aussi mis deux bullets sur le PLO 25 000 $, affirme Rodrigues. En une semaine, j’ai drop une tonne. Ça m’a servi de leçon : j’ai appris que je ne ferai plus ça ». Avant de se bruler les ailes, Mika aura appris le mythe d’Icare, remixé à la sauce grinder.

Match à trois dans la dernière ligne droite

La perf à 160 000 $ tombe donc à point nommé pour refaire le plein de roll et de confiance, à l’aube des deux dernières semaines de tournois.

Rodrigues

« Chaque année, le titre se joue autour des 4 500 » déclare Michael Rodrigues, qui planifie soigneusement son calendrier de tournois en fonction de la course au POY. Les gros buy-in rapportent plus de points, accrocher une finale est plus envisageable, mais un deep-run sur un large field permet aussi de scorer gros. Pour ce samedi, ça sera le Turbo Super Bounty à 10 000 $. Et si le run n’est pas au rendez-vous, on se rabattra sur les mixed-games, puisque juste après l’entrainement réussi sur le PLO8 1 500 $, la version Championship, à 10 000 $, est programmée à 14H.

Mais pourquoi jouer cette course, dont le carburant se paie en centaine de milliers de dollars ? Y a-t-il un prix, une récompense, un trésor qui justifie qu’on se lance corps et âme dans cette course ? Absolument pas. Hormis un siège pour le prochain Main Event (d'une valeur de 10 000 $) et une belle photo affichée dans les couloirs du Horseshoe, le titre de POY couvre le vainqueur de gloire plutôt que d'or.

« Je ne joue pas au poker pour l’argent, affirme Mika, aussi éclectique en poker qu'en entrepreneuriat. À côté, j'ai diverses sociétés dans divers domaines... Comme dans les cartes, on touche à tout. Le "Player of the Year" le fais parce que je joue à tous les jeux. C’est pour le prestige. Et puis, voir un Portugais dans ce classement devant tous les Américains, ça serait rigolo ».

POY

Actualisé quotidiennement, le classement place pour l’instant Ian Matakis en pole position avec 3 709 points. Shaun Deeb sui avec 3 358, tandis que Mika complète le podium provisoire avec 3 279. Le trio dispose d’un petit matelas d’avance sur le gang de poursuivants, composés des Chad Eveslage (2 titres), Chance Kornuth, Chris Brewer, Jeremy Ausmus, Josh Arieh ou encore John Monette.

Au vu de la forme de Matakis et de la régularité de Shaun Deeb, Michael Rodrigues ne part pas favori pour la première place. Après tout, un Top 5 serait déjà un énorme succès, n’est-ce pas Mika ?

« Au POY, soit t’es premier, soit t’es rien du tout, répond sèchement le joueur. Top 3 c’est bien quand même, je ne sais pas s’il y a déjà un Portugais qu’il l’a fait (Joao a fait 7e en 2022, son meilleur classement). Là, on est dans les trois premiers, de loin. On va voir ce qu’on peut faire ». Tout juste sorti du 10 000 $ Super Tubo Bounty, Mika revient à ses premières amours, avec un tournoi Mixed-Big Bet mêlant encore des formes de poker bien exotique, notamment le 2-7 Pot Limit ou encore le Poker 5-card draw, plus communément appelé poker fermé. Les derniers tournois distribueront encore de nombreux points, avec bien sûr le Main Event.

« Ça va me faire bizarre de jouer qu’avec deux cartes et d’attendre des heures en foldant » commente le joueur. Après tout, il ne manque plus qu’une perf dans la plus classique des variantes, pour parachever le feu d’artifices Rodrigues.