Dix jours après sa victoire sur le 1 500 $ 6-max pour 456 889 $, Léo Soma fait le point sur sa performance exceptionelle et se livre sur son parcours de grinder, des terrains de handballs valentinois jusqu’au centre de formation cambodgien. Après une entrée fracassante dans le grand bain du poker mondial, le jeune Olux ne manque pas d’ambition.
Salut Léo. Au moment de soulever le bracelet, tu avais encore du mal à réaliser. Est-ce ce que tu as pu prendre la mesure de cet exploit ?
Un petit peu, surtout grâce aux nombreux messages que j'ai reçu. Il y a des gens à qui j’avais pas parlé depuis des années, qui étaient sur le streaming à 7h du matin et qui m’ont écrit. Ça rend la chose plus concrète. Et puis ça fait dix jours maintenant, j’ai déjà rejoué quelques tournois, maintenant on est reparti au combat.
Quels sentiments te viennent une fois l'émotion redescendue ?
Enormément de fierté. Et du plaisir aussi ! C’était incroyable de partager ça avec toute l’équipe. Depuis, il y a pas mal de blagues autour de ça. Je suis un peu devenu le champion du monde de la bande. Le premier pour Nutsr, et le début d'une longue série j’espère.
« Si il y a quelques mois, on m’avait dit qu'Elky serait mon traducteur… »
Avant de parler de Nutsr, on va revenir au tout départ, à Valence (Drôme). C’est là que tu es né ?
Oui, j’ai grandi à Etoile-sur-Rhône à côté de Valence, d’ou la première étoile sur le maillot. C’est un village de 4 000 habitants quand même. Le premier truc qui me vient en tête, c’est le handball. J’étais sportif, j’avais un groupe de potes à l’école avec lequel on s’est tous mis au hand. Ça fait écho au fait d’être en team. Déjà en primaire, on était cette bande de sept, on a commencé le handball ensemble et c’est toujours mes meilleurs potes aujourd’hui.
On a progressé ensemble, on était dans une classe sportive, on a fait les championnats de France… Mais je n’ai pas poussé au très haut niveau en senior. J’ai dû choisir entre mes deux passions, le poker et le handball, et le poker a pris le pas petit à petit.
Tu avais déjà cet état d'esprit compétitif ?
J’étais à fond handball jusqu’à mes 17 ans. Mon premier titre, je l’ai eu avec la sport-étude de Valence, en gagnant le Championnat de France Excellence. C’était une section sportive, à peu près comme un pôle espoir. Je n’ai pas vraiment envisagé le handball professionnel. Je n’avais pas tout à fait le physique d’un demi-centre de haut niveau.
De numéro 2, Léo Soma est passé numéro 1 (Le Dauphiné, lors du fameux challenge Pierre Grillon de Bourg-lès-Valence)
Tu grindais en parrallèle de tes études ?
J’ai fait un Bac S puis prépa Maths Sup - Maths Spé. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire après la Terminale. J’étais bon dans les matières scientifiques, donc on m’a dirigé vers une prépa maths, on me disait que ça ouvrait des portes. J’étais pas contre l’idée de faire prof' de maths. Il y avait un rythme de travail intéressant, avec les vacances qui tombent pendant les WSOP par exemple…
Le poker était donc déjà bien arrivé dans ta vie ?
Je jouais déjà avec mes amis avant mes 18 ans. Dès mes 18 ans, je me suis inscrit sur tous les sites. Le jour de mon anniversaire, je suis même allé au casino me faire une partie de cash. Ma famille jouait un petit peu, j’ai des souvenirs de parties après les repas de Noël quand j’étais tout jeune.
Ma mère m’a pas mal soutenu aussi mine de rien. À Valence, il n’y a pas de casino mais à deux heures de route, il y a La Grande Motte, donc quand je voulais faire des petits tournois, c’est elle qui m’accompagnait en voiture, parfois même pour deux heures de route.
