Il n'y a pas que les pros qui jouent les WSOP chaque année
Rencontre avec un amateur généreux et activiste de l'ombre, dont le travail est apprécié de toute la communauté
Une réflexion à l'image de ce que laisse transpirer le bonhomme : un caractère carré doublé d'une gentillesse et d'un grand sens du partage. Stéphane, c'est Salette sur le forum communautaire Club Poker. Un pseudonyme dont la familiarité ne vient pas nécessairement de ses résultats autour des tables live. Le natif de Savigny-sur-Orge y a accumulé 24 452 $ de gains - « avec trois places payées aux WSOP qui me font bien plaisir », tient-il à préciser - mais son approche reste celle d'un simple amateur passionné. Ce qui a mis son pseudo en exergue, ce sont toutes les données qu'il a pu compiler sur Las Vegas, et notamment un calendrier soigneusement compilé chaque année, regroupant l'ensemble des tournois de poker programmés à Sin City entre fin mai et mi-juillet. La capitale du jeu, Salette y vient tous les ans depuis 2013. Et il retrouve sur les forums une question récurrente chez les amateurs désireux de découvrir Sin City : quel budget faut-il avoir pour venir ?
Les bons plans de Las Vegas
« Je vais prendre deux œufs sur le plat, des galettes de pomme de terre et du bacon ». Alors que la serveuse du Mr. Mamas, un breakfast familial situé à l'écart du Strip, s'apprête à rejoindre les cuisines, Stéphane complète : « puis des pancakes aussi s'il vous plait ». Devant mon regard inquisiteur, il se reprend : « C'est trop ? Je sens que je vais regretter. » Mais la commande est passée. « On vient ici depuis de nombreuses années » ajoute-t-il avant de tourner la tête pour scanner la salle. « Avant, le patron venait passer du temps avec ses clients mais ça fait quelque temps qu'on ne le voit plus. » Ses petites habitudes locales, Salette les travaille depuis plusieurs années. Après un premier séjour en 2011 avec sa compagne à l'occasion d'un trip dans l'ouest américain, Stéphane chope définitivement le virus de la ville en 2013 lorsque son ami DonReg remporte un package et l'invite généreusement à partager sa chambre. « J'ai pris un billet en dernière minute et j'ai joué tous les jours, c'était un régal... Depuis, je viens tous les ans ».
Il s'interrompt pour jeter un coup d'oeil à la demi-finale de Roland Garros entre Novak Djokovic et Carlos Alcaraz. Son sport, Stéphane l'a lui déjà fait bien plus tôt dans la matinée. « Avec le jetlag, je suis réveillé à 5h30 donc j'en profite ». Au programme, 45 minutes de cardio afin de parfaire sa condition en vue des compétitions à rollers qu'il souhaite prochainement faire : les 24 heures du Mans en relais et le marathon de Berlin. Là aussi en amateur éclairé. « J'ai subi un gros accident dans une course l'an passé qui m'a valu 18 points de suture et quelques opérations compliquées donc je reviens petit à petit » confie-t-il à l'aube de ses 55 ans, un âge loin de l'arrêter dans ses différents projets.
De Marseille Hold'em à Sin City
Son regard interroge régulièrement sa montre. « Il y a une nouvelle règle sur les WSOP » se justifie-t-il, « lorsque tu t'es inscrit en avance et que tu as récupéré ton ticket, tes blindes commencent à tourner dès le début du tournoi. Donc il ne faut pas que j'arrive en retard. » Au programme du jour : le Gladiators of Poker à 300$ qui débutera à 10 heures du matin. En homme organisé, son entrée est dans sa poche depuis la veille.
Stéphane rejoint alors l'association Marseille Hold'em et participe à un tournoi caritatif. Cent personnes sont présentes et... le vainqueur, c'est lui. « Je faisais n'importe quoi, c'était clairement la chance du débutant ! » Médusés, les joueurs le voient filer avec l'écran d'ordinateur promis au vainqueur, et un cadeau collector : la veste personnalisée d'Eric Koskas, ancien membre aussi éphémère que fantasque du Team Winamax. « Je me suis alors mis à fond dans le poker associatif... J'étais très proche du bureau jusqu'à ce que ma rigidité ressorte et me mette en conflit avec certaines décisions » regrette-t-il. Après avoir travaillé son jeu durant quelques temps pour progresser, Stéphane vit désormais sa passion plus libéré. « Je ne me fais pas d'illusion sur mon niveau, je joue pour me faire plaisir et je sais où est ma place, ce qui ne m'empêche pas de vouloir gagner ! »
Centraliser Las Vegas
Dans la voiture le ramenant sur le Strip, Salette a la même habitude que de très nombreux joueurs français présents sur Las Vegas : jeter un œil à son calendrier pour connaître le reste du programme de tournois en cas d'élimination précoce. « En fait, je me suis aperçu après quelques voyages qu'il était très compliqué d'avoir un agenda complet des différents tournois à Las Vegas. Il fallait se faire tous les sites et tous les programmes de chaque casino pour parvenir à trouver. » Alors Stéphane crée un unique calendrier centralisant l'intégralité des tournois de la ville. Devenu incontournable, son outil est même de plus en plus élaboré avec un système de notation. « Cela s'appelle le S-point » éduque Stéphane, « selon les tapis de départ et la structure, chaque tournoi reçoit une notation afin qu'on sache si on va participer à une boucherie ou à un vrai tournoi deepstack » poursuit celui qui n'hésite désormais plus à directement contacter les casinos de Vegas pour avoir les programmes en avant-première. « Les structures baissent globalement en qualité sur Las Vegas. Il n'y a que les WSOP qui se maintiennent. Le Wynn, c'est devenu catastrophique et le Venetian a augmenté tous ses prix d'entrée. »
Un record historique sur le Main Event ?
