Le cash game pour la vie
Arrivé à Sin City depuis quelques heures à peine, le Français est embourbé dans un jet lag de qualité supérieure. « J'arrive de Dubai », précise-t-il, « c'est onze heures d'écart avec Las Vegas, difficile de faire plus de décalage horaire ! » Sa matinée, il la commence au Tableau, un restaurant du Wynn. « Il ne faut pas le dire trop fort, car c'est toujours très compliqué de trouver une table dans cet hôtel... » dit Yoh avec malice, « mais ici, ils font d'excellents petits déjeuners, et mon ami Louis y travaille, ce qui fait que je me retrouve souvent en terrasse. » Son téléphone vibre. Un message en provenance d'Eric Persson, un businessman détenteur de plusieurs casinos. « Il lance une nouvelle série de cash game high stakes streamée » reporte Yoh, « il m'invite à sa grande première mercredi. » Les blindes ? 100 / 200 $.
« Le cash game, je pense que c'est le moyen le plus efficace pour un joueur professionnel de gagner sa vie » analyse Yoh. « À mon sens, le taux horaire est trois à quatre fois supérieur par rapport aux tournois, et ce n'est pas vraiment dit dans les médias traditionnels. » Il poursuit : « Quand j'en parle avec d'autres pros, la plupart sont en accord avec moi. Et puis tu peux choisir quand tu commences, quand tu termines, être off plusieurs semaines si tu n'as pas envie de jouer... Cela offre plus de liberté. » Eric Persson ne tarde pas à confirmer : YoH sera bien de la partie. « D'ailleurs, un conseil pour ne pas transporter d'argent à Las Vegas : les casinos peuvent émettre des chèques-casino encaissables uniquement par la personne bénéficiaire, et ce dans n'importe quel casino. C'est avec ça que se déplacent les gros joueurs, pas avec des mallettes de billets ! »
Le cash game, Yoh Viral en fait la découverte en 2010 à Paris, à l'Aviation Club de France et au Wagram. « Je jouais aux blindes 1/2 € », se souvient YoH, qui est alors animateur radio. Rapidement, il grimpe les limites, se retrouvant dès 2015 sur les tables 25/50 $ du Bellagio. « Je jouais déjà des pots à 60 000$ ! » confie-t-il. « C'est là que j'ai commencé à raconter mes mains sur les réseaux sociaux, à l'époque c'était sur Facebook. » Son ascension en cash se poursuit. « Je suis devenu joueur régulier des cash games organisées en parallèle des tournois de l'European Poker Tour, je jouais des tables 100 €/200 € avec des milliardaires azerbaïdjanais... » Ayant signé un contrat de sponsoring avec une room online, il se doit de faire le Main Event sur chaque festival. Mais à peine éliminé, il fonce sur les tables de cash sans passer par la case des side events. « Je me suis retrouvé à jouer des pots énormes contre des célébrités comme Gérard Piqué » se souvient-il.
