[Note de la rédaction : vous ne rêvez pas, Harper est de retour dans la section reportages de Winamax ! Les lecteurs les plus fidèles se rappellent avec bonheur de ses chroniques hautes en couleur du circuit du poker pro entre 2009 et 2014. Après avoir lancé le compte Twitter @WinamaxSport avec le succès que l'on connaît, puis dirigé les équipes de Winamax TV, c'est désormais en "free agent" qu'Harper crée du contenu pour Winamax. Libre, mais toujours aussi passionné. En juillet, vous le retrouverez devant la caméra pour des Flashs vidéo très spéciaux en direct des WSOP. En attendant, découvrez sa nouvelle rubrique tout au long du mois de juin : "Une journée avec..." Car Las Vegas, ce n'est pas que les WSOP, Harper vous proposera des récits à la marge, des portraits des personnalités hors-normes qui peuplent la ville aux néons, et une chronique des petites et grandes histoires qui font battre le coeur de la capitale mondiale du jeu. On commence avec un entrepreneur français pas comme les autres. Enjoy ! - Benjo]
Work smart, not hard
Il est 9h30 dans le "concept bar" logé au sein du Planet Hollywood et Reza ne semble pas avoir une seconde de répit, entre des consignes à donner et des cartons à transporter. Parlant vite et avec assurance, cet entrepreneur français résidant à Las Vegas tempère néanmoins rapidement quand on lui dit être un bourreau de travail. « Je suis plutôt adepte du work smart, not hard... Travailler intelligemment plutôt que de façon permanente. J'aime aussi prendre du bon temps. »
Son histoire débute il y a cinquante ans, du côté de Grenoble. Son bac en poche, Reza se lance dans des études de commerce tout en créant parallèlement une société de distribution de flyers dans les discothèques. « J'ai toujours eu cette fibre entrepreneuriale » confirme-t-il avec assurance. Sa société prend rapidement des proportions gigantesques. « Au début, je faisais simplement des flyers pour la discothèque grenobloise où j'organisais des soirées. Toute la ville a fini par me solliciter, puis j'ai terminé par en distribuer dans près de la moitié des 3 500 discothèques que comptait la France à ce moment-là ! » Nous sommes en 2001 : Reza cherche alors à automatiser sa distribution grâce à Internet qui connait ses balbutiements. « C'était trop précurseur par rapport à la technologie à disposition et j'ai arrêté. »
Cependant, sa réussite dans le monde de la nuit se poursuit. Il crée dans la foulée le magazine LINK, photographiant les habitués des boites de nuit. Il occupe ensuite le poste de directeur artistique des Caves à Courchevel, et de directeur marketing du Loft à Méribel où il fréquente notamment un certain Michael Schumacher. Puis, en 2011, il fait son retour à Grenoble où il permet au club Le Phoenix de passer d'une fréquentation de 40 à 1200 personnes en seulement six mois. « Mes idées pour redresser l'endroit, ça a été de faire sentir à chaque client qu'il était unique et de créer un carré VIP » analyse-t-il à froid. Durant cette période de fêtes à Grenoble, Reza croise aussi régulièrement un certain Pierre Calamusa. « Je ne le connaissais que de vue mais il était très célèbre dans les soirées ! »
Un coup à 0,2 %
Puis, en 2014, c'est le coup de poker. « Je n'aimais plus la France dans laquelle j'étais. » Reza a une solution toute trouvée : rejoindre les États-Unis. Depuis 2006, il possède effectivement la double-nationalité américaine. « Un jour, ma mère m'a appelé pour me dire que j'avais gagné à la loterie. Je lui réponds : ''Quoi ? Combien ?'' Elle m'a alors dit qu'il ne s'agissait pas d'argent mais de la Green Card ! » Cette fameuse carte, c'est celle qui permet de résider de façon permanente aux États-Unis pour un non-citoyen. Les chances d'obtenir le Graal en s'inscrivant à la loterie ? Environ 0,2% chaque année. Néanmoins, avoir le précieux sésame ne suffit pas à réussir dans les affaires et les enjeux sont alors grands pour Reza. « Je suis parti avec ma femme et mes deux enfants en bas âge alors que j'avais seulement 25 000$ en poche ! »
Arrivé à Los Angeles, Reza enchaine les boulots dans le marketing et passe même derrière les platines lors de quelques soirées. Puis il découvre Las Vegas. « Ça a été la révélation. J'ai adoré la vie locale qu'on pouvait y retrouver et c'était largement moins cher que LA... Pour donner un ordre d'idée, un appartement de 90 mètres carrés à Los Angeles avec deux chambres et deux salles de bain nous coutaient 2700$ par mois. À Las Vegas, pour une maison de cinq chambres, trois salles de bain avec piscine et une vue incroyable, c'est 2200$ par mois ! » En 2016, c'est le déménagement dans la capitale du jeu. Après un an dans l'immobilier, Reza est contacté par Adrien, un ami de Grenoble venant d'investir sur Las Vegas. Le début de sa grande aventure.
