Winamax

Des sensations pures

- 15 novembre 2021 - Par Benjo DiMeo

Mourad Amokrane remporte l'Event #71 (Pot-Limit Omaha Bounty 1 500 $)
Un 28e bracelet WSOP surprise pour le clan Français, remporté par un fan absolu du jeu


Mourad Amokrane
Aujourd'hui la Marseillaise a retenti au Rio. Et en arrivant dans la Brasilia Room en ce dimanche peu après 14 heures, attendant que le vainqueur ne monte sur le podium pour recevoir son bracelet, je me suis fait la réflexion que c'était la première fois que j'étais là pour l'entendre en personne, l'hymne bicentenaire de Rouget de Lisle. Des victoires françaises, j'en ai bien observées quelques-unes à Vegas au cours des quinze dernières années. Mais cette cérémonie de remise du bracelet en musique, une tradition établie en 2009 (si ma mémoire ne me trahit pas), j'avais toujours réussi à y échapper. Merci, Mourad Amokrane : grâce à toi j'ai enfin pu saisir un spot pour chanter l'hymne de mon pays. Bon, j'ai quand même du Google les paroles en scred' juste avant que les premières mesures ne sortent des hauts-parleurs.

Mourad Amokrane
Sensation étrange, la veille à 23 heures, au moment d'approcher Amokrane après sa victoire surprise sur l'Event 71. Ayant passé la journée de samedi la tête dans le guidon alors que le Main Event entamait cette ascension du Tourmalet qu'est le Day 5, nous n'avions prêté que peu d'attention à la table finale de ce Pot-Limit Omaha Bounty à 1 500 dollars l'entrée. Quelques bribes d'informations nous parvenaient çà et là de Gaëlle Jaudon. La seule journaliste française membre de l'équipe des journalistes officiels des WSOP venait nous voir pour nous parler de ce mec portant veste du PSG et lunettes fumées et qui était, à en croire Gaëlle, en train de détruire à coups de hache la dernière table, allant même jusqu'à se retrouver avec 80 % des jetons devant lui alors qu'il restait encore trois joueurs. Mis à part ça, c'est un reporter parfaitement au courant de rien et plus qu'un peu penaud qui est venu à la rencontre du vingt-sixième vainqueur WSOP français de l'histoire, quelques minutes après le plus court des heads-up (une main !) face à Matt Mamiya.

En temps normal, les vainqueurs que j'interviewe ne savent pas grand-chose de moi (voire rien), alors que moi j'en sais déjà un peu sur eux (voire beaucoup). Avec Mourad Amokrane, c'était exactement l'inverse. En à peine cinq phrases, le francilien m'avait déjà déballé une dizaine de mots-clés familiers ("Club Poker Radio", "Harper", "Winamax Series", "Dans la Tête d'un Pro", "coverage", etc), reproché une phrase écrite à son sujet il y a cinq ans lors de la finale du Winamax Poker Tour ("Vous avez mis que j'avais dilapidé mes jetons, j'ai trouvé ça un peu exagéré !"), et révélé qu'il était parfaitement au courant des dates de mon séjour à Las Vegas. "Ben oui, tu les avais postées sur le Club Poker avant de partir, comme moi." Avant la soirée d'hier, le poker ne connaissait pas Mourad Amokrane. Mais Mourad Amokrane connaissait le poker sur le bout des lunettes. Tout le poker.  "Je suis dedans depuis 2006. Tu peux me tester, je connais toutes les histoires, tous les joueurs, tu n'imagines même pas. Je suis un grand consommateur de poker." On dirait plutôt, pour employer un terme certes banal mais un poil moins grossier : un passionné, un vrai.

Mourad Amokrane
Mais sinon, qui est Mourad Amokrane ? Le vainqueur, qu'on devine tchatcheur, ne dit pas non pour passer quelques minutes sous les feux des projecteurs... mais ne se laisse pas pour autant aveugler par la lumière. "Je suis un amateur, un joueur isolé dans mon coin, et ça me va très bien. Les pros, je les connais tous, mais je n'en ai rencontré aucun." Et être passionné de poker, cela ne signifie pas forcément être à table tous les jours ou tous les week-ends, l'auteur de ces lignes peut en témoigner. "Je ne suis pas tout le temps en train de jouer au poker, car j'ai un travail, j'ai une famille, j'ai des amis que je n'ai pas le temps de voir suffisamment en temps normal. Il faut faire la part des choses. À Paris, je ne vais pas souvent dans les clubs, car mon truc c'est surtout le PLO et il n'est joué qu'en cash-game, moi je préfère les tournois. Sur Internet, j'ai mes périodes, mais j'ai un gros défaut : j'aime bien ouvrir des tables en rentrant de soirée. Le meilleur moyen de dilapider ses gains !" Et Amokrane de s'autoriser un brag, révélant trois titres Winamax Series inscrits à son palmarès (pseudo : Amokris), tous en Pot-Limit Omaha, dont le prestigieux Championship à 250 € l'entrée. Avec au passage quelques anecdotes savoureuses, comme ce tournoi de 8-game dont il s'absente pour aller aux toilettes alors qu'il reste six joueurs. "Je reviens, je n'avais plus rien : ma fille était en train de taper sur le clavier, elle a cliqué sur 'bet' 'bet' 'bet' 'bet' en Deuce to Seven. Je lui avais expliqué que l'As est la meilleure carte..."

