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Une journée avec... Yuri Szarzewski, des cuisines aux cages MMA

- 26 juin 2023 - Par Harper

Yuri Szarzewski
« L'idée aujourd'hui, c'est de ne pas finir KO. » Dans une arrière-salle intimiste du Syndicate, centre de combat réputé de Las Vegas, Yuri Szarzewski s'équipe. Straps aux pieds, protège-tibias, gants... Et de la vaseline sur le visage. « C'est le seul jour de la semaine où j'en mets, ça risque d'être nécessaire. » Le silence se fait dans la salle. « Sparring pro ! » hurle alors à gorge déployée un golgoth, provoquant l'évacuation des novices encore présents dans l'immense cage. Le visage de Yuri se ferme. Aujourd'hui, c'est un entrainement de MMA pas comme les autres qui attend le Français : il est le seul amateur au milieu d'une trentaine de professionnels. « Vous êtes livrés à vous-même ! » prévient l'instructeur.

La bagarre dans les veines

Il est 11h30 et Yuri salue la plupart des combattants. « Hello, Chef ! » lui répond-on. Car quand il n'est pas en train d'essayer d'étouffer ses adversaires dans une cage, le Narbonnais fait dans la finesse : il est chef exécutif du restaurant gastronomique Partage, situé dans le quartier chinois de Las Vegas. Rien de moins que l'un des établissements de cuisine française les plus populaires de la ville. « J'ai toujours été manuel, débrouillard et autonome » précise Yuri. « Pour aller à l'école, je devais marcher quatre kilomètres tout seul. Et pareil au retour ! » Son grand frère et lui se retrouvent souvent seuls à la maison le soir, ses parents tenant un bar festif ouvert jusqu'à part d'heure. « On était déjà un peu livrés à nous-mêmes » reprend-il avec le sourire. C'est néanmoins bien avec sa maman qu'il découvre les bases de la cuisine : « à mes 13 ans, je me suis mis à faire des gâteaux, des crêpes, je savais faire quelques sauces... » Alors quand l'école ne fonctionne pas, c'est logiquement vers la restauration qu'il se tourne. « Mais j'ai prévenu mes parents :  je visais déjà l'élite de la cuisine, je ne voulais pas faire de la popote. »

L'élite, il la fréquente aussi dans la séance de Mixed Martial Arts qui nous occupe aujourd'hui. Un sport si violent qu'on peut apparenter au free fight, avec son mélange d'affrontement à distance pieds-genoux-poings mais aussi la possibilité de lutte au sol. Pour résumer les règles : à peu de choses près, tout est permis. Dans la salle sont présents Merab Dvalishvili, Alex Perez, Khalil Rountree ou encore Jamal Pogues. Des pontes de l'UFC, la ligue mondiale la plus reconnue de ce sport. « Je suis ici grâce à mes connexions » reconnaît Yuri, « mais je n'aime pas rester à la traine et maintenant il m'arrive de titiller tous ces pros. » Jeune, le petit Yuri est déjà bagarreur. « Avec mon frère, on regardait Rocky et après on mettait les gants pour se taper » se souvient-il avec nostalgie. Son frère quitte le giron familial alors que Yuri a 13 ans, pour vivre une brillante carrière de rugbyman : 83 caps pour Dimitri Szarzewski et une finale de la Coupe du Monde en 2011 au sein de l'équipe de France. Yuri, lui, navigue entre le rugby et le handball. Mais à niveau amateur.

Yuri Szarzewski
C'est en cuisine qu'il trouve sa vraie vocation en rejoignant L'Ambassade, un gastro à Béziers. « Je passais alors mon BEP en alternance » précise Yuri, « trois semaines dans l'établissement, une semaine à l'école. » Il est immédiatement plongé dans l'ambiance des grands restaurants : costume-cravate et rasage de près obligatoires. « J'aime la discipline et la hiérarchie » confie Yuri. « Je suis toujours à l'écoute de quelqu'un qui a quelque chose à m'apprendre. Aux États-Unis, c'est différent, il faut une approche plus amicale, sinon ça ne fonctionne pas... » Yuri, lui, vit l'expérience à 100% : les journées débutent dès 8h et se terminent rarement avant minuit. Au bout d'un an, c'est la surprise. Vieux de vingt ans, le restaurant obtient sa toute première étoile Michelin. À l'école, âgé de quelques années de plus que ses camarades et fort de son expérience, Yuri fait le papa. « J'arrivais dans une voiture cabriolet alors que les autres n'avaient pas l'âge d'avoir le permis, c'était drôle » se souvient-il. Son aisance est telle que le prof de sport lui laisse choisir la discipline qu'il préfère. « On a ouvert un club de boxe avec un pote ! C'était complètement Fight Club, le prof était mort de rire » se marre-t-il.