We are the robots
« Adrien m'a dit qu'il venait d'investir dans un bar où c'était des bras robotisés qui servaient les gens ! » Le concept ? Des tablettes tactiles à disposition des personnes entrant dans le bar, la possibilité de choisir un cocktail existant ou d'en créer un soi-même puis le spectacle des deux bras articulés d'un robot effectuant un ballet pour aller chercher les différentes strates du cocktail dans des bouteilles avant de shaker, puis de déposer le verre devant le client.Un idée avant-gardiste à l'image de la bizzarerie propre à Sin City. Placé en plein cœur du Miracle Mile Shops du Planet Hollywood, un giga centre commercial luxueux sur le Strip, le bar peine pourtant à connaître le succès. « Quand Adrien m'a contacté, il m'a expliqué perdre 15 000$ par mois. Il s'en donnait quatre de plus avant de mettre la clé sous la porte et m'a demandé si je pouvais lui filer un coup de main. » Fort de son expérience dans les bars et restaurants, Reza arrive et applique sa stratégie de toujours : réduire les coûts, augmenter les revenus. Les résultats se font immédiatement sentir. « En remerciements, Adrien m'a alors offert 10% des parts de la société. Depuis, je suis chef de projet et general manager du Tipsy Robot. »
Alors que la discussion se poursuit, les deux employés présents ouvrent les portes à 10 heures pétantes. Moins d'une minute plus tard, les premiers client sont déjà présents. « Le meilleur endroit pour ouvrir un bar, c'est clairement Las Vegas ! » glisse Reza avec le sourire. « Les gens boivent à toute heure. Regarde, ils vont prendre leur petite vodka-cranberry et un whisky coca alors que c'est l'heure du petit déjeuner ! » Sa journée, Reza l'a lui commencée bien plus tôt. Un réveil à 5h30 du matin pour manger, faire un peu de sport à domicile puis emmener ses enfants Lucas et Sacha à l'école. Derrière, direction son bar pour faire un point avec ses équipes et dresser l'inventaire. « Il m'arrive aussi de devoir mettre la main à la patte pour réparer le robot » poursuit Reza. « La machine nous a coûté un million de dollars à l'achat. Mais le service après-vente est ridicule : je dois parfois regarder des tutos sur YouTube pour trouver d'où viennent les pannes ! »
The sky is the limit
« Viens, je t'emmène » me dit Reza. Direction une porte de sécurité et un escalier de service pour quitter le Planet Hollywood. Quelques odeurs nauséabondes s'imposent à nous au milieu de déchets qui jonchent le sol. « Dis-toi que j'ai fait passer Alain Ducasse par ici, il voulait découvrir le bar ! » Son gros SUV est garé juste en bas avec, sur la plaque d'immatriculation, un logo de la police de Las Vegas. « Je donne un peu d'argent à leurs bonnes oeuvres... Ça aide en cas d'arrestation ! » confie Reza avec un clin d'oeil. Le Grenoblois s'est bien plié aux standards américains : un permis de port d'arme est glissé dans le portefeuille, la dite arme est dans la boite à gants. Elle n'aura heureusement pas besoin d'être sortie lors du trajet nous menant à l'hôtel-casino The Venetian.
