Event #53 : 1 500 $ Millionaire-Maker
Il a pris deux bonnes heures pour digérer sa défaite en heads-up. Difficile cependant d’user le mot “défaite” quand on vient de remporter un million de dollars. Le bracelet lui a échappé de peu, mais dans le poker français, cette perf résonne comme une victoire. Elle constitue d’ailleurs le septième plus gros score réalisé par un joueur tricolore dans toute l’histoire des WSOP.
Cet exploit émane d’un homme bien connu du circuit, un visage que l'on voit, ou plutôt une voix que l'on entend depuis plus de douze ans. Florian Ribouchon n’est en effet pas connu pour avoir la langue dans sa poche. Quand il s’agit de balancer les vannes ou les chants avinés depuis le rail, il fait même partie des tous meilleurs. L’exercice de l’interview l’excite un peu moins. Avant de rejoindre justement le rail de Julien Sitbon, qui enchaine sur une nouvelle finale, quelques minutes après la sienne, Ribouchon a tout de même pris le temps de se livrer à nos micros. Il revient sur cette perf à sept chiffres, après douze ans de circuit, de hauts, de bas, de redressement et de plafonnements. Un score qui ne changera pourtant rien à ses habitudes, sa nature et à son côté “bralnleur” parfaitement assumé, loin du discours et des ambitions de high-stakers.
Florian, comment te sens-tu après cette journée de poker ?
Un peu déçu, forcément. Ce n'est pas souvent qu’on est en heads-up d’un bracelet. Mais bon, il avait beaucoup d’avance. Et comme me disait Tonin (Teisseire) s’il y a un tournoi où c’est cool de faire deuxième, c’est celui-là. Il y avait tellement d’écart entre la troisième place et la deuxième place (350 000 $, contre “seulement” 200 000$ entre le 2e et le premier). J’avais l’objectif bracelet. Je savais que ça n’arriverait que dans quelques scénarios parmi tous les scénarios possibles. Finalement, je finis deuxième et je prends un million, il y a pire comme vie.
Tu me disais hier que tu étais sortie de précédentes finales avec des regrets. Qu’as-tu pensé de ta prestation aujourd’hui ?
Il y a cette dernière main ou je ne sais pas trop. Mais il était fort et il avait je ne sais pas combien d’avance. Ca ne doit pas valoir grand-chose. Sinon tout le reste, c’était bien. Je me sentais bien. Je n’étais pas stressé, car du moment où j’étais en accord avec moi-même, c’était bon. Les paliers à 350 000 $ ? C’était marrant. Pour moi, ce n'étaient pas des sous, c'étaient des numéros, des points. Je jouais pour des points.
Durant toute cette finale, tu avais des dizaines de potes derrière toi, littéralement. Ils étaient dans ton dos, à chanter, à t’encourager. Qui étaient ces gens et qu’est-ce que ça t’a apporté ?
C'est des gratteurs. Ils étaient juste là pour me gratter des sous. Non, pour la plupart c’est des très bons amis, il y a aussi des potes et même des gens que je connais “vite fait”. Ça fait kiffer, Tu as 60 personnes qui sont là pour toi, et tu sens qu’ils sont sincèrement heureux. Je montais sur l'estrade pour être avec eux pendant les all-in. Ma place, elle est là-bas avec eux. Normalement, c’est moi qui fais ce bruit.
Ribouchon et son rail appelant la river
Ribouchon et son rail après la river
Paul Guichard ne t’a pas lâché d’une semelle. On t’a vu aussi beaucoup parler à Alex Réard pendant les pauses. C'est important, ce soutien ?
J’aime bien tailler les gens mais parfois, il faut savoir faire l’inverse. Envers Alex (Réard), je suis très reconnaissant. Ce n’est pas quelqu’un que je vois tous les jours, mais ça fait dix ans qu’il est dans mon entourage poker. À chaque fois, il a des petits mots, il est là pour te donner des conseils, comme aujourd’hui. C’est difficile d’estimer la value de ces choses-là, mais ça compte énormément. Et puis, la partie s’est finie tôt, mais il était prêt à ne pas jouer le 5k 6-max pour m’encourager jusqu’au bout. Ça aussi, ce sont des signes qui ne trompent pas.
« On va pouvoir mettre du beurre dans les pâtes. Et même du jambon, de la sauce, du parmesan ! »
Avant de revenir sur cette perf’, tu peux nous retracer un peu ton parcours de grinder et sur tes débuts dans le poker ?