Les mains dans les étoiles

Dans la salle du Syndicate de Las Vegas, l'ambiance est également digne du film de David Fincher. « Mettez-vous en un contre un, vous donnez 20% maximum » ordonne l'instructeur. Yuri affronte un adversaire dont les oreilles semblent avoir fait connaissance avec une moissonneuse-batteuse. Les premiers coups pleuvent et Yuri se retrouve à terre, immobilisé. Après une minute de souffrance, il parvient à retourner la situation en se remettant sur ses appuis. Sa force de caractère, il l'a aussi utilisée en cuisine. Après son expérience bitteroise, Yuri vit quatre ans entre les Baux-de-Provence et Courchevel où il travaille pour le chef Sylvestre Wahid dans la prestigieuse maison L'Oustau de Baumanière. « J'ai passé un cap, car c'était à l'époque un restaurant doublement étoilé » se souvient Yuri. Mais arrivé en tant que commis, il n'arrive pas à monter les échelons. « Je demandais à être chef de partie [sous les ordres du chef de cuisine et du sous-chef, NDLR] mais ils ont fait trainer le truc pendant deux ans, me laissant à chaque fois miroiter que j'allais prendre du grade. » Un jour, il prend son destin en main et s'en va. Direction Paris.

Yuri intègre alors... Le Bristol. Une étape supplémentaire : l'établissement ne possède pas deux, mais trois étoiles. Le chef Éric Fréchon s'y montre intransigeant. « C'était militaire, la pression était énorme » reconnaît Yuri, « j'avais parfois la boule au ventre d'aller travailler. » Mais son talent ne laisse pas insensible la cuisine. Logiquement, Yuri demande alors à monter en grade et à ne pas rester commis. Mais le son de cloche est le même : patience, patience. Sentant qu'il va à nouveau devoir poireauter trop longtemps, Yuri prend une décision radicale : il claque la porte. « C'est là que j'ai découvert ma première salle de MMA » se souvient-il. Yuri se prend d'amour pour ce sport qu'il suit depuis de longues années. « Avec mon frère, on regardait ça depuis mes 13 ans » précise-t-il, « on louait les cassettes à Vidéo Futur, j'adorais le spectacle et j’étais attiré par le côté interdit de la violence. »

En pleine recherche professionnelle, Yuri crée en parallèle Cuisine Lib', un concept de restauration à domicile, en compagnie de son ami Alexis Braconnier, ancien candidat de Top Chef. « On s'est beaucoup amusés, mais ça n'a pas pris » résume Yuri. Obligé de faire des extras pour gagner sa vie, il finit par se faire repérer au restaurant étoilé Jean, où il obtient son premier rôle de sous-chef. « Enfin, j'ai pu apprendre un poste que j'ai longtemps attendu » se souvient-il avec joie. « Je créais les menus, je sortais rencontrer les gens, c'était parfait pour moi. » Mais les horaires sont une nouvelle fois crevants. En 2014, l'entrepreneur Nicolas Kalpokdjian se rapproche alors de lui : « Tu n'en as pas marre de la vie parisienne ? » Yuri ne peut qu’acquiescer. Lorsque Nicolas lui parle de Las Vegas, ses yeux se mettent à briller. « J'ai juste demandé à visiter la ville avant d'accepter. Il m'a emmené deux semaines et m'a montré tout ce qu'on pouvait voir à Vegas, les casinos, les bons restaurants, les pool parties... Et aussi le poker. J'adore, j'y joue à niveau amateur depuis mes 18 ans. Résultat : on est jamais repartis de Vegas... »