Arrivé en haut du Canal Shoppes, pile à l'intersection entre l'escalator menant au casino et les magasins du canal vénitien artificiel, surprise : un "Tipsy Robot 2.0" en construction. « L'objectif, c'est de devenir une franchise, et on commence par bâtir ce deuxième bar de notre côté. » Avec un emplacement rêvé. « Pourtant, on paye le loyer bien moins cher ici ! Le Venetian voulait absolument nous avoir, on paye donc seulement 13 000 $ par mois alors qu'on débourse 50 000$ au Planet Hollywood. » Ce deuxième bar sera un peu plus petit : 9 tablettes à disposition contre 22 dans la version originale. Mais ce qui inquiète Reza, c'est le retard pris dans les travaux. « On a mangé cinq mois dans la vue. Depuis la pandémie, c'est devenu n'importe quoi... Ca prend 7 mois pour se faire livrer un frigo ! »
USA vs France : le match
L'heure du repas approche. Toujours à 100 à l'heure, Reza lève la tête de son téléphone. « Je t'emmène au Favorite, c'est sur la promenade qui mène à la grande roue, ce sont deux amis français qui le gèrent. » Sur place, Bruno et Seb nous accueillent. « C'est quoi ces pompes ? » lance Seb avec un accent chantant en découvrant le logo du Paris Saint-Germain sur les chaussures de Reza. « Allez, installez-vous. Un peu de vin ? » Reza décline, ce sera une eau gazeuse. « On a fêté mes 50 ans la semaine passée avec une douzaine d'amis. Le Planet Hollywood avait gentiment mis une incroyable suite à ma disposition, c'était dingue ! Mais là, il faut récupérer... »
Un toast à l'avocat avec un œuf poché arrive très rapidement. « Ici, les employés ne comptent pas leurs heures » se satisfait Reza, « c'est vraiment travailler plus pour gagner plus. Ils ont un salaire fixe mais ils gagnent aussi environ 80% de plus grâce aux pourboires. » L'entrepreneur poursuit alors sur la différence entre la France et les États-Unis. « En tant que gérant, il y aussi un grand décalage au niveau des charges sociales. En France, ça peut atteindre 85%. Ici, c'est seulement 12,5%. Et on a une autre chance dans le Nevada, c'est qu'il n'y a pas de taxe étatique alors qu'en Californie, elle est de 12,5% par exemple. À la fin de l'année, ça fait une grosse différence ! »Vegas : magique mais dangereuse
Le repas nous est gentiment offert par les amis de Reza. Pour retrouver sa voiture garée un peu plus loin, l'entrepreneur déambule au milieu du Flamingo en regardant les machines à sous. « Las Vegas est une ville dangereuse, il faut avoir la tête sur les épaules et un mental d'acier car on tombe vite dans les péchés... On ne l'appelle pas Sin City pour rien. » Ses yeux se détournent des slots. « Par le passé, j'ai pas mal joué aux machines à sous et au blackjack mais désormais, c'est vraiment occasionnel, il faut être raisonnable et responsable, surtout quand on a une famille. Comme le dit Steve Wynn, ''la meilleure façon de gagner au casino, c'est de posséder un casino'' ! »
Son regard sur le poker est un peu différent. « J'ai toujours joué avec des amis à la maison mais je n'avais jamais osé aller jouer dans un casino jusqu'à peu. J'avais peur de faire une mauvaise manipulation ou de me tromper dans les règles... Ça va un peu mieux car j'ai un ami, Gilles, qui m'avait demandé de venir avec lui sur un tournoi à 150$ du Caesars Palace. J'y suis allé, c'était donc mon tour premier tournoi en casino... Et je l'ai gagné pour 1800$ ! La chance du débutant. »
Arrivé dans sa maison familiale, Reza se pose derrière l'ordinateur. « J'ai tout le temps énormément de paperasse... Aux États-Unis, la paie des salariés doit être faite tous les 15 jours et non chaque mois, ça demande pas mal de temps et d'énergie. » S'enchainent quelques coups de fil avec des fournisseurs et une célèbre marque de vodka avec laquelle il cherche à faire des soirées promotionnelles. Tout en suivant la livraison d'une machine que Reza attend impatiemment : « un robot qui permettra de distribuer de la bière en pression, une première mondiale ! » Des innovations en pagaille qu'il souhaite maintenir dans sa ville d'adoption. « Aux Etats-Unis, il est interdit de sortir une boisson alcoolisée d'un bar pour la consommer sur la voie publique. Sauf à Las Vegas, une des rares villes où c'est possible. Ça change tout le business. On préfère donc prendre notre temps pour affiner le concept avant de répondre éventuellement positivement aux nombreuses demandes de franchises. »