D’abord, j’ai joué au foot à un niveau correct. Ensuite, j’ai arrêté, je me suis mis aux jeux vidéo et dans le groupe avec qui j’étais il y en a qui jouaient au poker. Ce sont eux qu’ils m’ont mis dedans. Ils ne sont pas là aujourd’hui, mais je leur suis reconnaissant. Le mec en question saura se reconnaitre. D’ailleurs, on peut dire le prénom, merci Jerem’. J’ai arrêté l’école et j'ai fait une année d’interim. Puis je me suis fait insulter par un patron et je me suis dit “vas-y, plus jamais, je veux plus ça” ». Je me suis mis vraiment dans le poker à partir de 2008, 2009, c’est là que je suis passé pro.
Durant tes douze ans de carrière, tu as fait quelques coups d’éclat, sur des IPO, des WSOP-C Cannes, des WPT Deepstack à Paris… Mais ça faisait quelques années qu’on te voyait moins…
En fait, je me suis fait redresser en France il y a deux ans et demi. Ça m’a mis un petit coup. Donc après ça, je n'étais pas très frais. Là, on va pouvoir mettre du beurre dans les pâtes. Et même du jambon, de la sauce, du parmesan ! Nan, je n'étais pas très frais, mais ça va mieux maintenant. Depuis hier ça allait mieux déjà.
Je ne sais pas si tu te souviens, mais l’année dernière en sortant du Main Event tu me disais…
Je sais très bien ce que tu vas me dire. J’étais sorti du Main Event et je t’avais dit “ça casse les couilles de pas être millionnaire”. Je m’en souviens très bien et j’y pensais même tout à l’heure. Pour autant, j’ai gagné 1 million, mais je suis encore loin d’être millionnaire. Enfin, je suis millionnaire jusqu’à ce que je paye les autres. Ceux qui m’ont acheté de l’action.
On peut dire que je suis millionnaire de cœur. Qu’est-ce que ça fait ? Comme dit Zidane, c’est bieng. Non, ça fait plaisir. Même pour les gens qui ont mis des sous sur moi depuis des années, c’est cool de pouvoir leur redonner. Parce qu’en fait, je ne serais pas venu sinon.
« Les blaireaux qui font des 100K en mangeant des graines, ce n’est pas moi »
Ça va changer quoi ce score ?
Pas grand-chose. J’ai monté plusieurs fois pas mal, j’ai re-dégueulé plusieurs fois pas mal. Je pense que là, j’ai compris, je n'ai plus envie de refaire de la merde. Je vais essayer de faire bien.
C’était quoi, du spew, de la mauvaise gestion de BRM…
Tout. On vit bien ici.
Est-ce que ce genre d’accomplissement faisait partie de tes objectifs ?
Faire une “TF” WSOP, oui. Gagner 1 million, non. Ca n’arrive jamais ça normalement. Je ne joue ni de 25k, ni même des 10 ou des 5k. Je n’ai pas vraiment d’objectifs à accomplir particulièrement.
Tu renvoies un peu cette image de joueur kiffeur, un peu en dilettante, ce qui est assez paradoxal dans un monde qui requiert énormément de travail, de discipline, que tu fournis surement par ailleurs ?
Pas trop non. Je suis un branleur moi. J’ai quand même un peu d’autres revenus à côté, ce qui me rend branleur. Si je ne les avais pas, peut-être que je me serais plus bougé le cul. Si je veux continuer à jouer et que le poker soit mon activité principale, il faut que je redevienne bon. Parce que je sais que depuis les dernières années, j’ai pris du retard c’est sûr. Il y a plein de mecs qui sont meilleurs que moi. Même les solvers. J’en fais un peu, mais quand j’en fais une heure, les autres ils en font vingt.
Est-ce que tu as envie de rattraper ce retard ?
Je pense qu’il faut trouver le juste milieu. Les blaireaux qui font les 100k là, en mangeant des graines, je ne ferai pas ça, c’est pas moi. Me remettre à niveau, ça oui. Je ne vais pas me mettre à jouer les tournois où je ne serai pas bon. Soit tu progresses en travaillant, soit tu restes à ta place à jouer les tournois moyens. Moi ma place, c’est de jouer les 1 000, 1 500, peut-être les 2 000, je ne suis pas perdu encore. Il y en a souvent qui pète les plombs après avoir fait un gros score, ils pensent être les meilleurs du monde. Je suis aussi fort qu’il y a cinq jours, je suis juste un peu plus frais, j’ai chatté un tournoi de 10 400 joueurs. Il faut savoir rester à sa place.
Propos recueillis par Fausto Munz