Après un long numéro d’acrobate, Karim Rebei chute à quelques encablures de la finale. Inconnu il y a encore quelques jours, l’amateur aura régalé les spectateurs par son jeu imprévisible et ses bluffs venus d’ailleurs, au point de devenir l'une des attractions du tournoi. Mais la réussite l’a quitté sur cette fin de Day 7. Il ne reste plus de Français dans ce Main Event.
Level 35 : 300 000 / 600 000 BB ante 600 000
Main Event 10 000 $ (Day 7 - 15 joueurs restants)
Pendant une semaine, Karim Rebei a tracé sa route avec un style bien à lui. Des moves déroutants, des bluffs stupéfiants, des sizings écrasants. Pendant plus de six jours, le Franco-Algérien voltigeait dans les hauteurs du chipcount tel un trapéziste évoluant sans filet. Ses figures aléatoires auraient pu mal tourné, mais à chaque fois l'amateur trouvait les cartes pour retomber sur ses pieds et repartir pour de nouvelles envolées, dans des hauteurs plus vertigineuses encore.
Des jetons, du champagne et des bad beats
Du Day 3 jusqu’au Day 7, il menait la délégation française, avec un tapis toujours plus imposant. Même lorsqu’il perdait la moitié de son stack suite à ce coup d’anthologie face à Alejandro Lococo, il reconstruisait ses pilasses en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, pour réintégrer dès le niveau suivant la locomotive du tournoi.
Porté par une réussite indécente, il s’envolait en milieu de Day 6 sur un 30-70, avant de prendre le commandement du tournoi, suite à ce coup de poignard mémorable contre Antoine Labat.
Chaque journée, l’entrepreneur rendait une copie époustouflante, chanceuse, où il apposait sa signature avec des bluffs légendaires, comme personne n’ose en faire si loin dans un Main Event. Celui passé par exemple en début d’après midi contre Brian Kim dans un pot 5-bet restera comme l’un des temps-fort de ce Main Event, intégrant directement la collection des plus beaux coups du tournoi.
Du poker champagne, des bluffs, des bad beats. C’est ainsi que Karim a forgé sa réputation au point de devenir la coqueluche des médias américains. Ses moves imprévisibles ont régalé les caméras de PokerGo. Dans les couloirs du Paris, les gens se demandent qui est donc cet inconnu français qui écrase le Main Event avec ces bluffs de folie ? Au grand galop, il se dirigeait tout droit vers la table finale du plus grand tournoi du monde. Avec 55 millions de jetons, il a même l'équivalent de ce que sera le tapis moyen à 9 left. Puis en trois heures, Karim a trébuché. En deux gros bluffs, le tapis du Français s’est effondré et malgré une dernière pirouette, Rebei ponctue son numéro en 16e positon pour 410 000 $.
La pirouette de trop
Le premier stop survient peu après le diner break et illustre à lui seul la folie furieuse qui caractérise le style Rebei. Sur les blindes 250 000 - 500 000, Karim open 1 400 en SB, payé par John Eames en BB.
Le Français check sur le flop KK
3
et reçoit un bet 850 000 du Britannique. C’est là que ça s’enflamme. Check-raise 2 000 000 de Karim, re-raise 3 500 000 de Eames, re-reraise 5 500 000 et call de l’Anglais. Sur la turn 4
, le Français poursuit l’attaque avec un bet à 3 280 000, payé encore et 4 500 000 sur la river A
. Eames possède 5 300 000 devant lui et annoncera le tapis. Karim n’a que 800 000 à rajouter dans un pot de 20 millions, mais foldera quasi instantanément. Et pour cause. Dans ce coup, le Français tient 9
6
, pour un bluff total, qui s’empalle contre le full floppé de John Eames, qui tient 3
3
.
Après ce premier coup de marteau, Karim serre la vis. Il maintient son stack, toujours confortable, autour des 30 millions de jetons pendant près de deux heures. Puis en quinze minutes, tout s’effondre.
Engagé dans un duel contre David Diaz, Karim prend l’initiative sur le board KQ
8
2
9
et envoie 3-barrels à 2 700 000, 3 700 000, puis 12 millions. Avec son J
9
, on comprend que le Français ait envie de mettre des jetons au milieu, mais après réflexion, David trouvera un superbe call, pour remporter la main avec son Q
J
. Le Franco-Algérien prend un coup de massue et descend sous les 20 blindes.
Un nouveau petit pot perdu le fera même tomber sous la zone rouge. Dès la main suivante, un sursaut d’espoir puisque le Français trouve deux As pour doubler contre le 77
de Matthew Su. Une main plus tard encore, Karim joue le tout pour le tout et ré-envoie le tapis avec 6
6
. Cette fois, ça sera un flip contre le A
Q
de Matija Dobric. Le flop J
10
10
offrira du suspens, presque éteint dès la turn K
, avant que la river 9
ne mette définitivement fin au magnifique parcours de Karim Rebei.
