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Ces pros du poker devenus parents : comment font-ils ?

- 3 juillet 2019 - Par Veunstyle72

Peut-on être un bon parent tout en continuant à se battre quotidiennement pour être parmi les meilleurs joueurs de poker ? Les jeunes loups d’autrefois ont désormais grandi, et sont pour certains devenus papa ou maman depuis quelques années… ou quelques jours ! On imagine alors pour ces joueurs de poker un nouveau monde, une nouvelle vie et forcément une nouvelle approche du poker et de l’avenir.

caro kitai
Comment s’organise-t-on quand on est joueur et désormais responsable d’un bambin ? Comment expliquer à son enfant que papa ou maman joue aux cartes pour payer les vacances ? Quel futur pour ces joueurs à la carrière si importante ? Ces questions, nous les avons posées à quelques acteurs majeurs de ce monde des cartes, des joueurs qu’on ne présente plus ou presque.

Pleinement occupé à animer vos futurs épisodes de « Dans la Tête d’un Pro », Davidi Kitai a du pain sur la planche en ce moment au Rio, on a donc préféré s’adresser à sa femme Caroline. Sa collègue Gaelle Baumann était en revanche, totalement disponible et c’est avec joie qu’elle a pu nous donner son avis sur la question. L’un des patrons du poker tricolore Fabrice Soulier, papa pour la seconde fois depuis quelques semaines, s’est également confié, tout comme le tout jeune papa Sonny Franco depuis quelques jours seulement.

Et puisque ce phénomène de paternité semble toucher d’autres joueurs que des francophones, si si promis, on a aussi demandé à Jason Mercier et sa femme Natasha Mercier de nous faire un petit point paternité. Le jeune Américain bien frêle de la grande époque qui a fait rêver des milliers de jeunes joueurs en son temps l’assure, aujourd’hui, il n’est plus qu’un amateur (bien) éclairé. Enfin la femme de Stephen Chidwick, Marine Chidwick (anciennement Jouaillec) nous a fait découvrir l’intimité du numéro 1 mondial aujourd’hui, devenu un papa poule très loin de l’image froide et sévère qu’il renvoie à table. Le panel n’est pas très important, mais quelques similitudes et différences apparaissent pourtant assez vite après quelques minutes de conversation. Entre biberons et bracelet, un moment donné, il faut trancher. Ou pas.

« Je sens qu’il a une envie débordante de se battre pour sa fille, de la rendre fière »

En quelques années, la vie de Davidi Kitai a pris un virage qu’il a plutôt bien négocié. Le champion de poker bientôt quarantenaire, qui a déjà tout gagné ou presque, est devenu un chef de famille à part entière. Papa d’une petite Nell depuis presque un an, Davidi se bat désormais à une table de poker, avec des ambitions très particulières, et sa femme Caroline en est convaincue, en plus d’être un bon papa, il peut continuer à se battre avec les meilleurs : « Je pense sincèrement que Davidi est capable de gagner le Main Event cette année. Je sens qu’il a une envie débordante de se battre pour sa fille, de la rendre fière alors que c’est un bébé encore. Comme il s’est battu pour m’impressionner à nos débuts, comme il se bat chaque tournoi pour s’impressionner lui même. » 

Extraterrestre à une table de poker, Davidi semble aussi bluffer son monde dans la vie, même si parfois, ce n’est pas toujours pour l’aider : « Quand on dit aux pédiatres qu’on part deux semaines ici, deux semaines là, je vois bien dans leurs yeux qu’ils se demandent si on est de bons parents. Mais on veut juste profiter des trois premières années, et dès qu’elle ira à l’école, je resterai auprès d’elle à Monaco. On rejoindra Davidi de temps en temps sur ces tournois, mais lui continuera sa vie de joueur professionnel, il n’y a pas de raisons que ça change ».

Et le moment venu d’expliquer le travail de papa, « c’est avec une grande fierté » que les Kitai raconteront à Nell tout le chemin parcouru pour en arriver là.

« C’est très bien qu’elle puisse voyager, c’est formateur de découvrir le monde »

gaelle baumannDécouverte aux yeux du grand public en 2012, Gaelle Baumann est devenue maman en 2015, et sa vie ainsi que celle de son compagnon Kevin Noblat, le fameux Harper qu'on ne présente plus, ont évidemment littéralement changé. Et pour la seule féminine française du Team, l’objectif d’être bon parent et bon joueur de poker en même temps paraît faisable, mais compliqué. Quatre ans d’expérience, elle commence à savoir de quoi elle parle :

« Oui, tu peux, mais c’est dur. Tu peux rester compétitif, mais je pense que c’est dur d’être au top, sachant que les petits jeunes comme Adrien Delmas par exemple, passent des heures et des heures par semaine à bosser. J’ai moins de temps pour jouer online, c’est évident. Quand ton gamin se réveille d’un coup pour rien au milieu de la nuit, ça devient compliqué de lancer des sessions grind. Perso, je joue beaucoup moins online et j’essaie vraiment de me concentrer sur le live.»

Gaelle est à un stade légèrement plus avancé que Caroline Kitai dans sa vie de maman, puisque sa fille va désormais à l’école. Un nouveau changement bienvenu qui lui offre plus de temps pour travailler son poker, même si désormais, la petite Léa comprend de plus en plus les choses qui se passent autour d’elle : « Je sais que parfois, c’est dur, car je pars longtemps et elle le sait, mais en revanche, elle sait aussi que grâce à ça, j’ai beaucoup de temps à la maison avec elle,  ce que je n’aurais pas forcément avec un travail normal, si je devais rentrer tous les soirs à 19h. Elle connaît les avantages et les inconvénients… maintenant, ça reste quand même difficile quand je pars 15 jours ou 3 semaines. Mais je pense qu’elle comprend. »

Parfaitement soutenu par la directrice de l’école, compris par les autres parents d’élèves, Gaelle et Harper n’ont jamais caché leur vie particulière, et s’en accommodent même plutôt très bien : « Ils le savent, ils connaissent notre vie. Quand c’est la mamie qui ramène Léa à l’école pendant une semaine, on prévient et tout le monde sait très bien pourquoi. Ils trouvent ça très bien qu’elle puisse voyager et que c’est aussi très formateur pour l’enfant qui découvre le monde, c’est génial. Quand on a rencontré la directrice de l’école, on l’avait prévenu qu’elle manquerait surement un peu l’école, mais elle nous avait dit « c’est génial, profitez en, c’est super qu’elle puisse faire ça. » donc oui on a leur soutien.  »

« Quand on a réalisé, on s’est dit que c’était évidemment plus simple de rester à la maison »

mercierEt que dire du parcours de Jason Mercier : presque 19 millions de dollars de gains en tournois live (et une fortune également sur Internet), vainqueur EPT, quintuple vainqueur WSOP et légende vivante américaine de ce jeu. Si vous êtes dans une grotte depuis quelques années, vous n’allez surement jamais reconnaître l’homme qu’est devenu Jason, plus impliqué dans la crypto monnaie que jamais, depuis qu’il est devenu retraité du poker et parent très actif. Physiquement, mais mentalement aussi. Des années de grind intensif ont suffit pour que lui et sa compagne Natasha se mettent à l’abri financièrement, et construisent désormais une famille. Marco est là est depuis quelques années… et son petit frère arrive dans trois mois maintenant : « Il est très heureux, mais récemment quand je suis parti de la maison pour venir jouer les WSOP, il était plutôt du genre « papa, papa, papa », ce n’est pas facile à voir et à vivre. »

C’est certain, Jason Mercier a beaucoup changé depuis qu’il est papa, et pour lui le poker est devenu un simple passe-temps parmi tous ces hobbys : « On a tellement bossé dur ces 10 dernières années, qu’on n’a finalement plus besoin de jouer aujourd’hui. Ce serait différent si je devais encore grind toute l’année pour m’en sortir, mais ce n’est pas le cas.  On s’est débrouillé pour être stable financièrement, et désormais le poker est plus comme un hobby pour moi plutôt qu’un travail. Tu sais pour être top, ça demande un dévouement total pour ce jeu. L’une des raisons pour laquelle je me suis battu pour faire partie des meilleurs, c’est parce que je passais 50 à 60 heures par semaine, pendant 10 ans, pour tenter d’y arriver. Aujourd’hui, avec cette nouvelle vie, je n’imagine même pas avoir cette dévotion. Je ne serais pas un « bon papa », je serais juste un papa si je continuais à jouer autant. »

