C'est un spectacle à lui tout seul. Un cinéma qui se répète à chaque tournoi, qu'il joue contre Phil Ivey ou un random slovaque. Mais on ne s'en lasse pas. Focus sur l'homme qui assure à lui tout seul le show de ce Super High Roller : Martin Kabrhel.
Event #50 : Super High Roller No-Limit Hold'em 250 000 $ (Day 2)
Un seul être vous hante et tout est modifié. Avec ou sans Martin Kabrhel, les tables de High Roller sont bien différentes. Tel un équilibriste, un cow-boy en plein rodéo, ce personnage alterne entre le divertissement et l’insupportable, la bonne réplique et le malaise. Il se place à l’extrême limite, sans se priver pour la franchir, plus ou moins volontairement.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’animal, Martin Kabrhel est un joueur tchèque, numéro 1 de la All-Time Money List nationale, ami de Léon Tsoukernik, le milliardaire et patron du King’s Casino de Rozvadov.
Sans aucune limite
Partant des 500 $ du circuit slave, il s’est propulsé à la suite d’une victoire sur un 4 000 $ à Baden Baden pour 278 000 $, il y a douze ans de cela. Vainqueur d’un High Roller à Deauville pour 253 briques lors de l’EPT 2010, il s’est installé depuis dans les hautes sphères du jeu, où il a ramassé plusieurs perfs de choix. Dans sa maison rozvadovienne, il a notamment gagné 4 millions de dollars en quatre jours, en remportant le super High Roller à 100 000 $ puis terminant runner-up d’un autre Super High Roller dans la même semaine.
A l’aise dans tout type de field, il remportait un mois avant ce double braquage la quatrième de ses cinq bagues WSOP-C sur un 300 $ de plus de 1 000 entrées.
Au-delà de son palmarès ébouriffant, ce joueur se distingue par sa logorrhée. Des centaines de joueurs l’ayant affronté vous diront même qu’il est tout bonnement insupportable. Sa parlotte incessante, ses blagues, tantôt fines, tantôt vilaines, voire complètement inappropriées fusent à chaque minute.
Ses adversaires, les croupiers, les couvreurs, tout le monde peut en prendre pour sa pomme. Une attitude qui réchauffe l’atmosphère, provoque souvent quelques rires, étouffés, jaunes ou francs. Mais souvent, l’objectif est tout autre : faire dégoupiller la table.
Lors de mes passages à Rozvadov, j’en ai vu tilter plus d’un. À table, il crée une tension qui monte d’orbites en orbites jusqu’à ce que ses adversaires n’en puissent plus. Et puisqu’en plus d’être bon psychologue, Martin est excellent joueur de poker, il sait placer le move au bon moment pour faire craquer l’adversaire et le délester de ses jetons.
L'acteur pris à son propre jeu
Évidemment, sur le circuit High Stakes, les joueurs sont au fait des agissements du Tchèque. Et ce n’est pas un Adrian Mateos qui partira à la faute pour des bavardages. Mais que ce soit sur un 300 $ ou un 250 000 $, Martin reste le même : Volubile, malin, infernal.
« Je joue pour être ITM. Est-ce qu’ils jouent sur la table d’à côté ? Interpelle Martin en direction de l’une de ses victimes favorites, Andy Tillman.
- Oui, répond sobrement le floor, qui connaît la bête par cœur pour l’avoir côtoyée mille fois lors des WSOP-C Rozvadov.
- On joue des mains, ça limp et check-check à chaque fois, confirme gentiment Alex Foxen depuis l’autre table.
- Ne me déconcentre pas s’il te plait, je suis au milieu d’une énorme main, coupe Kabrhel, alors que ce n’est pas à lui de parler, et qu’un joueur a juste ouvert UTG.
Sur la main suivante, il joue une bataille de blindes avec Mateos, qui se couchera sur la turn pour lui laisser un petit pot.
« Adrian a foldé, c’est incroyable ! La dernière fois qu’il a couché une main, c’était en novembre 1986 !
- C’est un jour spécial, répond l’Espagnol.
- Non, non, demain, c'est un jour spécial puisque je gagnerai le tournoi, assure le Tchèque. Tu auras le droit d’être sur ma photo Adrian. Tout comme Brandon, tu es d’accord Brandon ?
Brandon, c’est sa découverte du jour, « son nouvel ami » comme il dit, ou plutôt sa principale victime depuis le début de journée. À chaque coup, il le mitraille de questions et commentaires en tout genre.
« Don’t do anything stupid (ne fais pas quelque chose de stupide) » avertit le Tchèque, alors que la parole arrive sur l’Américain. C’est l’une de ses phrases favorites.« Je t’aime bien, je te veux en table finale, ça m’embêterait de te buster » enchaîne le Tchèque, alors que Brandon défend sa BB.
Les deux joueurs découvrent un flop A96 et Martin place le C-bet 200 000, qui sera suivi par Brandon, qui compte environ 3 millions devant lui, contre 6,5 pour Kabrhel. Sur la turn 4, Martin ne rigole plus : Overbet 1,2 million pour mettre une pression maximum à Brandon, qui se déleste de deux Time-Bank.
« Je t’ai dit de ne pas faire de bêtises, prévient Martin. Et puis quand un joueur parle, il n’est jamais en bluff. Jamais, n’est-ce pas Adrian ? », poursuit Martin, qui prend à partie l’Espagnol, qui ne sait trop quoi répondre.
River 8, snap check de Brandon. « Tu as peut-être touché ta couleur, pose Kabrhel. Normalement, je fais tapis dans cette situation, mais puisque c’est toi, je promets de ne pas faire « All-in »… 3 millions !» annonce alors Martin, un montant largement supérieur au stack restant à Brandon… Qui snap-call.
Si le Tchèque a menti dans sa deuxième partie de phrase, il avait raison au départ, Brandon avait bien touché sa flush avec 109. L’Américain met la main sur un énorme pot pour surgir à plus de 8 millions. Dans son propre rodéo, le tchèque se retrouve à moitié désarçonné, en passant de plus de 6 à 3 millions de jetons.