"On a fait un truc magnifique"
« C’était pas mal quand même ! » réagit de lui-même le Français, qui se fait retirer son micro par les techniciens avant de revenir quelques minutes sur son épopée. « Je me suis bien éclaté, j’ai pris énormément de plaisir, on a fait un truc magnifique ! » retient le joueur, presque moins déçu que ses copains qui l’encourageaient dans le rail. « J’ai joué mon jeu du début à la fin, mais j’ai été card-dead sur les dernières heures, analyse le héros français, qui s’est pourtant parfois contenté de belles merguez pour actionner ses bluffs. Le joueur qui n’a qu’un bras (David Diaz) fait un bon call. Il était amoureux de sa main, il n’a pas voulu la lâcher.. Et l’Asiatique m’a bien éclaté, il touchait tout, j’aurais aimé lui rendre la monnaie de sa pièce, et avec les intérêts » réagit Rebei, pas du genre à trembler que ce soit en bluff, en value, ou en interview. « Même aux portes d’une finale WSOP, je n’ai absolument rien senti en termes de palpitations. Je suis un excité, je suis tout le temps à fond, mais mon cœur ne s’accélère jamais ».
Pour un premier Main Event, une 16e place à 410 000 $ demeure une performance respectable. Mais plus que le chiffre, on retiendra la manière. Le numéro de Karim a fait vibrer les spectateurs, couvreurs et caméras et on espère vite revoir ce personnage unique sur d’autres tournois de poker. « Il y a peu de chance que vous me voyiez à Paris. Mais je referais surement d’autres beaux évènements, peut être à Barcelone par exemple. Et pour finir le séjour, il reste encore le 5 000 $ demain au Venetian ». Une dernière étape sympathique pour ponctuer cette formidable épopée. Un énorme GG à Karim Rebei. Merci pour ces moments.
Top 5 : les coups de folie de Rebei
7 jours de jeu, des dizaines d’heures, des centaines de mains jouées… Difficile de faire une compilation de tous les coups de folie de Karim Rebei, surtout avec un tel Vpip. Malgré tout, certaines mains jouées par le Franco-Algérien peuvent directement entrer au panthéon de ce Main Event WSOP. Petit florilège, garantie 0% GTO, 100% Veuve Cliquot.
1. Papo MC VS Rebei : duel de "locos"
Nous sommes au Day 6 et personne n’arrive à arrêter le phénomène Rebei. Le joueur roule sur le tournoi et vient de monter un stack colossal, au point de prendre le chiplead. Pour calmer les ardeurs de Karim, il faut trouver un joueur aussi fou que lui. Et il n’y en a pas mille. Papo MC se charge donc de tenir en respect le Franco-Algérien en lui mettant le bluff du tournoi.
Open Lococo, bouton, défense Rebei en grosse blinde et les deux joueurs voient un flop 98
7
. Check-check de ces messieurs, jusqu’ici tout va bien. Mais il suffit d’une turn K
et rien ne va plus. Lead Karim 140 000, raise 485 000 Papo MC, relance 1 135 000 du Français, 4-bet "miss click" chez Papo à 1 785 000, riposte à 4 000 000 chez Rebei et tank-5bet tapis 5 710 000 chez Lococo. Sacrebleu, mais que tiennent donc les deux joueurs ? Visiblement, pas grand chose chez Karim, puisque malgré le faible montant à compléter, le Français décide de fold. Alejandro Lococo, qui s’était planqué dans son hoodie pendant quinze minutes en attendant la décision du Français, se lève d’un coup d’un seul, lève ses deux cartes puis les claque violemment sur le tapis, pour monter un superbe A
J
. « Let’s goooooo ! Fucking Poker ! Fucking Poker ! This for what you did to me last time ! » hurlera “La Bestia Del Hardcore”, qui avait visiblement un petit historique avec Monsieur Rebei. (Pour l'anecdote, le Franco-Algérien assurera ensuite avoir bluffé avec 4-5 dépareillés. Si tel était le cas, alors Lococo bluffait avec le meilleur jeu ! Ce qui n'enlève rien à son mérite bien sûr.)
2. Antoine Labat, le coup de poignard
A 50 left du plus beau tournoi du monde, il ne reste que deux Français. Antoine Labat, pro chevronné, sympathique, discret et aussi finaliste malheureux en 2018. Et Karim Rebei, le livetard insaisissable, sans peur et sans vergogne. Le premier résiste tant bien que mal autour de 30 blindes, le deuxième a tous les jetons. Alors qu’il vient d’arriver à la table de Labat, Karim fonce sur son compatriote, pour une explication fratricide.
