Un coup de poignard pour achever cette journée. Nos deux derniers représentants tricolores se sont expliqués en un contre un au cours d’une main critique, accouchant d'un craquage effroyable. Il ne restera qu’un Français pour le Day 7 du Main Event 2022. Un joueur atypique, insaisissable qui n'a pas quitté le groupe des chipleaders depuis une semaine. Et Karim Rebei en fera encore partie demain, à 35 left de 10 millions de dollars.
Main Event 10 000 $ (Fin du Day 6 - 35 joueurs restants)
Fratricide
À chaque éditon, le Main Event produit des histoires magnifiques. Des qualifiés parachutés à Vegas qui transforment un satellite de quelques centaines d’euros en des sommes affolantes, après une épopée héroïque. Pierre De Almeida nous en a encore fourni l’exemple aujourd’hui.
Des livetards qui vivent le run de leur vie comme Serge Chechin ou Mikaël Guenni, des premières fois subjuguantes comme celle de David Rotschild ou Matteo Cavelier. Mais le Main Event comporte également son versant sombre, son chapitre noir. Des histoires qui font mal et laissent à jamais des cicatrices sur ceux qui les endurent. Celle à laquelle nous venons d’assister nous rappelle que parfois, ce jeu peut être brutal, infâme, cruel.
Il est alors 2 heures du matin à Vegas. Trente-sept joueurs bataillent dans l’Event Center, pour se faire une place au Day 7 du Main Event WSOP. Ils combattent depuis plus d’une semaine et attaquent la neuvième heure de jeu de la journée. Parmi les survivants, deux Français. D’un côté Karim Rebei, le livetard impétueux, imprévisible qui roule sur le tournoi avec une insolente réussite, et un stack toujours plus démentiel. De l’autre Antoine Labat, joueur pro chevronné, respecté, discret. Depuis de nombreuses orbites, celui qui termina 9e du Main Event 2018 résiste aux assauts des gros stacks, et fait parler sa science du jeu pour gratter les précieuses blindes nécessaires à sa survie.
Lors de l’ultime redraw, Karim Rebei rejoint la table de son compatriote. Avec son style caractéristique, il ouvre de nombreuses mains, met la pression sur la table, et n’hésite pas à construire de gros pots. Antoine, lui, attend le spot qui lui permettra de reprendre de la hauteur. Le voilà qui arrive.
Open de Karim UTG à 675 000 sur les blindes 125 000 / 250 000. Tout le monde fold jusqu’à Labat. En SB, Antoine découvre deux As rouges et place le 3-bet à 1 750 000. La big blind se couche et presqu’aussi rapidement, Karim annonce « All-in ». Antoine ne l’entend pas tout de suite mais comprend la chose quand la croupière pose le jeton associé devant le stack de Rebei. Labat avance alors son tapis, de près de 7 millions de jetons, tout de même, et dévoile ses deux As sur le tapis. En face, il y a KQ.
« Bien joué » commente Karim, tout en prévenant qu’une Dame viendra sur le flop. Tous les joueurs se lèvent, les caméras courent vers la table, on va voir un flop à 14 millions de jetons.
Karim avait raison. Un flop Q96 lui donne une paire. Premier soupir, quelques sueurs et puis soudain, l’effroi. Une deuxième Q sur le turn offre le brelan à Rebei. Antoine ne bronche pas. Et ne bouge pas plus lors que le 10 river met fin à son aventure. Sur les visages des observateurs, de l’ahurissement, du dégoût.
Pour ne rien arranger, un ami de Karim hurle un énorme « YEEEAAHHH » aussi incontrôlé qu’inapproprié. Labat ne dit mot et rejoint le bureau des paiements, complètement sonné. 214 200 $ l'attendent, mais pour l'heure, aucun chèque ne pourra le consoler.
Il vient de subir l’une des sorties les plus infâmes que l’on peut vivre, sur le plus grand des tournois de poker. « Tu n’imagines pas à quel point » confirme à demi-mot Antoine avant de récupérer son ticket. Il reste stoïque puis s’en va en lâchant une dernière phrase aussi courte que parlante : « Sans commentaire ».
Insaisissable Rebei
L’horreur de cette sortie n’enlève rien à la performance de Karim Rebei. Le livetard continue de surfer sur la vague, avec toujours autant d’insouciance et de réussite. Depuis sept jours, il n’a pas quitté le haut du chipcount, malgré son style acrobatique. Insaissisable, il ouvre toujours autant de mains et fracasse toujours les adversaires qui essaient d’entraver sa marche victorieuse.
« Il y en a qui pensent que je joue n’importe comment, que j’entre dans trop de mains. Je leur réponds alors que s’ils veulent jouer au short-deck, ils peuvent. Moi, je joue au poker avec 52 cartes » ironise Karim pour évoquer son style de jeu. « Pendant dix ans, j’ai perdu. J’ai beaucoup payé, j’ai beaucoup donné, mais tout ça m’a permis d’emmagasiner de l’information et de la classifier, explique l’entrepreneur en développement informatique. Je pense avoir un style déroutant, une bonne capacité à lire les adversaires. J’ai eu de la chance, j’ai “badé” quelques adversaires, comme ce coup contre Antoine Labat, mais cela fait partie du jeu ».
Ce mercredi, il sera le dernier représentant français sur ce Main Event, avec un stack conséquent de 31,5 millions de jetons, à 35 left de 10 millions de dollars. « Pour me faire monter les palpitations, c’est très difficile. C’est juste beau d’arriver jusque-là. C’est le rêve de tous les joueurs de poker. Je ne sais pas si c’était mon rêve à moi mais avec tous les messages que je reçois et l’engouement, je réalise que c’est magnifique ».
