La première grosse vibration bleue de ces WSOP est signée Sarah Herzali. La grindeuse française a réalisé un deep run exceptionnel sur le 1 500 $ 6-max, se hissant à la 3e place pour un gain de 207 720 $. La Marseillaise valide le plus gros score de sa carrière sur son format de prédilection, un après la victoire retentissante de Léo Soma sur ce même tournoi.
Herzali a rendu les armes contre le futur vainqueur, le Brésilien Rafael Reis, mais 24 heures après, la joueuse ne retient que du positif. Au moment de revenir aujourd’hui autour au Horseshoe, elle arbore toujours ce sourire, qui illuminait déjà sa table finale hier soir. La joie d’une perf XXL, mais aussi du travail récompensé, un an après avoir, enfin, commencé sérieusement à travailler le jeu, sous la houlette d’un certain Pads Leonard.
Fausto : Salut Sarah, qu’est-ce que ça fait de se réveiller aujourd’hui plus riche de 207 000$, dans la peau de finaliste WSOP ?
Sarah Herzali : Je suis très heureuse et très satisfaite du tournoi. Je n’ai même pas eu de sentiment de frustration, par rapport au fait que j’étais proche d’un bracelet que je n’ai pas réussi à avoir. Je me dis qu’il y aura d’autres occasions de le gagner sur un autre Event.
Tu es encore dans l’émotion d’hier ou l’adrénaline est déjà redescendue ?
Je ne sais même pas si j’a eu vraiment le temps de réaliser. J’ai tellement kiffé hier… Et là kiffe encore, je me sens très bien.
C’est l’impression que tu donnais hier. Tu paraissais détendue, tu souriais, on sent que tu as vraiment profité du moment…
C’est exactement ça. Pourtant, je me suis réveillé très stressée. Je n’avais pas trop réussi à dormir, je me suis levé à 4H du matin, comme un hibou. Je sentais un peu la pression d’être si proche, d’autant que j’allais démarrer la journée chipleader. Tu as l’impression d’avoir cette pression en plus de devoir clôturer le tournoi. Et au final, quand je suis arrivée à table, tout s’est envolé.
T'es-tu dit quelque chose avant d’arriver à table pour évacuer cette pression ?
J’ai fait du yoga pendant une heure avant de venir, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour essayer de me détendre. J’ai discuté avec Tom [Jarry], mon mari et il m’aide beaucoup à relativiser. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse du mieux que je pouvais, comme je savais faire et c’est ce que j’ai fait.
C’était ma première finale WSOP. Quand je suis arrivé au Day 3, je savais que c’était à un de mes plus gros deep runs. C’était la première fois que j’arrivais aussi proche d’une perf si conséquente. Je savais qu’il y avait 400 et quelques à gagner, ce qui est une énorme somme.
Pour autant, je ne me suis pas mis d’objectifs en tête, par exemple “il faut que je fasse Top 2 ou Top 3”. Je ne voulais pas “miss” de spot et m’en vouloir sur des mains en particulier. Si je devais bust sur un hero-call, et bien j’aurais bust sur un hero-call, s’il me semblait bon à ce moment-là. Le but, c'était juste de bien jouer.
« Être la première femme à gagner ? Je m’en fous »
Quels ont été les moments clefs de cette finale ?
J’ai été assez card dead dans mon Day 3. J’ai fait une straight flush en demi, quand même. Je n’ai pas gagné beaucoup de jetons, mais c’est kiffant de toucher une quinte flush en demi de WSOP.
Sinon, je n’ai pas eu de set-up, pas de "all-in" pré-flop. J’ai réussi à prendre quelques spots de 3-bet pour me maintenir autour des 13 millions. C’est le stack que j’ai eu tout le début de journée. J’ai surtout eu ce gros coup où je call-muck avec top two paires contre straight [sur un board 4Q9K5]. Ça m’a tué un peu mon stack.
On est 4 left à ce moment-là. Derrière, je me retrouve à batailler avec le shortstack pour la 3e place. J’ai réussi à gratter un palier tout de même, ce qui n’est pas négligeable.
Je suis arrivé chipleader, mais les stacks qui étaient assez proches du mien ont eu la chance de gagner des coups à tapis et de bust des joueurs. Moi je n’ai pas eu ces spots. J’ai éliminé John Monette, mais il était vraiment short, et c’est le seul coup que je joue à tapis avant de me retrouver moi-même en danger. J’aurais pu me retrouver à jouer le titre contre l’Espagnol et le Brésilien, mais c’est ce gros coup qui a changé les choses.
Sur les bords du rail, on entendait des gens mentionner le nom de Vanessa Hellebuyck, première française à avoir remporté un bracelet. Tu aurais pu être la deuxième et la première à gagner sur un évènement “open”. C’est quelque chose auquel tu pensais ?