Pour autant, les Mercier ont essayé. Et de joueur, et d’être parent, mais la raison a fini par l’emporter : « Je n’avais pas spécialement prévu d’arrêter plus ou moins ma carrière, mais au final c’est assez difficile de voyager quand tu as un enfant. Quand on a réalisé ça, on s’est dit que c’était évidemment plus simple de rester à la maison. »

Quel poker face tirera Jason quand Marco commencera à poser des questions sur la vie de papa et maman ? L’Américain fold cette question : « Je ne suis pas certain que ce soit quelque chose qu’on devra leur expliquer forcément. Je pense que ce sera quelque chose de naturel, ils vont grandir entourés de ce monde, ils viendront aux WSOP, ils découvriront par eux mêmes.  Ce sera d’abord eux, avant le poker. Mais si on n’y arrive pas, on arrêtera totalement. »

« Clairement, ma carrière est sur une pente descendante depuis que je suis papa »

fabsoulSans surprise ou presque, c’est d’un « non » sec que Fabrice Soulier a balayé toute idée de pouvoir être à la fois un bon papa mais également un top joueur au poker : « Ça dépend ce que tu considères être un bon parent déjà ! Pour moi, ça signifie passer beaucoup de temps avec ton enfant. Et dans ce cas là, tu ne peux passer ton temps à jouer à la nuit, à voyager. Un bon papa, c’est être à la maison, jouer avec tes gamins. »

Proposant l’un des plus beaux palmarès du poker Hexagonal, Fabsoul est pourtant catégorique sur les effets de la paternité : « Moi clairement, ma carrière est sur une pente descendante depuis que je suis papa, ça fait 5 ans déjà.  5 ans m**de ! Ce qui a changé, c’est que pendant deux ans je n’ai pas dormi. Déjà que je n’ai jamais été un gros dormeur, même quelqu’un de plutôt angoissé, mais alors là avec l’arrivée du bébé… j’étais toujours en stress ! Je me réveillais au milieu de la nuit dès qu’elle respirait de travers, dès qu’il y avait un bruit, un cauchemar… j’étais le premier à me réveiller tout le temps. Mais c’est aussi parce que ça me fait très plaisir de le faire. »

Devenu papa sur le tard, Fabrice fut l’un des premiers joueurs Français à tout plaquer en France il y a 15 ans, pour devenir joueur de poker professionnel, écumant des nuits entières les tables de cash game de Las Vegas afin de payer son loyer. Un entrainement qu’on imagine alors idéal pour tenir bon la nuit, lors des premières années avec bébé : « C’est plus facile parce qu’on est habitué, ouais, mais j’ai commencé assez tard, puisque j’ai eu ma fille à 45 ans. C’est physiquement que c’est plus dur. Désormais les nuits blanches, j’ai vraiment du mal à les faire. »

L’heure des premières questions va arriver dans la bouche de sa fille, et Fabrice va donc être confronté à une nouvelle réalité : que lui répondre lorsqu’il faudra lui expliquer que papa joue aux cartes pour gagner sa vie ?

« J’essaie de ne pas trop lui expliquer, ça m’embête un peu. C’est aussi pour ça que j’aimerais bien avoir un autre métier.  Je n’ai pas tellement envie qu’elle dise à tout le monde à l’école que son papa passe son temps dans les casinos. Déjà quand elle voit une tour qui ressemble un peu au Rio quand on se balade partout dans le monde, elle me dit « Ah papa, bureau bureau ! » Elle le sait ce que je fais, parce que quand elle voit des photos, des jetons, elle fait directement le rapprochement avec « le boulot de papa », mais elle ne sait pas à quoi ça correspond, ni exactement ce que je fais. Elle fera bien ce qu’elle voudra dans la vie, mais je vais quand même essayer de ne pas la diriger vers le poker. »

Bien qu’il soit déjà un joueur de live très reconnu, Fabsoul sévit également sur internet, comme n’importe quel joueur de poker qui se respecte. Simplement, ses habitudes de grind ont du être un peu bouleversées : « Avant j’aimais bien les tournois Deepstack qui durent 10h, maintenant je préfère les turbos pas très profonds qui durent 20 minutes ! Ça me permet de nourrir mon envie de jouer quand je suis à la maison et comme je n’ai pas beaucoup voyager depuis 18 mois, c’est plutôt cool. Mais c’est très difficile d’être performant… c’est impossible même ! »

« Si ça continue de bien se passer, je n’arrêterai pas le poker »

sonny francoCôté Français, un autre régulier du circuit va devoir explorer ce nouveau monde et marcher dans des traces qu’il ne connaît absolument pas, celles de la paternité. Sonny Franco a décroché sa plus belle victoire le 14 juin dernier, lorsque sa compagne Sarah a donné la vie à une petite crevette, Layvin. Un changement drastique dans la vie de Sonny Franco… ou pas. Deux semaines après cet heureux événement de la vie, le voilà déjà en terres américaines à la conquête de bracelets WSOP, des jetons pleins les mains : « J’avais prévu que si elle accouchait avant le 15 juin, il y aurait une possibilité que je vienne. Sarah a accouché le 14. » Et Sonny a donc gagné son flip, comme souvent au poker : « Je suis là 12 jours. Sarah aurait préféré que je reste peut-être, c’est sur… je viens juste jouer deux tournois des World Series au final. Le 5 000 $ 6-max et le Main Event. » On est professionnel jusqu'au bout des doigts, où on ne l'est pas.

Encore un peu dans le flou du début, totalement dans l’inconnu de l’avenir proche qui arrive, le joueur régulier de Marrakech ne sait finalement pas trop à quoi s’en tenir. Et pour le moment, rien ne changera dans sa vie, en tout cas c’est ce qu’il dit aujourd'hui : « A l’avenir, je sais que ça va me demander un peu plus d’organisation pour les déplacements, mais c’est à peu près tout ce que ça va changer. Je vais continuer à jouer autant, et quand je rentrerai à la maison, je serai content de le retrouver. Quand je sauterai des tournois, je ne serai jamais seul dans ma chambre. On va voyager ensemble, ce sera bien. »

Sonny fait partie de ceux qui n’esquiveront pas la question du poker avec son fils, lorsque celui-ci demandera, même si pour le moment, toutes ces questions se bousculent forcément un peu trop tôt dans sa tête, il n'en est qu'aux prémices : « Je n’ai pas trop réfléchi encore à comment on parlera ensemble, mais je pense que ça se fera petit à petit. J’envisage beaucoup de le faire voyager avec moi, et plus tard, il fera ce qu’il voudra. Quand il ira à l’école, ce sera surement différent pour moi, pour ma carrière et mes déplacements, mais si ça continue de bien se passer, je n’arrêterai pas le poker. »

« Même si on lui avait donné la possibilité de partir plus tôt aux WSOP, il n’aurait pas voulu »

Pour terminer, dans un univers bien différent de tous les exemples précédents, le cas de Stephen Chidwick devenait forcément très intéressant. L’actuel numéro un mondial de poker ne cesse de faire l’actu dans tous les sens. Papa depuis deux mois et champion WSOP depuis quelques jours, l’Anglais surfe sur une vague indécente de réussite. Sa femme est ravissante et Française, l’homme a du goût, en plus. Mais est-ce que Stephen Chidwick aura suffisamment les épaules assez larges, pour continuer d’un côté à être le meilleur au poker, et de l’autre, à être un papa poule tant adulé par sa petite Erin ? Sa femme a peut-être un début de réponse :

« Je pense que oui et je vais même aller plus loin : on a plus de liberté en étant un joueur de poker qu’en ayant un boulot classique. Il n’a pas d’impératif. S’il se lève un matin et qu’elle a mal dormi ou qu’elle est malade, et qu’il sent que j’ai besoin d’un coup de main, il peut rester. Rien ne l’oblige à jouer tous les tournois tout le temps. Je pense qu’on a la chance de pouvoir concilier les deux. »

