Winamax

Une journée avec... Danny, cash-gamer français à Vegas

- 23 juin 2023 - Par Harper

Danny WSOP
« Il faut m'imaginer, moi, soudeur, entrant dans ce bar perdu en Australie afin de jouer au poker pour la première fois... J'étais à des années-lumières de me dire que ma vie était en train de basculer. » Installé à la table d'un fast food du Wynn, Danny a les yeux qui pétillent. Dans quelques minutes, il s'apprête à aller jouer sur les tables de cash game du casino. Section "low stakes", aux blindes 1 $ /3 $, son nouveau gagne-pain depuis un an. Avec son hoodie et sa casquette vissée sur la tête, Danny a tout du grinder modèle. Pourtant, ce Lyonnais garde les pieds sur terre, lui qui s'est trop souvent brûlé les ailes. « Etre pro, ça me paraissait tellement impossible... Alors je vis tout étape par étape. »

Viré de l'école en cinquième

Sa séance de sport terminée (« Je m'entraîne une heure et demie par jour »), Danny rejoint l'un des plus luxueux de Las Vegas. Le décor du Wynn tranche avec l'appartement de son enfance. « J'ai grandi seul avec ma mère. C'était la galère, on n'avait pas du tout d'argent. » À tel point qu'il veut le plus rapidement possible aider son foyer, intégrant l'idée qu'il faut travailler jeune afin de gagner sa vie. « En cinquième, j'ai été viré du collège car j'étais trop turbulent... Ma mère était en pleurs mais moi, je me suis dit que j'allais pouvoir travailler pour monter de l'argent ! »

Danny est envoyé en centre d'insertion et a le choix entre quatre professions - il n'a que 13 ans. Cuisinier ? Ouvrier dans le bâtiment ? Horticulteur ? Soudeur. Il choisit la dernière option. Et là, quelque chose se passe. « À l'école, j'étais le clown de la classe car je détestais ce qu'on faisait. Mais là, j'étais vraiment intéressé. Je restais même pendant les récréations pour me perfectionner. » Son maitre de stage est impressionné : il lui obtient une dérogation pour qu'il puisse travailler en entreprise malgré son jeune âge. « C'était génial de pouvoir acquérir autant d'expérience si jeune. » En quelques années, il obtient des diplômes spécialisés afin de pouvoir définitivement se lancer en entreprise.

« Vous mangez quelque chose ? » La serveuse du Wynn sort son calepin pour noter la commande de Danny. Mais elle sera succincte : « An expresso, please. » Soucieux de ses dépenses, le Lyonnais précise : « Je prépare mes sandwiches avant de venir, comme ça je mange directement à table et j'économise un peu. » Son rapport à l'argent guidait également ses choix au début de sa carrière de soudeur. « J'étais dans une entreprise qui me payait 8 € de l'heure. Je leur demande de me passer à 8,5 €. Ils refusent. J'ai directement démissionné et je suis allé voir une autre entreprise qui était prête de me payer à ce prix-là. » Ce petit manège, Danny le fait jusqu'à ses 26 ans. « En tout, j'ai fait 50 entreprises jusqu'à être payé 13 € de l'heure ! »

Le grand saut à l'étranger

La serveuse arrive avec le café. « Merci », se contente de répondre Danny. Il fait pourtant les gros yeux. « Ce n'est pas du tout un expresso ça, il y a un litre de café, c'est toujours plus avec ces Américains ! » Ce « toujours plus » lui correspond également bien. Alors qu'il parvient à gagner 2 000 euros par mois en France, il se sent à l'étroit. « J'en avais marre, je voulais gagner plus, je me suis dit qu'il fallait que je trouve une solution. » Danny en parle à des amis qui lui conseillent de partir à l'étranger. Pourquoi pas en Australie ?

« Sur le papier, je n'étais pas contre... » confie Danny, « mais je rappelle que je ne suis pas allé à l'école, je ne parle pas un mot d'anglais ! Même ''what's your name?'', je ne sais pas ce que ça voulait dire ! » La réflexion dure un temps. « Un jour, je pète un cable. Je me pointe dans une agence. J'achète un billet. Dix jours plus tard, j'étais parti. » Avec 10 000 euros en poche, le Lyonnais débarque à Sydney, doudoune sur les épaules et deux valises sous les bras. « Il faisait 35 degrés. J'avais tellement chaud... Autour de moi, des buildings de partout. Je ne savais pas où aller. Je me suis demandé ce que je foutais là. »