Mais l'heure est à la détente. Installé dans la salle principale du Paris en table 236, siège 1, Stéphane est là à temps pour le shuffle up and deal de son premier tournoi de l'année des WSOP. « Je n'aime pas ce siège » confie-t-il, mais cela ne semble pas l'atteindre à une table où de nombreux Américains ont le statut de pur débutant. « C'est le profil parfait de Vegas » analyse Salette, « ce sont des joueurs qui jouent serré durant de nombreuses heures puis, d'un coup, le craquage, ils s'envoient complètement en l'air sans qu'on comprenne pourquoi ! » Ce qui est loin d'être son cas. « Mon côté rigide se ressent également dans mon approche du poker... Par exemple, j'ai du mal à comprendre des gens qui vont rentrer avec des mains comme 73 offsuit dans un coup. Je ne peux pas faire ça moi, ça ne rentre pas dans mon logiciel. » Ce ne sera pas nécessaire en ce début de tournoi : Stéphane touche de bonnes mains, trouve des clients et son tapis passe de 30 000 à 84 000 jetons sans qu'il ne s'en rende compte.
La suite est moins idyllique : Stéphane fracasse deux Rois contre deux As, se fait sécher As-Roi par As-Dame, et voit ses derniers jetons s'envoler avec Dame-Cinq contre deux Rois. « La croupière était trop rapide, je n'ai même pas eu le temps de voir le déroulé du board, c'est dingue d'aller vite comme ça ! » se marre Salette à sa sortie tout en se dirigeant vers la salle principale du Horseshoe. Alexandre Réard y dispute une finale. « J'aime bien regarder où en sont les Français, c'est mon petit côté chauvin. Puis, à force de venir, on commence à connaître pas mal de monde. »
Un budget de 3 800 $
Loin d'être sonné par son élimination, Stéphane rejoint la caisse pour s'inscrire sur un nouveau tournoi qui débutera le lendemain. « Les gens me demandent souvent si je n'ai pas peur de perdre de l'argent... Mais quand ils partent en vacances, ils gagnent de l'argent, eux ? J'ai simplement un budget et les gains, c'est du bonus ! » Et le membre du Club Poker bénéficie également de quelques coups de pouce : « Grâce au travail que je fais bénévolement sur le calendrier, certains joueurs acceptent de me staker pour me remercier » confie-t-il. « Je pense notamment à Julien Martini qui m'avait tout simplement demandé combien je voulais. J'avais répondu 500$ en accord avec les tournois que je voulais faire et il m'a dit... ''t'es sûr que tu ne veux pas plus ?''. Vraiment sympa ! »
Pour pouvoir pleinement profiter de son séjour en tant qu'amateur, Salette conseille une enveloppe de 150 à 200 dollars par jour pour jouer au poker. Et alors qu'il se dirige vers la chaine de fast food In-N-Out, il termine ses calculs : « pour la nourriture, je pense qu'il faut tabler sur 60$ quotidiennement mais, personnellement, je ne prends qu'un gros petit déjeuner et un diner. » Si on récapitule, cet habitué de la ville conseille donc un budget minimum de 3800$ pour un voyage de dix jours sur Las Vegas. « Après, je ne fais pas de folies » conclut Salette avec le sourire. « D'ailleurs, je rate sûrement des choses... »
Sa soirée se déroule du côté du Caesars Palace. « J'aurais préféré aller à un casino perdu du type Boulder Station mais j'ai choisi la facilité » confie Stéphane. Installé à une table de cash game aux blindes 1$/3$, il assiste à quelques coups typiques de Las Vegas comme cette ouverture à 50 $ en milieu de parole d'un joueur avec une paire de 9. « Je n'ai pas envie de voir le flop avec cette main ! » lance le joueur à ses partenaires de jeu. Salette a repéré sa cible et parvient à le dépouiller après quelques orbites. Un bilan positif de 120 dollars lui permet d'aborder le chemin retour avec sérénité. Face au Bellagio, il ne peut s'empêcher de faire quelques photos. « Cette vue-là, je ne m'en lasserai jamais. »
Harper