Installés officiellement à Londres et partiellement à Las Vegas, les Chidwick savent que le Strip est l’endroit où il faut être pour que Stephen assouvisse sa soif de tournois aux buy in particulièrement élevés. Pour autant, cette grande tête chauve Anglaise a manqué tout le début des Series : « Elle avait à peine un mois quand les WSOP ont commencé. C’est déjà compliqué en tant que papa de trouver sa place au début, il y a une relation plus privilégiée du bébé avec la maman. Donc si dès le début tu te le sépares du papa, c’est plus difficile de créer ce lien. Et je pense que même si on lui avait donné la possibilité de partir plus tôt, il n’aurait pas voulu. Ça nous a permis de prendre nos marques à trois, de devenir parents. »

Chidwick / Marine
C'est en famille que Stephen a fêté son premier bracelet il y a une semaine

Si Stephen continuera de se battre pour « se maintenir au top, en tout cas c’est son but », Marine sait très bien que cette vie ne durera pas indéfiniment : « Ce sera difficile de maintenir le même rythme quand elle ira à l’école, mais sur les 2-3 prochaines années, il n’y a pas de raisons que ça ne puisse pas continuer »

Quand on est aussi riche et dingue de poker que les Chidwick, est-ce plus simple de faire passer la pilule à ses enfants ? Oui et non, l’argent n’achète pas tout, mais il peut permettre d’offrir une culture totalement différente à sa progéniture : « Je ne pense pas qu’on pourra lui inventer des histoires. C’est un univers dans lequel elle grandira. Au contraire, je serai ravie si elle comprend très tôt ce que son papa fait. C’est plus un truc dont  il faut être fier qu’autre chose. Elle sera exposée plus tôt à des univers plus variés et je pense que c’est bien pour développer l’ouverture d’esprit, la tolérance et pas mal de valeurs qui nous sont chers au final. Elle va aussi grandir avec deux langues, je lui parlerai Français et Stephen lui parlera Anglais, c’est une richesse plutôt qu’une difficulté. »

Si certains joueurs du top mondial espéraient récupérer le trône de numéro 1 après la naissance d’une mini Chidwick, il va leur falloir encore un peu de patience, papa est toujours bien dans la place pour encore quelques années : « Connaissant Stephen, je pense qu’il n’arrêtera jamais de totalement jouer. Reste à voir le volume après, mais il n’arrêtera jamais totalement. Et d’ailleurs, voir des gens qui réussissent, comme Fabsoul, comme Gaelle Baumann qui jouent encore des années après, ça te conforte dans cette idée que c’est faisable. »

Personne n’est jamais préparé à être parent, même si on aime souvent à le croire. Ce qu'on retiendra de cette enquête, c'est que la compatibilité bon parent/excellent joueur reste tout de même globalement une belle utopie. Il y a toujours des exceptions, et Stephen Chidwick est probablement l’une d’entre elles, même si pour le moment, cette seconde vie est toute nouvelle pour lui. Mercier a arrêté, Gaëlle a ralenti le rythme, et Fabsoul parle d’une carrière qui file dans le mauvais sens. Attention : personne ne nous dit que faire des enfants est quelque chose d'effrayant, bien au contraire, mais le haut niveau de poker réclame une exigence de tous les instants. Et ça mon enfant, il vaut mieux y être préparé pour longtemps.

LeVietF0u, équilibriste du sponsoring

- 30 juin 2019 - Par Benjo DiMeo

Iconoclaste sur les réseaux sociaux mais grand bosseur en coulisses, Pierre Calamusa mène sa carrière tel un funambule
Enquête sur un pro dynamitant les codes du sponsoring


Je n’ai pas besoin de vous dire que Pierre Calamusa avait misé très gros sur le quarts-de-finale France-USA de la Coupe du Monde de foot féminine, disputé vendredi. Je n’ai pas besoin de vous le dire, parce que vous le savez probablement déjà. Facebook, Twitter, Instagram : les réseaux sociaux les plus populaires ont été mis à contribution pour annoncer le pari. 

« Toujours bet contre les français en sport sauf au Judo et à la pétanque », proclamait l’un de ces posts. LeVietF0u avait donc décidé de faire confiance aux joueuses américaines. Une confiance fixée à un prix élevé - 12 300 €, très précisément, sur deux paris successifs - et un choix résolument peu patriotique, mais définitivement value : lorsque l’équipe considérée comme la plus forte au monde est cotée à 2,35, on peut se permettre de troquer son drapeau de naissance pour un autre. 
 


Des gros sous, un flirt prononcé avec le risque, des opinions qui provoquent, et de l’humour : en présentant ce pari, Pierre Calamusa respecte à la lettre les codes qu’il s’est imposé sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Loin de la formule éculée servie jour après jour par tant de pros (photo du stack au shuffle up and deal, chip-count toutes les heures et un bref "AQ vs JJ, out" peu avant minuit), LeVietF0u fait partie de ces joueurs ayant su réinventer le rôle du joueur sponsorisé, à l'instar d'un Erwann Pecheux (dans le registre "lanceur d'alerte" prêt à pousser une gueulante à tout moment) ou d'un Ivan Deyra ou un Mustapha Kanit (hilarants sur Instagram comme dans la vie). Rebonds sur l'actualité, memes, sosies de merde, vannes sur le look de ses collègues du Team, tout y passe : sur les réseaux sociaux, LeVietF0u fuit comme la peste le premier degré et les hand histories so 2012.

Et la recette fonctionne : une paire d’heures après la publication du bet sur France-USA, le post génère déjà des centaines de commentaires, likes et partages. Les réactions couvrent à peu près l’intégralité du spectre des sentiments que l’on peut ressentir envers son prochain. Incrédulité et raillerie : « Bravo tu viens de perdre un buy in du Main Event WSOP », ou « Ce post sera supprimé après la qualification des françaises ». Approbation teintée de respect : « Kler que tu vas pas te faire que des amis mes tu t'en bats les reins. ». Crainte : « WoW sec c'est chaud !!! » Encouragements : « ça ça fait plaisir y’a plus qu’à espérer ». Même topo après la conclusion du match, heureuse pour LeVietF0u puisque les américaines ont acquis leur qualification pour les demi-finales sur un score de 2 à 1. Sous le post montrant fièrement un screenshot du ticket Winamax gagnant (28 905 €) il y a ceux, les plus nombreux, qui remercient et/ou félicitent : « Bien joué! Grace à toi j'ai gagné pas mal! Continue de poster tes paris et moi franchement je te suis comme un con y'a pas de pb! » Au milieu de tout cela, quelques rares qui jalousent ou sermonnent, mais la plupart du temps au second degré : « Traître à la nation, personnellement j'ai pas pu me résigner à bet contre mon pays. » On aime ou on aime pas, on applaudit ou on se moque; qu’importe : on réagit.

Aussi fumant qu’il soit, ce pari (et la médiatisation qui va avec) n’est que le dernier en date d’une série entamée il y a déjà plusieurs mois : de nos jours, on dirait que Pierre Calamusa a plus envie de parler de cotes que de 3-bets préflop. Incongru, pour quelqu’un dont le métier est de tenir des cartes et de mettre des jetons au milieu ? Pas du tout, si l’on garde en tête que LeVietF0u n’est pas seulement un joueur de poker, mais depuis août 2015 un joueur de poker sponsorisé, avec les obligations que cela implique. « Les paris sportifs occupent de plus en plus de place chez Winamax, et parmi les joueurs de poker, il y en a des tas qui sont fans de sport. A un moment, il m’est apparu logique de me mettre à parler aussi de mes paris », m’explique t-il peu avant le coup d’envoi de la rencontre, confortablement installé dans un fauteuil du Sport Book de l’Aria.