Open 600 000 UTG Rebei, 3-bet SB 1 650 000 Labat et « All-in ! » chez Karim pour mettre à tapis Antoine. Le joueur n’a pas attendu l’annonce de son adversaire mais se presse d’engager ses jetons une fois avoir compris le move. En effet, il tient la meilleure main du poker, pour se relancer complètement dans le tournoi, à un moment plus que crucial. En face, il y a KQ
. « Une dame va tomber au flop » prévient Rebei.
Sur ce coup, le bluffeur incontrôlable ne ment pas : Q9
6
sur le flop. Une petite brise parcourt la salle, puis se transforme en un éclair, sur la turn Q
. La river 10s validera le craquage. Antoine s'est fait doufroyé. « C’est sale ! » concède Karim, qui vient d’infliger l’un des bad beats les plus horrifiants qu’un joueur de poker puisse endurer. Labat quittera la salle, brutalisé, sans partager d’autres mots qu’un « sans commentaire ». Karim, lui, s’envole dans la stratosphère du tournoi.
3. La pression, c’est de l’eau
Day 7 de Main Event, l’un des jours les plus importants de la carrière des 35 combattants qui reviennent dans l’arène. Les stacks sont encore profonds, surtout celui de Karim Rebei. Ce n’est pas le moment de s’envoyer en l’air. Pourtant, après dix minutes de jeu, il va engager les deux tiers de ses jetons dans un coup surréaliste.
Open 600 000 de Mermelstein, 3-bet 1 600 000 de Karim Rebei au bouton et depuis la SB, Brian Kim place le 4-bet, pour 5 225 000. Pas du genre à faiblir, Rebei prend une masse de jetons, puis envoie le 5-bet pour 9 250 000. Kim n’avait pas prévu ça mais paie la mise du Français pour voir le flop 109
6
. Le Français poursuit son histoire avec un bet à 6 600 000. Un move puissant qui liquéfie littéralement Brian Kim. L’Américain tremblote, tente de se rassurer en discutant avec son opposant, toujours aussi serein et Brian finira par coucher… Q
Q
. Tout à fait. La main de Rebei ? A
5
. Le meilleure reste à venir avec cette enfilades de punchlines signées Rebei : "Tu veux voir mes cartes ? Tu veux voir mes cartes ? Alors paie ! Ou sinon tu peux prendre un abonnement à PokerGO !"
4. Le bluff qui a mal tourné
Dans la palette technique de Karim Rebei, on retrouve beaucoup de “clic-back”. Plutôt que de payer une relance, Rebei n’hésite pas à augmenter les enchères, même d’un faible montant, même avec une main marginale. Il l’avait fait avec son As-5, il le refera ici avec son 96
. Nous sommes alors en demi-finale de Main Event et Karim relance 3 blindes en BvB. Payé par Eames. Le flop vient K
K
3
. Pas grand chose à voir avec la main de Rebei, mais là n’est pas le problème : le Français envoie un enchainement check-raise 2 million sur 800 000, le Britannique clique à 3 500 000 et Karim re-clique à 5 million. Il enverra deux autres banderilles sur la turn 4
puis la river A
tandis que son adversaire… Avait trouvé le full floppé avec 3
3
. Eames finira par avancer le tapis pour 800 000 de plus que la dernière relance. Le pot fait alors 20 millions de jetons, mais avec hauteur neuf, Karim n’aura d’autres choix que d’abandonner cet énorme pot.
5. Le dernier flip
Une dernière acrobatie pour clore le numéro. Quelques précieuses blindes perdues sur un move regrettable, un double up sur la main suivante avec deux As contre deux sept et juste après encore, Rebei remet le couvert. Tapis payé avec 66
contre le A
Q
de Matija Dobric. Cette fois, pas de bluff, pas de craquage, juste un lancer de pièce classique. Mais cette fois la chance a quitté Rebei. Le board J
10
10
K
9
sera le dernier de Karim qui boucle son odyssée homérique en 16e position.
Note de la rédaction : 03h53 à Las Vegas, il reste encore 14 joueurs dans le Main Event. On a perdu la dernière joueuse en course Efthymia Litsou en 18e place. Philippe Souki se bat avec moins de dix blindes. Le Norvégien Espen Jorstad est chip-leader. Une chose est sûre : la partie va encore durer un moment. Nous, on en profite pour mettre en pause notre reportage, le temps de récupérer quelques heures de sommeil et prendre l'air dans le désert. On vous donne rendez-vous vendredi soir pour la table finale du Main Event, qui sera racontée de A à Z dans ces colonnes. A très vite !