Léo lors de l'un de ses premiers tournois, sur le Wonder8 de Cannes (Crédit Texapoker)
Qu’est ce qui te plaisait dans ce jeu ?
J’ai toujours aimé les jeux de stratégie, notamment sur PC. Je jouais à League of Legends ou Team Fight Tactics. L’un des aspects qui me plait beaucoup, c’est l’unicité de toutes les situations. Tu ne joues jamais deux fois la même main. Et puis, je m’y suis mis en regardant la télévision, en tombant sur les replays des tables finales EPT. Je voyais les grands noms avec les Negreanu et ElkY, et ça me passionnait. Il y a dix ans, je regardais ces stars et il y a dix jours, c’est Elky qui nous emmène au resto après la win. C’est même lui qui a traduit mon interview avec PokerGO.
S’il y a quatre mois, on m’avait dit que j’allais aller aux WSOP, que j’allais gagner mon deuxième tournoi et qu’ElkY serait mon traducteur, j’aurais rigolé bien fort.
Du Pasino La-Grande-Motte au Cambodge
À quel moment est arrivé le projet NutsR ?
En allant au casino quelques fois, j’ai rencontré quelques gens de mon âge, alors qu’ils sont plutôt rares dans le casino. Je sympathise notamment Clément « JK », on faisait quelques tournois ensemble et c’est lui qui a d’abord eu l'idée d’aller chez NutsR. Je l’entends parler de NutsR avec un ami dans la voiture, alors qu’on est en chemin pour un tournoi. Il postule et un mois après, il est parti au Cambodge. C’était fin 2019.
Plusieurs fois dans l’année, il m’appelle pour me présenter le projet. Il savait que mes études ne m’inspiraient pas tant que ça, et puis ensuite, le confinement est arrivé.
On est en mars 2020, je n’avais plus de motivation dans les cours et je voulais me mettre à fond au poker. J’ai joué quasiment tous les jours pendant le confinement. Je gagne un beau tournoi d’entrée, je monte de limites, je me fais défoncer, et sur l’un des derniers jours du confinement, je fais ma plus belle perf, pour 22 000.
C’est là que j’entre en contact avec NutsR, notamment via mon ami Clément. Je passe l’entretien au printemps, ça se passe bien, et le temps de faire les paperasses, je pars au Cambodge en novembre 2020.
Léo Soma dans son sasse de grinder chez Nutsr (Crédit photo Sab' Leviathan)
C’est un pays bien lointain et surtout une structure bien particulière. Comment se passe ton acclimatation ?
Le rythme était compliqué au départ. Chez NutsR, on dort à des heures un peu spéciales. Moi je dors de 13h à 21h heure locale. Je m’étais un peu adapté en France, en prenant un rythme de grind plus calé sur les horaires de tournois. Sur l’environnement. On est dans un hôtel entre Français donc si on ne sort pas on ne se rend pas compte qu’on est ailleurs, mais le Cambodge on s’y fait vite. Je n'ai pas encore appris la langue, mais je m’y sens bien. Les horaires nocturnes sont compliquées pour ceux qui aiment le wake board, les activités de pleine journée. Moi j’aime bien la nuit, j’aime bien sortir, donc j’arrive à tirer des points positifs de ce rythme.
Comment tes parents ont accueilli ce projet ?
Ma mère m’a toujours beaucoup soutenu. Quand j’ai parlé du Cambodge pour la première fois, elle m’a dit « C’est quoi cette histoire, il n'y aura pas de Cambodge » mais en rediscutant deux, trois jours plus tard, sur la route de La Grande Motte pour un tournoi d’ailleurs, elle a compris pourquoi je voulais le faire. La claque a été un peu plus grosse pour mon père, surtout quand il a compris que j’allais lâcher les études pour aller là-bas.
À NutsR, comme se passe ta progression ?