Qu’on ne s’y trompe pas : ces jours-ci, LeVietF0u envoie des parpaings sur des matchs de foot, mais il n’oublie pas pour autant la raison principale de sa venue à Vegas. Travailler son poker, ainsi que le mental et le physique; jouer au poker, jour après jour, au Rio, au Wynn, à l’Aria; rechercher les bonnes cotes; partager tout ça sur les réseaux : cette débauche d’activité sied bien à cet hyperactif notoire, et remplit aisément ses journées. Vendredi, Pierre était à l’Aria avant midi, avec au programme deux objectifs : regarder le match pour vérifier la validité de son pari à cinq chiffres, puis se diriger vers la salle de poker voisine pour le Day 1 d’un gros tournoi de No Limit à 10 000 dollars. Un pari à 12K suivi d'un tournoi à 10K, l’enchaînement est somme toute cohérent : « Si je perds sur ce match, j’aurais bien du mal à aller jouer un 1 000 $ derrière. Et puis, après 15 tournois depuis mon arrivée à Vegas, j’ai fait le constat que j’ai du mal à rester concentré sur les petits buy-ins à 6 000 joueurs des WSOP. C’est un truc bizarre chez moi : j’ai un meilleur ROI [retour sur investissement] sur les gros buy-ins que sur les petits. Sur un 10K, tu joues contre les meilleurs, et j’ai besoin de ça. J’ai besoin de faire de nouveau face aux top players, et ressentir cette tension qui te fait jouer ton A-game. » Actuellement sans deal de staking en cours, Pierre ne compte que sur son contrat de Team Pro et sa bankroll pour jouer ces WSOP 2019, mais sa confiance n’a jamais été aussi élevée : « C’est le moment de jouer plus cher ! »

Pierre Sports Book
11 heures 59. Les joueuses sont sur le terrain. Leurs lèvres murmurent en playback les hymnes, dont les airs retentissent sur les haut parleurs d’un Sport Book déjà bien rempli en cette heure matinale (pour Vegas). La caméra de Winamax TV est là pour filmer les réactions de Pierre, entouré par ses colocataires de Vegas, Victor Choupeaux et Tony Miles, son poulain sur le Main Event 2018. « Allez la France ! », hurle t-il en guise d’introduction. « Ouais, il faut provoquer le contre-jinx. » Coup de sifflet, c’est parti, Pierre prévient : « Bon, faut pas exagérer, je vais pas trop gueuler en faveur des ricaines, quand même. » Cinq minutes plus tard, la frappe de coup-franc de Megan Rapinoe transperce un amas de corps dans la surface : but ! Pierre, debout, sautillant, gesticulant, hurlant : « USA, USA, USA ! » Regards interloqués des américains qui nous entourent, ils n’ont pas l’habitude d’entendre ce chant avec un fort accent frog. Pour la promesse de début de match, on repassera, mais on s’en fout : sans avoir à se forcer, Pierre vit à fond sa prise de risques, ce qui fait de lui le client parfait pour les caméras.

Le match est engagé et la France a la possession de balle pour elle, mais ne cadre pas ses quelques tirs : au sein des parieurs, la pression retombe, juste un peu. Sans perdre le match des yeux, Pierre raconte sa nouvelle carrière de betteur. « Le truc, c’est juste de trouver les erreurs de cote, celles où ce qui est affiché est en gros décalage avec la réalité. » Et pour ça, il faut aller quotidiennement à la pêche aux infos. « J’ai mes informateurs, des experts, des anciens pros. On me donne des bonnes values. Sur ce match, on m’a dit que la cote des USA était trop élevée, que c’était une occasion à ne pas louper. C’est marrant, je me sens dans la peau d’un amateur éclairé de poker, quelqu’un qui apprend et progresse ! » Avec une préférence pour le tennis, son sport préféré. « Le tennis, ça me rappelle beaucoup le poker : quand deux joueurs de niveau similaire vont s’affronter, le mental va souvent faire la différence. Et là-dessus, l’expertise de Benoit Maylin [journaliste et consultant, entre autres, dans le Sans Filet de Winamax TV] est hallucinante. Ce mec connaît ce sport sur le bout des doigts, les joueurs en forme, ceux qui peuvent craquer alors qu’ils sont favoris. Il est capable d’aller chercher des cotes à 3, et de battre les traders dans ses prédictions ! Je le suis les yeux fermés. » Après quelques mois difficiles en début d’année, le dernier French Open a permis à Pierre de repasser largement dans le vert, à la faveur de plusieurs combinés gagnants. Les sommes annoncées (qui resteront off) ont largement de quoi redonner le sourire à une bankroll pas épargnée par la variance propre au poker.

Deuxième mi-temps. Avec un seul but d’avance, Pierre et les USA sont loin d’être tirés d’affaire. Un match nul dans le temps réglementaire condamnerait notre parieur à mettre son gros ticket à la poubelle. Son match n’est pas vécu aussi physiquement que s’il était sur le terrain, mais nous n’en sommes pas loin. A chaque poussée française dans le clan américain, Pierre remue, lance des explétifs fleuris, cogne ses voisins qui n’en demandent pas tant. Son siège recule, centimètre par centimètre, il va bientôt cogner le rang derrière lui. Puis Megan Rapinoe double la mise à la 65e minute. Nouvelle explosion de joie, mais pas si vite : un troisième but est refusé sur un hors-jeu invisible à l’oeil nu, avant que Wendie Renard ne réduise le score de la tête quelques minutes plus tard. Les dix dernières minutes de la rencontre sembleront durer des heures, les cinq minutes de temps additionnel une journée entière. Jusqu’à la délivrance : trois coups de sifflet, joie échevelée, téléphone dégainé : « Bon, combien j’ai gagné ? Ah, trois bullets sur le 10K, en freeroll ! »

Pierre Aria
20 heures. Il ne reste plus qu’une heure à jouer sur le Day 1A du partypoker Live Millions de l’Aria. Au compteur, 210 joueurs répartis sur un nuage de tables disposées au beau milieu des machines à sous du luxueux casino. Une affluence correcte pour une épreuve prévoyant deux journées de départ et un juteux garanti de 5 millions de dollars. Les yeux mi-clos, l’air éteint, Pierre Calamusa divise son attention entre l’action à sa table et son téléphone mobile. « Je suis crevé ! » Je lui fais remarquer qu’il ne joue que depuis six heures : il ne s’agit pas exactement d’un marathon du poker. « Ouais, mais j’ai laissé un paquet d’énergie dans le match ! » Pas faux. Et puis, devoir jouer entre Justin Bonomo et Stephen Chidwick (pour ne citer que les deux joueurs les plus connus auxquels Pierre fait face), c’est probablement un poil fatiguant. Le reste du field est à l’avenant : loin des boucheries low cost des WSOP, ce 10K a attiré un concentré de hauts dignitaires du poker. Shaun Deeb, Matas Cimbolas, ElkY, Sergio Aido, Mike Sexton… Les légendes jouent des coudes avec les cadors de la nouvelle génération, et la proverbiale table facile n’existe pas.

Soixante minutes plus tard, Pierre termine la journée dans le vert, avec 138 000 jetons à mettre dans le sac (stack de départ : 100K). C’est autant que son coéquipier Ivan Deyra, et un profit appréciable si l’on considère la lenteur de la structure. « C’est le rêve : on a débuté à 500/1 000, on termine à tout juste 1 000/2 000 ! Le seul inconvénient c’est qu'avec 100 BB au départ, si tu trouves un setup genre deux Rois contre deux As, tu sautes dès le niveau 1. » Une déconvenue qu’a subie aujourd’hui Adrien Delmas (deux Rois qui ne tiennent pas face à As-Roi), mais pas Pierre : devant lui s’ouvre la réjouissante perspective d’un rare day off, pendant que d’autres joueurs tenteront leur chance sur le Day 1B. « On mange où ? Attention, je suis en plein régime keto. J’ai pas le droit aux sucres. Donc pas de pâtes, pas de riz, pas de sauces. » Mon Ami Gabi, le restaurant mi-steakhouse, mi-français situé au pied de la fausse Tour Eiffel en face de l’Aria, fera parfaitement l’affaire, et c’est devant un gigantesque Bone-In Ribeye cuit à point que nous allons faire le bilan de ces WSOP, à quelques jours du Main Event.