La vie de joueur pro, c'est terminé
Depuis, les chiffres ont explosé. Que ce soit sa bankroll, évaluée à plusieurs millions; les tarifs de son site de coaching; ou le nombre de followers sur les réseaux sociaux. Un domaine où son activité est régulièrement décriée. Yoh Virah s'y affiche volontiers sulfureux et balla, aimant montrer du fric et des cohortes de jeune femmes rarement très vêtues. Sur le chemin menant au casino Paris, où se déroulent les World Series of Poker, le Français nuance néanmoins : « Aujourd'hui, je ne me considère plus comme un pro à plein temps. Je jouerai au poker toute ma vie car je suis amoureux de ce jeu... Mais je n'ai plus le nez plongé dans les solvers. Je veux profiter de ce que j'ai gagné. »
Chaussures rouges de designer, pantalon de jogging confortable, gilet gris zippé jusqu'au cou pour résister à la climatisation, Yoh Viral est en place à table dès 10 heures du matin, un horaire qu'il consulte sur l'unique montre attachée à son poignet. Fut un temps où l'on pouvait le croiser avec trois tocantes aux bras. Le début de partie est compliqué. Yoh perd les premières mains de cette épreuve à 1 500 $ l'entrée. « C'est un tournoi pour me remettre dans l'ambiance » précise Yoh, « j'essaye de repérer les dernières tendances. » À sa table, de nombreux amateurs. Les visages sont fermés, l'ambiance studieuse. « C'est aussi pour ça que je préfère le cash game. On se marre plus. »
À l'issue du confinement, Yoh Miral se décide à mélanger franchement ses activités de businessman et de joueur en lançant les YoH Viral's Games. « J'ai grandi avec High Stakes Poker et Poker After Dark » explique Yoh, « je voulais ma propre émission. » Les débuts sont sommaires : des téléphones filment les cartes des joueurs, qui diffusent en direct les coups sur quatre stream différents. « On aurait pu se faire stream hack ! » se souvient Yoh en rigolant. Puis une société de production prend le relais. « Désormais, on monte parfois aux blindes 400 / 800 €, devant plus de 11 000 spectateurs cumulés. »À table pour se marrer
Déjà implantés à Malte et Rozvadov, les YoH Viral's Games ont récemment connu un nouveau tournage à Chypre. « C'est Triton qui a assuré la production » confie Yoh, « cela va prochainement sortir sur leur chaine ». Le casting ? « On a eu Patrik Antonius et ElkY, entre autres... et je peux spoil qu'il y aura deux pots de plus de 500 000 € qui vont être joués. » Ces parties filmées sont devenues la priorité de Yoh, que ce soit l'organisation ou le fait de les jouer. « J'ai même pour projet de les installer à Las Vegas » confie-t-il, « je suis en pourparlers avec plusieurs casinos. »
« Et dans ces parties, on s'amuse.. ». Sous-entendu : le cash-game, c'est plus marrant que les MTT. « L'idée, c'est de ne pas avoir de commentateur, afin de vivre à fond ce qu'il se passe à table. On se chambre, on fait des jeux comme des bonus quand tu gagnes avec des mains comme 7-2, 8-3... Et je garantis qu'aucune émotion n'est feinte, tout est sincère, c'est un vrai show. Quand on perd 100 000 €, qui qu'on soit, on est en tilt ! »
Son discours est limpide et ses mots soigneusement choisis. Nul doute, Yoh est bien devenu un vrai businessman du poker, avec une communication calibrée. Luttant autant pour monter des jetons que contre le jetlag, ses yeux se ferment à moitié. Adrien, son vidéaste attitré, arrive pour tourner quelques plans. Ses aventures sur le circuit live sont régulièrement publiées sur sa chaîne YouTube sous forme de populaires vlogs. Tombé à dix blindes, Yoh est en pleine souffrance. « Je suis vieux ! Avant, le jet-lag passait tout seul. Là, je suis effondré ! » Il s'accroche tant qu'il peut puis voit ses dernières blindes voler avec As-Dix contre As-Dame. « J'ai fait plein d'erreurs mais ce n'est pas grave » analyse Yoh, « il faut que je retrouve mes automatismes. »La détox des réseaux sociaux
Le chemin menant au parking n'est qu'une succession de bonjours et de poignées de main. Pros, membres de l'industrie, anonymes : il s'arrête pour tout le monde. « Pour être accepté sur les plus grosses parties, le networking est très important. Il faut apporter une valeur ajoutée. De mon côté, posséder une des plus grosses chaines poker du YouTube game est clairement un avantage. » Il poursuit : « Mais il n'y a pas que ça. Souvent, les joueurs de poker ne trainent qu'avec des joueurs de poker. De mon côté, j'aime m'intéresser à de nombreux sujets et rencontrer une multitude de profils, ce qui fait que je suis plus facilement accepté. »