J’ai eu de la chance d’avoir Clément au départ. Il m’a un peu pris sous son aile, pour savoir sur quels points m’améliorer. J’ai progressé très vite grâce à lui. Avant, je n'’avais pas vraiment de potes qui prenaient le poker sérieusement. Là, tu découvres dix nouveaux joueurs d’un coup, plus compétents que toi. Les premiers mois, j’ai surtout pensé à apprendre, à acquérir des compétences, pour voir ce que ces personnes pouvaient m’apporter. J’ai moins joué, j’ai été break-even pendant les six premiers mois, puis après les perfs sont tombées. La plus grosse notamment sur un 105 $ avec plein de Day 1, que je gagne devant plus de 10 000 joueurs pour 70 000 $. Ca a fait décoller ma roll, et je suis passé d'un buy-in moyen de 35 à 70.
J’ai continué d’augmenter par la suite, les Series de septembre se sont très bien passées. En novembre, le Team part pour son premier Vegas et je m’étais mis comme objectif d’être dans l’équipe pour l’édition suivante. J’ai mis à profit la période de Vegas pour grinder de manière intensive et ça m'a bien réussi.
Qu’est-ce qui rend NutsR si particulier par rapport aux autres Teams de poker ?
Le projet c’est vraiment de reproduire ce qui se fait dans les centres de formation sportifs, de manière à mettre les joueurs dans les meilleures conditions pour performer. L’esprit d’équipe est une valeur forte aussi à NutsR. Ça a été d’ailleurs l’un des points prioritaires pour choisir l’équipe. On voulait qu’il y ait une bonne entente et cette année ça se passe vraiment bien.
Le premier Vegas avait été plus compliqué. Kortex avait fait un joli deep run, Antoine Goutard avait trouvé une table finale, ça a un petit peu rattrapé mais globalement la plupart des objectifs avaient été ratés. Il y a eu une remise en questions, ils ont un peu fait toutes les erreurs de la première fois, notamment d’un point de vue logistique, et là ça se passe beaucoup mieux, notamment grâce à Franck, qui s’occupe à la fois du coaching mental et en même temps de toute la logistique des repas et des transports.
Tu me disais après la victorie que ce bracelet donne du sens au projet de l’équipe...
Le bracelet, c’est l’objectif de chacun des joueurs et un accomplissement pour la Team. Kortex nous a dit qu’il n’avait jamais autant vibré sur cette TF, même sur ses propres deep runs. Boris [Berthomet] mettait énormément d’ambiance. C’est aussi une victoire pour l’équipe.
« Faire quelque chose d’exceptionnel »
Tu gagnes un bracelet à 23 ans, l’accomplissement ultime du joueur de poker. Comment vas-tu revoir tes objectifs ?
J’aime marcher avec des objectifs ambitieux. Le bracelet évidemment en faisait partie, mais à plus long terme. J’ai dû ré-évaluer, en parlant avec mon coach mental. Il faut vite se replonger dans le grind, avec l’envie d’être performant. Maintenant, j’aimerais accomplir quelque chose d’exceptionnel, comme refaire un deep run sur un field massif. Pourquoi pas d’ailleurs sur ce même Vegas. J’aime beaucoup les gros fields, surtout avec des structures très lentes. Même Online, je me sens très bien sur ce genre de tournois. Ce qui me motive, ce sont les titres. Les montants sont beaux, mais ce sont juste des scores à battre et en étant staké, toute la somme n’est pas pour nous.
Crédit WSOP
Est-ce qu’il y a des joueurs qui t’inspirent, qui te donnent envie d’avancer ?
Pour citer des joueurs de poker, ce sont deux membres du Team Winamax. En regardant Dans la tête d’un pro, j’ai vraiment beaucoup aimé la série sur Naza. Les discussions avec Stéphane Matheu, la résilience dont fait preuve João, son mindset et sa détermination, c’est impressionnant. Et sinon bien sûr Adrián Mateos, pour le côté petit jeune qui débarque et qui défonce tout le monde. Ca donne envie de faire la même chose. Dans un futur proche, je ne me vois pas jouer les buy-ins qu'il joue, mais dans un projet long-terme, placer des gros bluffs aux meilleurs joueurs du monde, ça me plairait bien.