Pierre WSOP
« J’avais l’impression qu’il fallait que je change quelque chose par rapport au Vegas précédent », explique Pierre. « Avoir Tony [Miles] à mes côtés, ça me donnait la chance de m’inspirer de ce qu’il fait bien. » En l’occurence : sa préparation. « L’objectif, ça devenait de me scotcher à lui, lui faire confiance à 100% pour le régime et pour l’entraînement. Je me colle à son rythme : on s’entraîne ensemble, on prend les repas ensemble, il me dit quoi manger et quand manger. C’est important parce que le régime keto, c’est dangereux. Cela implique de manger beaucoup de graisses, donc il faut faire gaffe à bien les cramer derrière, c'est facile de se foirer. » Côté cerveau, Pierre travaille avec une préparatrice mentale depuis six mois, et le poker se travaille aussi en équipe, avec le Team bien sûr, et des joueurs de l'ombre lui apportant leur concours pour apprendre à faire face aux schémas qui l'embêtent encore. "Mon jeu le plus fort, c'est avec 100 blindes deep. Avec 20 ou 30 blindes, j'ai des leaks à résoudre." En revanche, en ce qui concerne les distractions, c’est forcément déçu que je vous révèle le scoop : « Je ne suis pas encore sorti. Même la semaine dernière, quand tous les autres sont partis en boîte, je suis resté à la maison ! »

Résultat : Pierre n’a jamais été aussi en forme. « J’ai énormément d’énergie et ce qui est marrant, c’est que je suis presque devenu accro à l’entraînement. On fait des séances assez lourdes, entre 45 minutes et une heure, et faire ça à deux est beaucoup plus intense que lorsque tu es seul, c’est ce qui m’avait manqué l’an passé. En fait, pour être performant, j’ai besoin que toutes les planètes soient alignées : il me faut la bonne salle, le bon partenaire… Si je suis seul, je ne fais rien de bien. Aller à la salle, ça me donne un tonus de fou. »
 


Après un bon début d’année aux Bahamas (trois places payées et un beau deep run sur le Main Event que vous pourrez bientôt voir dans la prochaine saison de Dans la Tête d’un Pro), Pierre peine à lancer la machine à Vegas : il n’est passé que deux fois à la caisse depuis son arrivée il y a trois semaines, pour un total de gains bien inférieur à son total de buy-ins. Toute la discipline du monde ne peut rien contre une variance défavorable, mais elle peut aider à voir le bon côté des choses : « C’est compliqué, mais ce qui compte c’est de suivre ma routine, jour après jour. Si à chaque tournoi j’arrive plus fort mentalement et physiquement que sur le précédent, ce n’est pas grave de sauter ensuite. »

Une explication possible à cette carence de résultats est peut-être à chercher dans la stratégie adoptée par Pierre, résolument agressive d’entrée de jeu. « C’est vrai que je gamble à fond, sans me soucier du ROI. Je me dis toujours ‘C’est le bracelet ou rien’ » Ainsi, Pierre préfèrera volontiers arriver tardivement dans un tournoi, quand le tapis de départ ne représente plus que 20 blindes, et prendre le premier spot potable qui se présente pour faire tapis préflop. « J’envoie tout comme un porc, et on voit si ça passe. Le bracelet est tellement important, surtout pour un joueur sponsorisé. C’est con, mais c’est comme ça : si je gagne un bracelet à 500K après avoir buy-in 600K de tournois, cela sera plus marquant que si je suis gagnant de 100K en ayant fait deux finales où je bust rapidement. »
 



J’expose à Pierre Calamusa ma théorie personnelle à propos de Pierre Calamusa : si l’on prend l’ensemble de sa carrière (six, sept ans au compteur, mettons), on constate que LeVietF0u alterne constamment entre les périodes où il est un degen complet, et celles où il prétend être un degen complet. Les périodes où il fait la fête jusqu’à l’aube après avoir monté le tapis du chip-leader, pour sauter le lendemain sur un bluff, et les moment où ce grand n’importe quoi n’est qu’une image, masquant un travail acharné sur tous les fronts. Pour répondre, Pierre rembobine : « J’ai vécu un énorme traumatisme à Malaga à mes débuts [une période racontée avec brio sur le blog du Team]. Quand je suis parti, j’avais perdu la meuf que j’aimais, j’avais perdu tout mon argent, on m’avait volé, je pesais 90 kilos, j’étais horrible. C’est là que j’ai compris que si tu te mets à sortir, à faire la fête, à profiter, et que tu le fais tout le temps, tu vas dans le mur. Tu seras malheureux. Je ne veux plus jamais revivre ça ! Et puis, pour vraiment apprécier ces périodes où tu te laisses aller, il faut assurer derrière, être rigoureux. » Ce mouvement de balancier, un coup la vie de noceur, un coup la vie d’ascète, est parfaitement assumé par Pierre. « Pour voir dans quelle période je suis, c’est simple, tu regardes le coverage : est-ce que j’ai l’air d’un loukoum ou pas ? » Et la forme physique est selon lui le meilleur indicateur de sa forme mentale. « Si tu me croises avec des kilos en trop, tu peux être sûr qu’à l’intérieur je suis au fond du trou. » Ce qui ne veut pas dire que Pierre culpabilise de ses excès. « Je sais très bien qu’après les WSOP, je vais sûrement faire le con. Je vais aller quelque part en Europe, choisir les meilleurs restos, les bonnes bouteilles. Mais après une semaine, stop, c’est reparti pour trois semaines sérieuses. » Là où certains auraient un mal de chien à quitter le costume de fêtard pour celui d'athlète, Pierre se réjouit à l’avance de cette phase de transition. « Se remettre en forme, c’est méga grisant ! Chaque jour, tu te sens plus fort, chaque jour tu te sens plus beau. Tu te vois remonter la pente. »
 

Pierre WSOP
De nos jours, un bon joueur de poker sponsorisé est un joueur constamment présent sur les réseaux sociaux, disponible pour la communauté, se racontant en permanence. Réelles ou exagérées, les frasques de Pierre Calamusa à la table comme en dehors ont contribué à faire de lui un joueur qu’on aime suivre : on admire ses forces et on s’identifie à ses failles. Mais cette image qu’il a façonnée, ne s’en sent-il pas parfois prisonnier ? Pierre balaie la question d’un revers de la main. « Peu importe, en fait ! » C’est que les années et l’expérience lui ont inculqué ce que les gens attendaient de lui : qu’il partage les coulisses de cette carrière si singulière qu’est celle d’un joueur, et qu’il nous fasse vibrer en prenant les risques que nous n’oserons jamais prendre. Mais dans un milieu où l’argent est l’outil de travail quotidien, la frontière est souvent mince entre le rêve et la vulgarité la plus bas de gamme. Pour contrer cela, Pierre dispose d'une arme pas du tout secrète : le second degré. Sur les réseaux, son humour n’épargne personne, et surtout pas lui-même. Quitte à parfois choquer. « Les gens ont parfois du mal avec ça », admet-il. « Quand je poste ‘les fragiles jouent le 1K$, les hommes jouent le 10K$’, il faut voir aussi le post juste derrière où j’écris ‘merde, j’ai bust du 10K$, retour à la division des fragiles !’ Je suis le premier à me moquer de moi, et à dire qu’il ne faut pas juger les gens sur la taille de leur bankroll. »

Aujourd’hui, Pierre Calamusa a atteint une sorte de quadrature du cercle du joueur de poker sponsorisé. Perpétuellement au milieu d'un numéro d’équilibriste, voulant tout faire à la fois, il doit savoir jongler entre des variables bien différentes. Abscisses : recherche de la performance aux tables tout en faisant la promotion d’une marque. Ordonnées : proximité avec la communauté mais style de vie atypique. Mais derrière, il y a quoi ? Pour l’heure, Pierre ne préfère pas se fixer de date de péremption dans le milieu du poker, ni d’objectifs chiffrés à atteindre pour « passer à la suite », selon la formule consacrée. « Ce que je fais en ce moment, me préparer chaque jour, essayer de devenir meilleur, c’est un objectif qui se suffit à lui-même, c’est assez pour me contenter au quotidien. Et puis, je suis à l’aise dans ce milieu, je profite à fond des avantages. Ce qui m’a donné envie de jouer au poker, ce sont les anciens du Team comme Ludovic Lacay ou Antony Lellouche, des mecs qui me faisaient rêver aussi bien par ce qu’ils faisaient à table qu’en dehors. »

Le Grenoblois a grandi dans une famille où l’on respectait deux choses avant tout : la valeur de l’argent, et la littérature. Son choix de carrière particulier l’a amené à piétiner allègrement la première notion, mais quelques-uns des livres avec lesquels on l’a fait grandir l’ont marqué au fer rouge. « J’ai toujours ce désir d’ascension sociale dans le milieu que j’ai choisi, un milieu pas toujours très rose. Il y a toujours le risque d’échouer, et de se retrouver à quarante ans avec rien de plus que des souvenirs. J’ai deux héros : d’abord Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir : il est aussi fasciné que dégoûté par l’aristocratie et la grande bourgeoisie. Et puis Lucien dans Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, l’auteur préféré de mon père. Il a toutes les armes et les appuis pour réussir, mais sa faiblesse de caractère finit par le faire échouer complètement... » Ascension vers le haut de la pyramide ou dégringolade vers les sous-sols ? Ne me demandez pas à quoi ressemblera le dernier chapitre du VietF0u : je ne sais même pas de quoi la prochaine page sera faite...