Danny claque la moitié de ses économies dans l'achat d'un van et fait deux jours de route pour se retrouver dans la ville de Stanthorpe. « On m'avait dit que je pourrais y trouver du travail afin de prolonger mon visa. Mais l'endroit, c'était 5000 habitants perdus au bord du désert ! » Danny ne parle pas plus anglais qu'une semaine plus tôt et ne se déplace qu'avec son téléphone connecté à un site de traduction. Dans un bar, il fait la connaissance de John, un quinqua qui annonce vouloir l'aider. « Je me suis méfié, car personne ne m'avait jamais aidé jusque-là. » Mais le local est sincère, il lui présente la ville et lui offre même de quoi dormir. « Le lendemain, il m'a apporté mon petit déjeuner et m'a dit que j'avais un entretien dans l'entreprise de soudure de la ville. Incroyable ! » Sans parler anglais, Danny réussit à obtenir le poste. « C'était payé 27 $ de l'heure. Dingue. »

Quand soudain, le poker

Danny WSOP
« Je ne vais pas tarder à aller m'assoir en cash » précise Danny en regardant sa montre. Il est 13 h 45. Autour de nous des groupes de jeunes filles vêtues de maillots de bain légers traversent le casino en direction de l'Encore beach club, une des pool parties les plus réputées de la ville. « C'est le weekend, ça veut dire que les tables vont être encore plus belles ! » dit-il sans perdre de vue son objectif. Sa première rencontre avec les cartes, c'était justement à Stanthorpe, son premier point de chute en Australie. Nous sommes en 2013. « J'avais rencontré ce gars, Dennis, et il me saoulait pour que j'aille jouer avec lui un tournoi de poker à 5 $ dans un bar. Mais je n'y connaissais rien moi ! » À force de négociations, Denis finit par convaincre Danny. « J'ai passé la port. Sans le savoir, ma vie venait de basculer » se souvient-il avec nostalgie.

Pendant cette première partie, Danny regarde l'ordre des mains sur une antisèche avant de miser et, logiquement, se fait rapidement plumer. Le jeu lui plait et, de retour à la maison, le Lyonnais regarde des épisodes de High Stakes Poker. Il découvre les Tom Dwan, les Phil Ivey et autres Patrik Antonius. « J'ai tout de suite compris qu'il y avait une stratégie derrière le jeu, ça m'a intéressé mais je ne me suis pas plongé dedans à 100% pour autant. » Un mois plus tard, Danny est de retour au tournoi du bar. Il fait mieu que faire bonne figure : il gagne. « La récompense, c'était 75 $ en tickets conso ! » se marre-t-il.

Danny poursuit son aventure australienne à Sydney. Il trouve un poste dans l'une des meilleures boites de soudure de la ville. Son salaire atteint les 8 000 $ mensuels (5 500 €). « À ce moment-là, tout est parfait. Je kiffe ma vie. » Mais durant des vacances en Thaïlande, c'est le drame : Danny se fait percuter par un pickup truck. Hémorragie interne, double fracture de la jambe et... perte de l'usage de sa main, son instrument de travail. Il a frôlé la mort. De retour en Australie après diverses opérations, son patron lui fait comprendre qu'il n'est plus utile. Danny est dans un fauteuil roulant : il lui faudra de longs mois pour se remettre de l'accident. « Il me manque toujours une partie des facultés de mon coude » regrette Danny, « mais heureusement le reste est totalement revenu. »

Le revers de la victoire

Danny passe à la caisse du Wynn et sort de sa pochette trois jetons noirs de 100 $ qu'il échange contre des piles de 5$. « C'est parti » lance-t-il avant de s'assoir à une table. Ses adversaires ? Uniquement des Américains, entre la quarantaine et la cinquantaine, semblant profiter de leur weekend de vacances à Las Vegas pour jouer aux cartes. « Des baleines », comme aime à les appeler Danny avec assurance. Un statut qu'il a longtemps eu. Après son accident, il quitte l'Australie pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie. « Il me restait 500 $ sur mon compte et je vois un satellite à 50$ pour un gros tournoi... Je le tente et je ne sais pas par quel miracle, je gagne mon ticket. Dans la foulée, je fais le tournoi et incroyable, je finis deuxième et remporte 13 500 € ! »

Danny WSOP
Ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'il a été particulièrement chanceux pour en arriver là. « Dans ma tête, je me suis directement dit que j'étais une star du poker et que je pouvais en vivre. » Danny prend la direction de la Nouvelle-Zélande sans aucune notion de gestion de bankroll et s'inscrit à un tournoi à 2 500 $. Qu'il perd. Rebelote en cash game où il perd près de 5 000 $. « Je ne comprenais pas, j'étais anéanti » se souvient Danny. Son compte en banque au plus bas, il se résout à rentrer en Europe, d'abord pour un passage éphémère à Londres où il laisse encore quelques plumes en cash game, puis en France. On est maintenant en 2018. « Je me suis dit qu'il fallait que je change mon approche du poker. »