Partage de passion

Yuri Szarzewski
Au Syndicate, l'intensité grimpe. À tel point que l'instructeur interrompt la séance. « Vous n'êtes pas ici pour vous mettre KO ! Soyez respectueux envers vos sparrings ! » Les rounds de trois minutes s'enchainent, le bruit des coups de pieds est d'une violence inouïe et plusieurs se retrouvent à terre, un pied autour du cou prêt à les étrangler. La scène ressemble furieusement à celle d'un python préparant son goûter. Pour l'heure, le rôle que Yuri semble jouer est celui de prochain repas. « Heureusement, je suis très résistant à la douleur, c'est un de mes points forts. » La fin du round est sonnée et Yuri s'approche, dégoulinant de sueur : « Ce qui m'inquiète, c'est qu'on est qu'à la moitié de l'entrainement ! »

À son arrivée à Las Vegas avec Nicolas et Vincent, chef pâtissier, la bande ouvre d'abord EATT, un restaurant healthy food dont la carte change tous les jours. Repérés par des investisseurs américains, ils créent ensuite leur bébé : Partage, un restaurant de cuisine française proposant un menu gastronomique changeant tous les mois. « Pour la belle histoire, on a fini de payer nos dettes le mois dernier » confie Yuri avec un grand sourire, « c'est désormais le vrai rêve américain ! » L'arrivée sur ces terres est forcément un tournant pour sa passion du MMA. Las Vegas est connue pour être la maison spirituelle de l'UFC. D'abord parce que l'entreprise y a ses bases, et également parce que la ville partage une valeur semblable à ce sport : tout y semble permis. Durant ses six premiers mois aux USA, Yuri s'entraîne presque quotidiennement. Puis un jour, lors d'un banal foot en salle, son genou lâche. « Comme un grand, sur un bête changement d'appui » regrette encore le Narbonnais. Éloigné de tout sport durant six mois, il laisse le MMA de côté à l'heure de lancer Partage.

Puis, il y a trois ans, la carrure hors-normes d'un de ses serveurs l'interpelle. Il apprend qu'il s'agit d'Arthur Dufloo, combattant MMA amateur. C'est le déclic. « Je suis allé voir tous ses combats » confesse Yuri. « Je me suis rendu compte que je critiquais souvent. Je me suis donc dit que je devais m'y mettre à fond, et me donner une chance de combattre à mon tour, pour voir ce que c'était vraiment. » Rapidement, Yuri est de retour à la salle six jours sur sept. Les entrainements sont intensifs mais tout le monde s'accorde à dire que le Frenchie a du talent et qu'il est costaud : clairement, il doit pousser dans cette direction. Yuri est sur un nuage et intègre la ligue Tuff'n'Uff, le tremplin vers l'UFC.

L'heure du premier combat

Yuri Szarzewski
Son premier combat est acté. « Je devais affronter un mec 1-4 » raconte Yuri. Soit : une victoire pour quatre défaites. « Parfait pour se lancer ». Il choisit son identité de scène et trouve rapidement « The Chef », un surnom qui ne le quitte plus dans les salles de la ville. Les semaines avant le combat sont intenses : Yuri doit perdre du poids, gagner en vivacité et se préparer mentalement à sa première entrée dans la cage. « Je n'avais pas peur » confie Yuri sans sourciller. « L'inconnu ne m'inquiète pas, au contraire... Par exemple, j'ai déjà sauté d'un pont de 18 mètres parce que je ne me rendais pas compte de la hauteur. Si aujourd'hui tu me demandes de recommencer, pas sûr que j'y aille... »

La peur va en revanche gagner son adversaire. Au lendemain de la pesée ayant donné lieu à un intense jeu de regards, il ne se présente même pas au combat. « Il s'est chié dessus » résume impitoyablement Yuri. « Mais à ce moment-là, mon monde s'écroule » poursuit-il. « C'est violent une préparation pour un combat, on sait qu'on peut en avoir un au maximum tous les six mois et je voulais connaître ce frisson... » Yuri se demande s'il va poursuivre. Puis vient l'opportunité d'affronter Jacob Vasquez, un excellent kick boxeur débutant également dans le monde amateur du MMA. Au Circa, deux mille personnes sont présentes pour assister à l'évènement qui est également diffusé en pay-per-view sur Internet. « J'ai déjà fait de nombreux concours de cuisine télévisés », compare Yuri, « le public et les caméras, ça me galvanise plus qu'autre chose. »