WSOP : un enfer pour les croupiers ?

- 30 juin 2019 - Par Flegmatic

Les conditions de travail des croupiers au Rio auraient-elles empiré cette année ?

Croupiers Amazon

Chaque édition des World Series of Poker apporte son lot de nouveautés. Nouveaux tournois, nouvelle répartition des prix, nouvelle organisation des épreuves au long de l'été, nouvelles structures, etc. : d'un été à l'autre, les éminences grises du groupe Caesars s'activent en coulisses pour continuer de faire évoluer les WSOP et faire grossir l'affluence générale au Rio. Et de fait, depuis 2005, la marque World Series of Poker est progressivement devenue l'emblème numéro 1 du poker dans le monde, grâce à une stratégie globale comprenant la création des WSOP-Circuit aux États-Unis puis partout dans le monde et les fréquentes délocalisations en Europe (WSOP-E) et en Asie (WSOP APAC). Quant aux bonnes vieilles World Series à Vegas, leur affluence globale ne va que vers le haut d'année en année.

Au premier rang des facteurs explicatifs, la multiplication des tournois "brandés" offrant chacun leurs gimmicks propres (Monster Stack, Crazy Eight, tournois for One Drop, Millionaire Maker, Colossus, Big 50...), une prolifération de tournois aux buy-in abordables ainsi qu'une refonte des structures offrant un confort de jeu globalement supérieur à ce que l'on pouvait rencontrer il y a quelques années.

Sur le papier, tout le monde semble donc gagnant : d'un côté les joueurs, qui passent en moyenne plus de temps à table et peuvent jouer au "vrai poker" plus longtemps avant de se lancer à corps perdu dans un festival de lancers de pièces ; de l'autre, l'organisation, qui peut se vanter de détenir encore et toujours le circuit le plus emblématique du poker moderne.

Sauf que rapidement, des voix ont commencé à s'élever contre ces nouvelles structures. Si je ne reviendrai pas en détail ici sur ce sujet, déjà abordé en début de festival dans un article de Tapis_Volant, le principal élément à garder en tête est celui-ci : il faut jouer plus longtemps qu'avant pour espérer toucher au mieux la même chose. Une sorte de "travailler plus pour potentiellement gagner moins", qui s'applique également à une autre catégorie d'acteurs d'un tournoi de poker : les croupiers. Un problème de taille qui m'est apparu par l'intermédiaire d'un tweet signé Angela Jordison, une joueuse régulière du circuit américain.

"Je ne comprends pas comment les WSOP peuvent être le temps fort de l'année pour les joueurs de poker et se transformer en soupe populaire pour les croupiers. Je me sens mal pour eux de la baisse des salaires qu'ils viennent de subir. De très bons croupiers sont en train d'abandonner à cause de cela."

Everybody's feeling down

Pour comprendre d'où vient véritablement le problème ici, remontons à la source et à comment sont payés les croupiers aux World Series - et par extension dans le reste des États-Unis. En plus de leur salaire de base, qui correspond au minimum légal de 8,25 $ par heure, chaque croupier reçoit une fraction des pourboires collectés pendant la semaine, que peuvent (ou non) laisser les joueurs entrés dans les places payées au moment de collecter leur gain. Aux WSOP, 69,5% du total des pourboires est redistribué aux croupiers - le reste étant partagé entre les autres employés (superviseurs, guichetiers à l'inscription et au payout, autres membres du staff) -, montant lui-même divisé ensuite par le nombre de "downs" effectués par l'ensemble des croupiers sur tous les tournois de la semaine.

Qu'est-ce qu'un down vous entends-je demander ? Pour les croupiers, c'est tout simplement le nerf de la guerre, l'unité de mesure préférentielle servant à calculer les salaires. Plus concrètement, un down désigne la période de trente minutes durant laquelle un croupier reste habituellement à une table, avant de passer à une autre (ou de partir en pause). Le montant du down lui, est recalculé chaque semaine, et dépend de tout un tas de facteurs (taille des fields, nombre de croupiers, total des pourboires collectés...). Il ne peut donc pas être estimé à l'avance, ou alors très difficilement, par des esprits bien plus calés en équations que votre serviteur.

En résumé : salaire d'un croupier = salaire minimum (8,25 $/h) + [prix du down multiplié par le nombre de downs effectués durant la semaine]

Conséquence directe de l'allongement de la durée des tournois et de la stagnation de la part du rake allouée aux employés - à ne pas confondre avec celle qui file dans les poches de l'organisation, ici le groupe Caesars -, le montant du down a drastiquement diminué cette année, suivant une tendance démarrée au début des années 2010. S'il n'est pas facile de trouver des croupiers acceptant de parler librement de ce sujet on ne peut plus sensible, certains ont accepté de répondre à nos questions. Au contraire d'ailleurs de l'organisation qui, lorqu'interrogée, a fait valoir un sujet "trop sensible" et le tout récent rachat du groupe Caesars par Eldorado Resorts pour botter en touche.

Croupière Solo Pavilion

Une croupière au milieu de la Pavilion Room, durant la pause du Crazy Eights.

"Cette année est la pire jamais enregistrée, nous a confié Leslie*, croupière ayant travaillé aux WSOP entre 2012 et 2015 et qui continue de se tenir informée des conditions de travail au Rio. Sur les trois premières semaines de cette édition 2019, un down était payé en moyenne 12,82 $, contre 15,69 $ l'an passé, soit une baisse de près de 20%." Une chute drastique dûe en grande partie au Big 50, événement sur lequel aucun rake n'a été prélevé sur les premières entrées de chaque joueur. Et avec les longues files d'attente menant aux guichets observées dans les couloirs du Rio, peu nombreux ont été ceux qui ont pu repasser à la caisse.

"Ma fille serveuse de 19 ans gagne plus en tips !"

À ce niveau, 2015 correspond à un véritable tournant, car marqué par la première édition du Colossus - devenu alors le plus gros tournoi de poker de l'histoire en terme d'affluence - et une première retouche apportée aux structures. "La première semaine des WSOP 2015 fut la plus faible que je n'avais jamais vue, poursuit Leslie, à 10,77 $ le down. Cette année-là fut également la première où les heures supplémentaires sont devenues obligatoires, tout comme les semaines de six jours. Je suis convaincue que cela a été mis en place à cause des nombreux départs de croupiers mécontents de cette situation. D'ailleurs, la plupart des croupiers que je connais sont partis pour ces raisons, et j'ai fait de même."

Car si le montant semble décent, la formule n'a rien de mathématique : le taux du down ne reflète pas un éventuel salaire horaire. "Ce n'est pas aussi facile que cela en a l'air, détaille sur Twitter un croupier répondant au pseudo de @J9sPoker en réponse au tweet ci-dessus. Sur une journée de 8 à 10 heures, un croupier prend un certain nombre de pauses, non rémunérées, et n'effectue donc "que" entre 12 et 16 downs. Ma fille serveuse de 19 ans gagne plus gagne plus en tips !"

Trump, crise cardiaque et lasagnes préparées

Croupiers Pavilion

À ce facteur s'ajoute un autre : les multiples dépenses auxquelles un croupier doit faire face, la première d'entre elles étant, sans surprise, les taxes. Lisa*, cinq WSOP au compteur, nous aide à faire les comptes. "En moyenne, un croupier gagne entre 10 000 et 12 000 $ bruts sur l'été, soit entre 6 000 et 8 000 $ nets. De mon côté, j'arrivais jusque-là à gagner autour de 15 000 $. Cette année, je serai contente si j'arrive à 10 000." La faute également à une réforme promulguée en 2018 par l'administration Trump, empêchant les croupiers non-locaux de se faire rembourser leurs diverses dépenses (repas, logement, frais kilométriques, etc.). "Avant cela, je pouvais me faire rembourser jusqu'à 4 000 $ sur un seul été. Ce n'est plus possible aujourd'hui."