« C'est long, non ? » Le trajet entre le Paris et le Wynn tire en effet en longueur : vingt-cinq minutes au lieu des huit escomptées. La raison des bouchons : l'arrivée prochaine du Grand Prix de Formule 1, qui a déclenché une frénésie de chantiers tout le long du Strip. Peu importe l'heure, tous les trajets prennent deux ou trois fois plus longtemps que d'habitude. De retour à l'hôtel à 17h, Yoh s'effondre sur le canapé. « Habituellement, j'aime bien faire du sport ou un spa. Mais là, je suis crevé. »
Son téléphone est sagement rangé dans sa poche. Depuis cinq mois, l'influenceur poker a pris une décision radicale pour l'influenceur qu'il aime être depuis des années : désactiver tous ses réseaux sociaux. Un comble ? « J'ai plus de temps pour moi, ça fait un grand bien. Les algorithmes sont beaucoup trop développés, ils nous forcent à y passer un temps fou. » analyse-t-il. « Le seul moyen que j'ai trouvé pour la combattre, c'est de désinstaller toutes les applications. » C'est pourtant bien les réseaux qui lui ont permis de construire son image. « Mais à quel prix ? » interroge Yoh. « Oui, cela permet de gagner un peu plus d'argent mais mentalement, c'est dur. On ne fait que de se comparer sur ces réseaux et moi le premier, je le reconnais. Dès qu'on arrive quelque part, la première chose qu'on fait, c'est de filmer. On regarde qui a vu nos stories, qui a like et si une personne ne le fait pas, on ne va pas lui parler mais plutôt l'ignorer. On en oublie de vivre normalement. »Sa détox digitale est censée durer six mois. « Je n'exclus pas de la poursuivre plus longtemps » confie Yoh. « Le seul problème, c'est que je ne veux pas délaisser ma communauté. Il est possible que je passe à un format hybride où je fais des vidéos que j'envoie à mon équipe qui postera. Cela maintiendra le lien sans que je sois moi-même connecté. »
Dubai comme horizon
Admirant la ville à travers la fenêtre de sa suite, Yoh est contemplatif. « C'est vraiment la meilleure ville du monde pour un joueur de poker. Je viens ici trois à quatre fois par and depuis 11 ans et je ne m'en lasse pas. » Il y a deux ans, Yoh a même eu pour projet d'acheter une villa à Sin City. « J'en ai visité 40 ! » se souvient-il. « Et malgré un budget d'un million et demie, il m'a été impossible de trouver. J'en ai simplement vu deux qui me plaisaient et elles sont parties en une semaine. Le marché était totalement saturé. De mon côté, je me considère comme un bon gestionnaire de mon argent, j'ai donc préféré attendre plutôt que de faire un mauvais achat. »
Il y a quelques jours, c'est finalement à l'autre bout du monde – et dans le temple des influenceurs - que Yoh Viral a effectué le premier investissement immobilier de son existence. « J'ai acheté un appartement à Dubai. D'ailleurs, c'est désormais certain, le Wynn va s'implanter à Ras Al Khaimah, à une heure plus au nord. » Prévu pour ouvrir début 2027, il s'agira du premier casino implanté aux Émirats Arabes Unis. Le début d'une révolution. « C'est certain que cela va devenir une place forte du poker mondial » prophétise Yoh. « Tous les circuits vont venir s'installer là-bas. »
« Je descends, sinon je vais m'endormir ! » Toujours en guerre contre le décalage horaire, Yoh sort de sa chambre sur le coup de 19 heures pour retrouver l'agitation du Wynn. Devant le XS, il freine le pas. « C'est une de mes boites préférées, l'ambiance y est dingue. » C'est avec une idée derrière la tête qu'il vit désormais ses escapades nocturnes à Vegas ou ailleurs. Car pour la prochaine étape de sa carrière, Yoh n'aimerait rien moins que de monter dans la DJ booth, et s'installer derrière les platines. « Je ne veux pas forcément gagner ma vie avec ça mais je compte prendre un maximum de kif ! » Après avoir pris quelques heures de coaching avec un DJ réputé, Yoh établit actuellement une stratégie. « Je ne suis pas encore prêt à exposer toutes mes idées mais j'aimerais mêler le côté entrepreneuriat et DJ, un peu comme ce que je fais dans le poker. Quand ça sortira, je pense que ça plaira à beaucoup de monde. »
Pour l'heure, Yoh est à un stade où il profite de la vie, voyageant entre les pays de l'est, la Corée, la Thaïlande, Dubai et son fief maltais. Et à l'heure de conclure sa journée, il aime se rappeler de son mantra principal. « On a qu'une vie et on est là pour se marrer, alors autant en profiter ! »