Un dangereux nid de guêpes
Si Karim abordera le Day 7 parmi les gros tapis, il devra cependant veiller à ne pas se faire piquer par un essaim certes dénué de reines-mères internationales, mais infesté d'excellentes ouvrières qui abattront à n'en pas douter un boulot de qualité pour tenter de faire grossir leur ruche.
On commence avec le chipleader Jeffrey Farnes, en pleine bourre avec 37,825 millions (photo ci-dessus), suivi par son dauphin Brian Kim (33,875 millions, ci-dessous). Constamment dans le haut du chipcount toute la journée, il sera certainement un adversaire redoutable : il dispute rien de moins que son 11e Main Event consécutif ! "Ce Day 6 s'est déroulé bien mieux que je n'aurai pu l'imaginer, nous a expliqué l'Américain, exténué à l'issue de cette longue journée, comme il nous l'a avoué. "J'ai gagné presque tous les coups à tapis que j'ai joués, sauf le dernier. Mais n'importe quel joueur aurait fait aussi bien que moi avec les cartes qui m'ont été distribuées aujourd'hui. Je me sens très chanceux de revenir avec un tel stack, en espérant continuer sur ma lancée demain." Derrière les deux meneurs, on retrouve également une nuée de profils menaçants, comme le prouvent leurs pedigrees : on pense au solide Philippe Souki (3e), qui s'est envolé en fin de journée, au finaliste EPT John Eames (10e, photo), au double vainqueur WPT Aaron Merleinstein (12e), à l'expérimenté Kenny Tran (20e), au champion du monde Damian Salas (29e) ou encore au top reg WSOP Marco Johnson, 35e et shortstack officiel.Le Top 10 pour le Day 7
Jeffrey Farnes (USA) 37 825 000
Brian Kim (USA) 33 875 000
Philippe Souki (UK) 32 475 000
Karim Rebei (France) 31 475 000
Espen Jorstad (Norvège) 31 175 000
Matija Dobric (Croatie) 29 550 000
Adrian Attenborough (Australie) 28 625 000
Andy Taylor (UK) 23 900 000
Michael Duek (USA) 22 575 000
John Eames (UK)
Efthymia Litsou, last woman standing de ce Main Event
Le chipcount complet pour le Day 7
Des bleus aux corps
Si Karim Rebei représentera fièrement les chances françaises ce jeudi, ce serait mentir de dire qu'on n'espérait pas une plus grande colonie bleue au moment de bagguer les jetons : à 123 joueurs restants en début de Day 7, ils étaient tout de même sept joueurs en course ! Outre Antoine Labat (38e, voir ci-dessus), c'est David Rotschild (photo) qui s'en est le mieux sorti, résistant jusqu'au retour du dinner-break pour échouer en 65e place à l'issue d'une journée où il n'aura pas pu faire grand-chose, voyant son tapis fondre inexorablement. Pierre de Almeida (70e), qui marchait sur l'eau depuis quelques jours, a vécu un scénario similaire dans un Day 6 cauchemardesque. Cela s'est en revanche plutôt bien passé pour Serge Chechin (80e), qui a gagné quelques coups de cartes décisifs pour gratter quelques paliers avec un tapis souvent réduit. Plus inattendue fut la sortie de Matteo Cavelier (110e) après même pas quatre heures de jeu, tant le petit Français avait donné l'impression de maîtriser son sujet depuis plusieurs jours. Il remporte tout de même 62 500 $ pour fêter son anniversaire, lui qui a eu 21 ans il y a deux semaines à peine. Quant à Mikaël Guenni (113e), il aura livré une véritable démonstration de jeu shortstack durant la majorité du tournoi, pour terminer à une très belle 113e place dont sera certainement très fier son frère Jacques. Alors, bravo messieurs, et merci : vous avez fait vibrer tout le clan tricolore.Les éliminés français du Day 6
38e : Antoine Labat 214 200 $
65e : David De Rothshild 121 500 $
70e : Pierre de Almeida (Qualifié Winamax) 121 500 $
80e : Serge Chechin 101 700 $
110e : Matteo Cavelier 62 500 $
113e : Mikael Guenni 62 500 $
Alejandro Lococo (photo), auteur du coup du tournoi hier, n'aura pas réussi à surfer jusqu'au bout de la vague : il coule en 37e position, pour un gain de 214 200 $. Parmi les autres noyés du jour, on retrouve aussi le reg américain Eddie Sabat (59e), le dernier Espagnol en lice Lander Lijo (64e), le désormais ex-tenant du titre Koray Aldemir (75e), le protégé de Michael Gathy Johan Schumacher (90e) ou encore la star Dan Smith (121e).
Retrouvez la liste complète des éliminés sur le site des WSOP
Dernier rush avant le Jour J
Ce Day 6 a fini tard, sous les coups de 3 heures du matin. Du coup, les organisateurs ont décidé de repousser à 14h (23h en France) le coup d'envoi du Day 7. Au bout d'une journée qui devrait là aussi se prolonger tard dans la nuit, 26 joueurs auront été éliminés et nous connaitrons l'identité des neuf finalistes de ce Main Event des WSOP 2022. Les 35 candidats au titre suprême sont déjà assurés d'une très belle somme : 262 300 $, avec un prochain palier à 323 100 $ distribué à partir de la 27e place. Des gains de finalistes pour n'importe quel tournoi au buy-in similaire... Sauf qu'au Big One, ce seront des millions de dollars qui seront en jeu lors de la TF. On se retrouve dans quelques heures pour découvrir qui seront les nouveaux July Nine !Fausto et Rootsah