Et ils sont nombreux à venir dans le Nevada spécialement pour la période des World Series. "En moyenne, je dirais qu'un croupier en déplacement est déjà en déficit de 1 000 $ avant même d'arriver à Vegas," avance Leslie. Vivant une majeure partie de l'année en Floride, Lisa abonde : "Généralement, le logement ici me coûte environ 2 000 $. Je pourrais payer moins mais je n'ai pas spécialement envie de loger dans un motel miteux. Et puis, les prix des hôtels ont augmenté ces dernières années." Là où certains pourraient donc y voir un peu vite un salaire avantageux à se mettre dans la poche sur une courte période, la réalité est en fait toute autre. "Surtout, enchaîne Lisa, un croupier est dépendant du circuit et peut donc passer plusieurs mois d'affilée sans travailler. Les sommes touchées durant l'été servent donc également à combler ces périodes creuses."

"Quel est l'intérêt d'avoir un plus gros tapis de départ et de meilleurs structures si vous avez un croupier qui n'est pas capable de distribuer plus de dix mains en trente minutes ?"

Un statut de travailleur temporaire qui ne leur donne pas droit ni à la sécurité de l'emploi ni à une forme quelconque de sécurité sociale. "Un croupier a fait une crise cardiaque en début de semaine. L'hôpital lui a présenté une facture de 157 000 $ !" Même la nourriture ne semble pas épargnée par cette dégradation générale. "Elle est vraiment horrible cette année, poursuit Lisa. Un jour sur deux, c'est le même plat qui revient. Essayez donc de manger des lasagnes préparées pendant presque toute une semaine. On ne nous offre même pas la possibilité d'avoir des réfrigérateurs. J'achète donc à manger en dehors, ce qui s'ajoute à mes dépenses. Et quand on ose se plaindre de la situation, on nous répond que nous devrions être reconnaissants d'avoir de la nourriture à disposition !"

Salle de Repos Croupiers

À l'entrée de la salle de repos des croupiers, dans les coursives du Rio.

Un constat peu flatteur, qui inquiète autant qu'il attriste. "Ça me brise le coeur, vraiment, avoue Lisa. Je suis moins en colère que triste depuis le lancement du festival. J'aime les WSOP, j'ai envie que la marque conserve un certain statut, représente un certain niveau de standing. Mais je pense que l'expérience de chacun en ressort vraiment touchée, presque ruinée. Aussi bien pour les croupiers que pour les joueurs."

Car pour faire face aux nombreux abandons en cours de route ou à ceux qui choisissent de ne pas revenir d'une année à l'autre, les WSOP sont obligés de faire appel à du personnel non expérimenté. "Les nouveaux croupiers ne reçoivent aucune formation, aucune préparation. Une fois dans le grand bain, c'est 'marche ou crève'. Sans compter les croupiers plus âgés, qui ne sont pas tous capables de travailler entre 12 et 16 heures par jour. Et les superviseurs sont durs, rarement d'une grande aide". Sur ce point, Leslie se fait encore plus virulente : "Quel est l'intérêt d'avoir un plus gros tapis de départ et de meilleurs structures si vous avez un croupier qui n'est pas capable de distribuer plus de dix mains en trente minutes ?" Et Lisa de rebondir : "En l'état, je travaille deux fois plus pour gagner moinsJ'ai bien peur que l'année prochaine soit affreuse. On a longtemps dit que le poker allait mourir faute de joueurs. Il risque plutôt d'agoniser faute de bons croupiers."

S'unir pour mieux se faire entendre

"J'avais dit précédemment que les croupiers allaient être furieux de ces nouvelles structures. On aurait pu croire que les WSOP comprendraient que, quand l'argent n'est atteint que tard sur un Day 2, le taux du down s'effondre."
Avec Shaun Deeb et Daniel Negreanu, le triple vainqueur de bracelets John Monnette fait partie de ceux dont le nom revient régulièrement dès qu'il s'agit de prendre la défense des croupiers.

Face à cette situation qui ne cesse de se détériorer, la forte concurrence qui règne à Vegas semble avoir pris le pli et peut être une lueur d'espoir pour bon nombre de croupiers. "J'ai un ami qui travaille au Wynn, précise Lisa, il touche 27 $ pour un down. Même le Golden Nugget paie plus qu'ici ! Au Rio, on est assurés de trouver un volume de travail important, mais c'est à peu près tout. Ah tiens, on vient de recevoir le montant pour cette semaine : 15 $, c'est enfin un peu mieux," complète-t-elle en montrant sur son smartphone le statut Facebook d'un collègue. 

Partie chercher bonheur et fortune durant l'été au Venetian, Leslie ne semble elle pas regretter son choix. "La part du rake reversée aux salariés a été augmentée, se répercutant donc positivement sur le prix du down. Je pense d'ailleurs que les joueurs sont prêts à payer pour ça, pour des croupiers qui savent compter un pot et lire une main." "Les joueurs semblent vraiment touchés par ce problème, souffle Lisa. Il m'arrive fréquemment d'en discuter à table, preuve que le sujet se diffuse de plus en plus."

Une inquiétude qui ne se reflète pas encore dans les pourboires laissés, ceux-ci s'élevant à seulement 15 000 $ tous tournois confondus pour toute la semaine dernière au Rio. "S'il y a bien une catégorie de personnes qui devrait comprendre nos problèmes, montrer plus d'empathie, ce sont bien les joueurs, lâche Lisa. Eux et nous avons les mêmes dépenses. Mais il est aussi de notre devoir de nous regrouper. Les casinos ont leur association, les directeurs de tournois ont la leur... Qu'en est-il des joueurs et des croupiers ? Nous sommes censés être une famille et elle est en train de se fissurer complètement."

"Certaines personnes pensent que je garde de la rancoeur envers les WSOP mais ce n'est pas vrai, conclut Leslie. Je veux juste faire en sorte que les choses changent pour qu'un jour, n'importe quel croupier veuille s'y retrouver, plutôt que de les considérer comme l'un des pires endroits du circuit où travailler. J'adore mon métier et je suis reconnaissante de pouvoir l'exercer. Il est unique." Charge maintenant à l'ensemble des acteurs de notre milieu de faire en sorte qu'il le reste.

*Les prénoms ont été modifiés.

Shaun Deeb peut-il faire le doublé POY ?

- 28 juin 2019 - Par Veunstyle72

La fin des WSOP approche petit à petit, faisons un point sur le classement "Player Of the Year"

27 juin 2019 ! C'est moi ou le temps passe vite ? Les World Series Of Poker arrivent déjà lentement sur la fin. Avec le début de l'event 63 cet après midi, c'est près de 2/3 du chemin qui a été effectué cette année (89 tournois au programme). Et alors que le Poker Players Championship s'apprête à récompenser un joueur ce vendredi 28, d'un million de dollars, d'un bracelet, et de beaucoup de points pour ce classement "POY", il est peut-être déjà temps de regarder qui se positionne comment.

shaun deeb

Actuellement premier au classement, on retrouve l'Américain Daniel Zack : un bracelet remporté début juin sur un Limit Mixed Triple Draw à 2 500 $, une table finale en début de semaine sur un Omaha8/Stud8 et une régularité globale (déjà 10 ITM) qui le place tout en haut de ce tableau.

Mais s'il s'amuse à jeter un coup d'oeil dans son rétro, Daniel Zach s'apercevra que derrière, ça se bouscule au portillon. Jason Goosh est 2e, après avoir terminé second d'un bracelet online... puis en avoir remporté un autre, toujours online, deux semaines plus tard. Upeskha De Silva est 3e (un bracelet aussi, son 3e en carrière), Scotts Clements (également 3e bracelet en carrière gagné) est 4e alors qu'un certain Shaun Deeb (photo) fait ensuite son apparition en 6e position. Pour le moment... car quoi qu'il arrive sur le Players Championship, le résultat final fera évoluer le classement.

Avec 6 joueurs restants sur le PPC au moment d'écrire ces lignes, Shaun Deeb inscrira suffisament de points pour repasser 2e au général, s'il venait à disparaitre maintenant. Et si son aventure se poursuit aussi bien, il pourrait alors carrément se glisser à la première place du classement. Il lui faudrait alors au moins atteindre le tête à tête final de ce 50 000$. 