Danny se met à regarder des contenus stratégiques, comme les vidéos d'Alex Luneau sur la Poker School de Winamax ou encore celles de Kill Tilt disponibles sur YouTube. « Je n'ai pas touché à une carte pendant plus de six mois » précise-t-il. En parallèle de sa vie d'auto-entrepreneur dans la soudure, Danny se donne alors les moyens pour réussir dans le poker. « J'ai acheté un ordinateur et j'ai uniquement regardé des vidéos de cash game en micro-limites, toujours sans jouer. » Puis arrive le jour où il décide de se remettre dans le bain. « J'ai créé un compte sur Winamax sous le pseudo AlaLyonnaise. J'ai attendu que minuit passe dans la nuit de dimanche à lundi, et je me suis lancé dans le challenge micro-limites en NL2. » Après une semaine de compétition, Danny termine troisième devant des milliers de joueurs.

Le rêve américain

Derrière suivent deux années de rêve où Danny, profitant également du boum du confinement, passe de la NL2 à la NL200, tout en se faisant plaisir sur les tournois MTT de Wina. A la clé : des victoires sur le Magnum, le Tea Time, le Starter, ou encore une seconde place sur un Winamax Series. L'envie de revenir en live est trop forte : il tente sa chance en janvier 2022 à Annecy. Dès son premier essai, il termine deuxième d'un APO 500 pour 11 500 €. « Derrière, c'est le rush de folie. En tout, je prends près de 40 000 € en trois mois de live. »

Sur la table 1 $/3 $ du Wynn, Danny joue un premier pot d'importance. Derrière une relance à 15 $, il paye avec une paire de huit. Le flop tombe QQ4 : mise à 25 $ de son adversaire, payé. Sur un J au turn, Danny voit son adversaire check et il en profite pour miser 20 $. Il est payé et, surprise, sur un 7, l'Américain fait tapis pour 160 $. Danny prend le temps d'analyser son adversaire et finir par engager la somme... Révélation : 10 de pique chez son adversaire qui ne peut que s'incliner. « Et c'est tous les jours comme ça », chuchote Danny tout en postant la main sur son compte Instagram.

Danny WSOP
C'est en août 2022 qu'il met les pieds pour la première fois à Las Vegas. « Ça se passait tellement bien pour moi que j'ai eu envie de revenir sur les tables de cash game où j'étais si mauvais autrefois » analyse Danny, « je me suis dit que j'avais désormais le niveau. » Il choisit le Wynn et prend un appartement à 700 mètres. « En arrivant le premier jour, j'ai halluciné sur le niveau des tables, j'avais l'impression d'être dans un rêve » confie celui qui est désormais ex-soudeur. « Je n'arrivais pas à y croire, je dormais deux heures par nuit et je revenais en me pinçant. » Au bout de dix jours, il ne connait rien d'autre que le trajet entre sa piaule et le Wynn. Mais une floor du Wynn lui fait de l'oeil. « Ah, Sigaey... » lance-t-il avec des étoiles dans les yeux. « On a tout de suite accroché, je suis allé dormir chez elle le soir de notre rencontre et je ne suis plus jamais retourné dans mon AirBnB » se marre-t-il.

Un emploi du temps carré

Depuis, Danny ne veut plus quitter le Wynn et il s'astreint à un agenda précis. « Je suis autour des tables de cash game du mercredi au dimanche, de 14h à 22h. » Depuis son arrivée sur les tables de Las Vegas, son taux horaire tourne autour de 38 $ par heure, avec des pointes récentes à 50 $. Mais il n'oublie pas les épreuves par lesquelles il est passé. « Le niveau pour monter de limites et aller jouer en 2 $/5 $, je l'ai peut-être... mais je ne suis pas prêt dans ma tête. Non, je ne suis pas prêt à perdre 3 ou 4 000 $ par jour comme ça peut arriver quand on joue ces montants. Je suis bien où je suis. »

Sa journée, Danny l'arrête exceptionnellement à 19h avec un bénéfice de 575 $. Il décide de traverser le Strip pour aller s'inscrire à l'épreuve Monster Stack à 1 500 $ des Championnats du Monde. « C'est clairement un plaisir » confesse Danny, « mais désormais je sais ce que je fais ». « Pendant longtemps, j'ai simplement cru qu'il fallait être bon avec les cartes » poursuit-il. « Mais pour réussir, la gestion de bankroll est primordiale, tout comme le fait d'avoir une attitude irréprochable et un mental solide. Tant que je réunirai tout ça, je serai fier de ce que je fais. »

Harper