Absolument pas. En fait, je m’en fous d’être la première meuf à gagner. Je ne fais pas de distinction. Je suis un joueur de poker comme tout le monde. Si j’avais gagné, j’aurais succédé à Léo (Soma) et j’aurais aimé que ce bracelet reste en France. Ça, ça me parlait plus. Je pense vraiment que les Français, on a un avantage sur ce tournoi, parce que c’est du 6-max, , la variante qu’on joue toute l’année online sur Winamax. C’est clairement mon tournoi préféré après le Main. Je vais d’ailleurs peut-être me tâter à faire le 3 000 $ 6-max, que je n'avais pas mis dans mon programme au départ.
C’était la première grosse finale français du festival. Il y avait du monde dans les tribunes, avec notamment les "come on Sarah" qui résonnaient chez Paul Guichard, Florian Ribouchon et plein d’autres grinders français. Ça faisait quoi d’avoir tous ces amis à côté ?
J’ai trop kiffé. C’était vraiment fun. J’étais déjà détendue mais ça enlève le côte un peu trop sérieux de ce genre de table. Pour autant, ça m’a pas empêché de rester focus sur la partie. Mais ça crée une bonne atmosphère, ça rigole et tu te dis que tu fais ce boulot pour ces moments-là. C’est vrai qu’ils sont extrêmement rares, mais ça vaut le coup de les vivre.
Le soutien s’est aussi exprimé en dehors des tables, tu as du recevoir pas mal de messages…
J’ai coupé les réseaux à partir du Day 2. J’essayais de pas voir. C’est juste que je n’aime pas ignorer les gens, ça nécessitait de répondre et je ne voulais pas y passer trop de temps non plus. J’ai rallumé aujourd’hui et j’ai vu beaucoup de messages, parfois de gens que je n'ai pas vu depuis très longtemps. C’est vraiment agréable de voir qu’il y a des gens qui pensent à toi depuis l’autre bout de la planète.
« En vérité, je n’ai jamais vraiment travaillé mon jeu »
Ça fait longtemps qu’on te connait, tu as eu tes perfs, ta période sponsorisée et maintenant vient ce plus gros exploit de ta carrière. Quelle résonance a cette perf après quasi 15 ans de carrière ?
Pour être tout à fait honnête, j’ai quinze ans de poker, mais pas quinze ans de travail du jeu. En vérité, je n’ai jamais vraiment travaillé mon jeu. J’ai beaucoup joué en cash game live, ce qui ne nécessitait pas pour moi de bosser plus que ça. Depuis le Covid, j’ai dû me mettre en ligne. Je ne jouais quasi pas sur les rooms avant. J’étais plutôt médiocre jusque-là. J’avais gagné quelques High Roller sur PMU, mais je pense que j’avais surtout run-good et c'étaient des petits fields.
Récemment, ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai eu la chance d’intégrer le groupe de Pads (Patrick Leonard). Ça fait un peu plus d’un an que je boss avec lui. C’était la première fois que je travaillais le jeu de manière aussi intense et poussée. Je n’aurais jamais pu faire cette perf sans les compétences que j’ai acquises. Il m’a beaucoup aidé techniquement. Le coaching que j’ai reçu, ça n’a pas de prix.
Pour moi, c’est un peu le résultat de cette année de charbon, parce qu’on voit la perf, mais on ne voit pas tout le travail qui a été fourni avant ça.
Est-ce que ce groupe te permet de franchir un nouveau palier, avec de nouveaux objectifs ?
L’objectif que j’avais au moment de commencer le coaching, c’était de monter d’ABI [average buy-in] en ligne. Malheureusement, je n’ai pas eu les résultats que j’espérais. Mais c’est ça qu’est bien quand tu travailles dans un groupe comme ça : ça motive, tu ne lâches pas, tu reviens le lendemain, tu recommences et ça finit par payer.
Qu’est-ce que cette perf va changer pour toi ? Est-ce que ça va te permettre de t’installer sur des limites plus hautes, en allant jouer plus régulièrement les EPT ou plus cher par exemple ?
Je pense que c’est très ambitieux de dire ça maintenant. J’ai assez peu fait de Live cette année, on habite au Royaume-Uni, les frais de déplacements coutent cher. Vegas, c’est un stop obligatoire, j’adore venir ici. Mais pour les EPT, il faut être un peu lucide. C’est cinq tournois dans l’année, le sample est minime, c’est très relevé et c’est beaucoup de variance. Aujourd’hui, à 35 ans, je ne sais pas si j’ai envie de prendre ce risque. Ce qui me motive, c’est juste d’être meilleure. Je veux kiffer quand je joue, et tant que je kiffe et que je m’améliore, je continue.
Vous avez fait quoi après la 3e place ? Vous avez célébré un peu ?
On est juste parti boire un verre avec Tom, un ami et deux copains du groupe de coaching justement. Un grinder roumain, un Français et un autre Slovène. On n’a rien fait de spécial, mais aujourd’hui, on fête nos deux ans de mariage avec Tom, donc on va cumuler les célébrations avec un beau resto ce soir.
Mazel-Tov alors ! Encore un grand bravo Sarah et bonne chance pour la suite du festival.