A quoi ressemble le parcours de Shaun Deeb cet été ? A une belle promenade de santé, un peu comme l'an dernier finalement, mais avec deux bracelets en moins et un Romain Lewis bien trop loin pour venir l'embêter en 2019 : 11 ITM avec le PPC à venir, une place de runner up sur un tournoi à 10 000$ de Dealers Choice, cinq places frustrantes on imagine (9e, 13e, 13e, 16e, 24e) et près de 233 000$ remportés. 

Peut-il le faire à nouveau, comme Daniel Negreanu en 2004 et 2013 (seul doublé POY jusque là) ? Bien sur, il est même bien parti pour. Existe-t-il des joueurs qui peuvent vraiment le taquiner d'ici là ? Je suis reporter poker, pas un grand spécialiste de l'avenir, mais avec 2 500 points, il y a fort à parier que ça ne suffira pas pour rester premier (l'an passé, il avait inscrit plus de 5 000 points !). Daniel Negreanu lui même, 30e au classement avec 10 ITM (dont un tournoi toujours en cours) peut faire partie de ces troubles fêtes pour Shaun Deeb, si jamais le Kid venait enfin à faire un joli score d'ici la fin de l'été. Car jusque là, s'il a bien atteint deux tables finales (6e de l'event 2, runner up de l'event 41) le reste de son Vegas ne se déroule probablement pas comme il l'avait prévu. 

Rien que de penser que Shaun Deeb puisse, deux années de suite, devenir numéro un des WSOP, chose que personne n'a jamais réussi à faire dans l'histoire des WSOP (même si le classement n'existe vraiment que depuis 2004) forcerait une sorte de respect éternel.

RANK NAME POINTS
1 Daniel Zack 2 516,41
2 Jason Gooch 2 268,02
3 Upeshka De Silva 2 162,02
4 Scott Clements 2 157,48
5 Daniel Strelitz 2 032,04
6 Shaun Deeb 1 910,18
7 Robert Campbell 1 879,49
8 Ismael Bojang 1 816,91
9 Ari Engel 1 786,49
10 Kevin Gerhart 1 766,55
11 Frankie O'Dell 1 716,45
12 Brett Apter 1 663,03
13 Ben Yu 1 643,91
14 Dash Dudley 1 641,73
15 Joseph Cheong 1 628,07
16 Benjamin Underwood 1 587,57
17 Asi Moshe 1 579,18
18 Loren Klein 1 558,98
19 Roman Korenev 1 547,38
20 Thomas Cazayous 1 542,48

Et les Français dans tout ça ? Comme vous pouvez le voir juste au dessus, le premier d'entre eux apparait en 20e position, et sans surprise, il s'agit de Thomas Cazayous, qui grâce à son bracelet glané sur un 3 000 $ 6-max avec 754 joueurs, se classe aussi haut.

Par la suite, pour trouver une trace bleu blanc rouge dans le Top 100, accrochez vous bien car... il n'y en a tout simplement pas ! Quelques grands noms sont bien là (Isaac Baron, 33e, Luke Schwartz 39e, Stephen Chidwick 41e, Robert Mizrachi 58e, Andrew Lichtenberger 61e, Anthony Zinno 66e, Dario Sammartino 71e, Calvin Anderson 78e, Phil Hellmuth 87e) mais les Français manquent très clairement à l'appel. Pas l'ombre d'une trace de Yoh Viral ou de Vincent Chauve, deux de nos Français runner up d'un event cette année, pas l'ombre non plus d'un Julien Martini ou d'un David Benyamine. Vous allez me dire "et quid de Sandrine Phan (3e Ladies) ou encore Jean René Fontaine (2e du Seniors Event)" et je vous répondrai que les WSOP n'incluent pas certains tournois dans ce classement, le ladies et les tournois Seniors et Super Seniors, en faisant notamment partie (il y a aussi le Casino's Employee, le Tag Team et Bracelet Winner’s Only qui ne comptent pas).

Bien évidemment, ce classement n'est que provisoire, et les enseignements finaux de ces WSOP seront à récupérer d'ici quelques semaines. Les choses changeront certainement encore, et rien n'est perdu, notamment pour les Français. Il n'empêche, il va peut-être être temps d'enfin faire quelque chose cette année, histoire de laisser une trace un peu plus indélibile sur cette édition 2019.

cazayous

Le meilleur joueur de poker au monde ?

- 27 juin 2019 - Par Tapis_Volant

Timofey "Trueteller" Kuznetsov est-il actuellement le meilleur ?
Il est dans le Top 5 du Players Championship à 34 left
Event #58 : Poker Players Championship 50 000 $ (Day 3)

Trueteller

Derrière ce titre très "putaclic" je l'avoue, se cache un vieux débat qui revient régulièrement dans les conversations des joueurs de high-stakes. Qui est donc le meilleur joueur du monde à ce jeu ?

Pendant longtemps, un nom revenant toujours, celui de Phil Ivey (actuellement dans le Top 3 de ce Players Championship, d'ailleurs), parce qu’il semblait être le joueur le plus complet. Il détenait 10 bracelets WSOP, dont aucun gagné en No Limit Hold'em, jouait les parties de cash-games les plus chères du monde et continuait à se battre avec les meilleurs online. Mais ça, c’était avant l’arrivée d'une génération de joueurs qui sont venus changer la donne. Les Dwan, Hastings, Isildur1, bientôt remplacés par d'autres, encore beaucoup plus forts, comme Sauce123, LLinusLLove.

Petit à petit, un joueur a émergé de ce field de joueurs online qui disputaient les plus grosses parties, grindant sans relâche, d'abord en No Limit Hold'em, puis en 2-to-7, et bientôt en Mixed Games, montant plusieurs millions online sans que l'on connaisse sa véritable identité.

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La courbe de gains de Timofey "Trueteller" Kuznetsov en No Limit Hold'em depuis 2011

En 2015, c’est au cours de ce Poker Players Championship qu’il a révélé son identité, à travers une simple discussion à la table avec Phil Galfond. Le jeune russe Timofey Kuznetsov était donc ce fameux « Trueteller » qu’on voyait assis non-stop sur les plus grosses tables de cash-game online, que ce soit sur Full Tilt ou PokerStars.

Depuis, le jeune joueur a acquis cette réputation d’être l’un des meilleurs du monde, si ce n’est le meilleur. Pour Rui Cao, qui le connaît très bien, il « est assurément dans le Top 3 des meilleurs joueurs du monde. Il joue les plus grosses parties de cash-game à Macau depuis 4 ans et est largement au-dessus du field de ce 50k$. ». Pour Alex Luneau, qui jouait déjà contre lui quand j’avais filmé des sessions online chez lui à Londres pour Nosebleed, « c’est le meilleur en NL et en PLO, et de loin ». Hier, Julien Martini nous avouait ne pas être très heureux de se retrouver à sa table à la reprise du Day 2, on le comprend.

Longtemps dans l’ombre, Timofey Kuznetsov a décidé de passer sous les feux des projecteurs depuis qu’il a signé avec PartyPoker en Septembre 2018, souhaitant notamment jouer plus de tournois live, lui qui joue beaucoup en Macau, notamment en Short-Deck. Son palmarès affiche un score impressionnant de 5,4 millions de dollars de gains, avec pourtant seulement 6 lignes Hendon Mob, son plus gros gain à ce jour restant sa 4ème place sur le Super High-Roller Bowl à 500 000 $ pour 2,1 millions en 2015.

Sur ce 50 000 $ Poker Players Championship qu’il dispute pour le 3e fois, Timofey « Trueteller » Kuznetsov fait actuellement partie des chipleaders, avec plus d’un million de jetons à 35 joueurs restants, large chipleader d’une table qu’il partage avec Dario Sammartino, Jared Bleznick ou John Monnette.

Il n'est jamais parvenu à rentrer dans l'argent dans une épreuve des WSOP, quoi de mieux que le tournoi le plus prestigieux de l'été pour le faire ? Pour cela, il faudra rentrer dans le Top 12 d'une épreuve qui regroupe la crème de la crème des joueurs de variantes. Quand je demande à Rui Cao où il situe "Trueteller" sur ce field du 50k$, sa réponse est limpide. "Largement au-dessus. Après, c'est un tournoi, donc c'est high variance. Mais il a clairement un edge, d'autant qu'il joue beaucoup en live, déjà, et que techniquement, c'est le meilleur !".