Amokrane le passionné avait faim de cartes, et c'est naturellement qu'il est arrivé à Vegas pile au moment où les frontières américaines ont rouvert pour les voyageurs en provenance d'Europe. "C'est mon loisir. J'ai des revenus, j'en mets une partie de côté tout au long de l'année, pour me payer un tournoi de temps en temps." Mais c'est seul que l'opticien de 42 ans basé à Vitry s'est posé à McCarran le lundi 8 novembre. "Le séjour était prévu depuis longtemps avec un ami. Juste avant le départ il a appris une très mauvaise nouvelle, il n'a pas pu partir." Après avoir échoué à se qualifier pour le Main Event ("il est beau mais trop cher") et joué le Little One for One Drop, Amokrane s'est mis en quête d'un tournoi dans sa variante préférée. Il n'a pas eu à chercher bien loin.

L'Event 71 a attiré 860 inscrits, une solide affluence pour une épreuve de PLO. Chip-leader à la fin du Day 1, co-leader à la fin du Day 2 parmi les 15 derniers joueurs : sa domination avait débuté bien avant la table finale. Mais à quel moment a-t-il véritablement commencé à croire que le bracelet était à sa portée ? "On était encore 14 : là, j'ai été béni des Dieux." L'intervention divine ? Une énorme confrontation préflop contre deux joueurs et une rivière qui lui donne le carré alors que l'un des deux autres avait virtuellement le pot déjà dans sa poche avec le full max sur le turn. Une séquence irréelle qui poussera Amokrane à commettre un geste aussi inimaginable que généreux. "Je leur ai rendu leurs bounties à ces deux joueurs [500 $ chacun] ! C'était tellement incroyable, je ne me voyais pas faire autrement, j'avais de la peine pour eux. D'ailleurs, je ne sais même pas combien j'ai gagné de bounties en trois jours, je dois en avoir 40 dans mon sac à dos !" Arrivé en table avec un tapis gigantesque, Amokrane a pourtant dû gérer un fort vent de face d'entrée de jeu. "J'avais 7 millions : en trois coups, je suis retombé à 1 million." Tout était à refaire. "J'ai fait le dos rond. J'ai respiré. Je ne bougeais plus. Je me suis rappelé que sur le Day 1, j'étais tombé à 10 BB avant de quadrupler derrière."

On peut être un récréatif et avoir quelques orientations stratégiques bien arrêtées : c'est avec une panoplie de moves bien huilés que le Français est venu affronter les Américains dans un format qui n'est généralement pas considéré comme leur spécialité. Florilège de la méthode Amokrane : "On parle tout le temps de position, d'accord, mais d'abord : il faut analyser les joueurs. Au PLO c'est sur le flop que tout se décide. Ici, ils ne jouent que les As, et ils tiltent dès que ça perd. Les As après le flop, c'est plus rien ! Les pros disent qu'il faut mixer ses ranges : c'est encore plus vrai en PLO. Les mains suited, les mains double suited... J'ai beaucoup montré mes cartes, pendant le tournoi. Mais attention : je le fais seulement si j'ai intérêt à le faire. C'est psychologique. Je te montre une merguez, je te montre une top main, je te montre une merguez : après tu ne sais plus quoi faire. Aujourd'hui ils n'ont fait que folder ! Les paliers étaient trop importants, j'ai joué à fond l'ICM et ils n'ont pas su varier leur jeu, changer de vitesse."

En écoutant parler Amokrane, on devine en lui deux émotions contradictoires. La première : cette victoire est exceptionnelle, dans le sens où "elle n'était pas censée [lui] tomber dessus". La seconde : cette victoire, il est allé la chercher, et en réalité elle ne lui est pas exactement tombée dessus comme par miracle. "Je ne pense pas avoir mal joué. Mais en même temps, je ne suis qu'un amateur, et quand je vois comment les pros ils galèrent... Je connais l'environnement du poker, la notion de GTO. Moi je n'y arrive pas, mais je sais que certains y travaillent toute la journée, toute l'année. Alors moi qui gagne un bracelet, soyons honnêtes, c'est un délire ! Je ne réalise pas. Gagner un bracelet, c'est inimaginable. Ma femme est restée debout pour suivre sur Internet, elle n'a pas dormi de la nuit." Et Amokrane de rendre hommage aux deux joueurs figurant au sommet de son panthéon personnel. "Alex Réard et Sonny Franco, ce sont les deux meilleurs pour moi. Pourquoi ? Parce qu'ils maîtrisent les fields où tous les joueurs sont mélangés. Ils s'adaptent en fonctions de tous les profils qu'ils rencontrent. Pour moi, savoir faire ça, c'est plus impressionnant que savoir dominer un Highroller. Je sais ce qu'est la théorie du poker, mais la pratique est pour moi 1 000 fois plus importante."

Mais fi des considérations techniques. Le dernier bracelet WSOP en date va orner le poignet d'un amoureux transi du poker, et des émotions qu'il sait si bien provoquer. "Les trucs que l'on ressent quand le tapis monte, le stress quand on redescend... Dans les deux cas, le palpitant il bat à 8 000 à l'heure !" Des sensations pures, pour une victoire pure.

Mourad Amokrane


Mourad Amokrane


Mourad Amokrane

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