Yuri débarque dans la salle vétu d'une veste de l'équipe de France. À l'entrée dans la cage, ses yeux se froncent : le voilà transformé en « The Chef », le cuistot bagarreur. « J'étais dans un monde parallèle » confie Yuri. À tel point qu'il se met en danger, voulant terminer son adversaire trop tôt. Après deux rounds sur les trois prévus, les deux combattants sont à 1-1. Tous les espoirs de Yuri reposent sur les deux prochaines minutes. « Là, je me sens vraiment bien » se souvient Yuri, « je le mets au sol, j'ai le contrôle et c'est un sentiment incroyable : je gagne à la décision. » C'est fait : The Chef est désormais officiellement un "1-0". Une victoire, zéro défaite dans le monde du MMA. « À ce moment-là, toute l'adrénaline redescend. Je me demande ce que je vais faire. »

De retour dans la cage le 14 juillet

Dans la cage d'entrainement du Syndicate, Yury fait désormais face à Darryll, un colosse d'1 mètre 91. « Là, je vais morfler... Mais c'est bien, parce qu'il a le même gabarit que mon futur adversaire » confesse Yuri. Son choix a effectivement été fait : il va retourner dans l'arène le 14 juillet prochain à l'occasion d'un combat organisé à l'hôtel-casino Sahara. « Au début, je ne voulais faire qu'un unique combat » dit Yuri avec le sourire, « pour comprendre ce qu'il se passe dans une cage... Mais j'ai envie de connaître ça à nouveau. » Il y affrontera Bobby Newmann, un californien 2-2-0, deux victoires, deux matches nuls, zéro défaite. « Les combats, c'est un peu comme les étoiles en cuisine » poursuit Yuri, « entre zéro et une étoile, il y a un monde, entre une et deux, tu as un super monde, puis entre deux et trois, c'est simplement du peaufinage. Donc si je gagne, il est possible que je m'en satisfasse. En revanche, si je perds, je me connais, il y a peu de chances que je m'arrête là... »

« Time ! » hurle l'entraineur du Syndicate. La session est terminée. « Je ne suis pas trop marqué ? » demande Yuri. « La semaine dernière, je suis reparti avec un cocard ! » Le rythme de ses journées est effréné. « J'ai pris le petit déjeuner avec mon fils puis je l'ai déposé à l'école » raconte Yuri, « c'est le seul moment de la journée où je peux le voir. » L'entraînement terminé, il a tout juste le temps de reprendre une douche avant de rejoindre son retaurant sur Spring Mountain Road. Sur place, Yuri y retrouve ses équipes déjà aux fourneaux et notamment Aymeric, son sous-chef, aux commandes pour la mise en place. Le restaurant est ouvert du mardi au samedi, uniquerment. « Ici, je suis un peu un couteau-suisse » confie Yuri, « c'est notamment moi qui recrute les gens... et qui les vire aussi. » Cet après-midi, la balance penche du bon côté, Yuri donnant des entretiens à de futurs plongeurs en puissance.

Yuri Szarzewski
Avant de voir Aymeric accompagné du chef pâtissier Vincent et de Ludo, autre préposé aux desserts, le rejoindre pour un repas d'équipe pris à 15h30. Au menu : bifteck, pâtes, melon et comté. Un repas de combattant ? « Je peux manger ce que je veux » avoue Yuri, « on brûle tellement de calories à l'entrainement que je n'arrive même pas à consommer chaque jour assez pour être à l'équilibre. » Alors il mange dès qu'il peut. Les préparations se terminent en cuisine et Yuri intercepte quelques mini-pissaladières. Il est 17h30 et les portes du restaurant ouvrent. Comme souvent, Partage affiche complet pour la soirée. Les clients choisissent entre une formule à 5, 7 ou 9 services, arrosés de bons vins français accordés aux plats. En fin de service, Yuri s'autorisera d'ailleurs un verre avec des habitués des lieux. Il est 22h : il s'apprête enfin à retrouver sa maison. Dans quelques heures, il sera de retour à l'entrainement, puis en cuisine. Et dans trois semaines, il sera de retour dans la cage, en quête de sa deuxième étoile.

Harper