A la découverte de James Chen, le meilleur ami de Julien Martini
Il veut devenir le premier taïwanais à remporter un bracelet WSOP
Event #45 : PLO High Roller 25 000 $ (Finale)
Malgré tous ces grands noms qui sont actuellement en table finale du 25 000 $ PLO High Roller, j’éprouvais quelques difficultés à m’intéresser à ce tournoi et à trouver sous quel angle l’aborder. J’aurais pu vous parler de Steven Chidwick qui dispute son premier tournoi des WSOP, vient d’être papa pour la première fois et se retrouve chipleader à 9 joueurs left. Ou de Erik Seidel, immortalisé sur sa dernière main du Heads-up du Main Event contre Johnny Chan dans Rounders, en quête de son 9ème bracelet. Mais c’est plutôt ce joueur taiwanais nommé James Chen qui va devenir le héros de cet article, lui qui abordera la table finale en 2ème position après avoir passé toute la journée dans le fauteuil de chipleader. Mais pourquoi, me direz-vous.
Alors, voilà, en plus d'avoir une Hendon Mob pas dégueu avec 2,6 millions de dollars glanés principalement à Macao ou sur les WSOP, James Chen est depuis trois ans le meilleur ami de Julien Martini, un joueur avec qui il a grindé les cash-game high-stakes de Macao, un joueur qui lui a presque tout appris, un joueur avec qui il a travaillé le jeu des heures durant pour devenir compétitif en mixed-games et disputer tous les plus gros tournois des WSOP.
Ce qui me pousse à vous parler de lui, c’est un événement qui s’est passé à la quasi bulle de ce PLO High Roller à 25 000 $, alors que les deux hommes se sont retrouvés à la même table. Un événement qui, quand on connaît l'histoire des deux hommes et les enjeux d'un tel tournoi, surprend toujours les observateurs naïfs que nous sommes.
Pour plus de précision, je laisse Julien Martini raconter :
" Ma table vient de casser, j'arrive à une nouvelle table, la table de James, qui a un énorme stack. C'est le break et je discute avec lui. Il m’explique la dynamique de la table, que les joueurs slowplay énormément, et que tous sont très tights. La stratégie à adopter pour lui, vu son stack, c’est de gagner le plus de petits pots possibles. Moi, je n'ai pas trop partagé ma stratégie parce que ça me semblait évident qu'avec un stack dans la moyenne, tu veux d’abord passer la bulle et tu vas jouer tight.
Troisième main après le break, James open 2,5bb UTG (50k sur 10k/20k), payé par Lo-jack, payé par Cut-off, je me retrouve en SB avec AAT3 avec 3 piques. Ici, je pense que la meilleure chose à faire, c’est de pot, d’isoler, pour se retrouver en HU. Si ça avait été double suité, on aurait pu imaginer un flat, là on est vraiment obligé d’isoler. Je pot à 300k avec 400k derrière et la BB se retrouve à payer mon pot à moi (Il avait 200k). Là, James commence à rentrer dans un tank énorme. Je me dis qu'il a deux as et qu'il est en train de se demander s'il doit call, la BB est en train de nous voler notre équité à tous les deux. Ici, j’ai toujours deux as vu la situation, rien d’autre. Et James décide de re-pot. Là, j’ai mis 40% de mon tapis avec à priori une des meilleures mains du PLO. Je vais jamais fold donc je call. Et il retourne AQJ9 doublé suité. Je comprends pas. Le flop c’est Q6x, turn une brique qui ouvre un flush draw et il fait la Q river pour me bust. On est à une bulle de 37k$, c’est beaucoup d’argent. Quand je vais jouer des tournois à 1 500$, c’est quasiment tous les tournois de l’été que je peux me payer avec cette somme. Lui, il part du principe que c’est pas sensé nous affecter, qu’on est censé faire tous les plays pour jouer la win.
Son explication à lui, c'est que j'ai vu qu'il avait beaucoup d'argent mort et que je suis en train de prendre le spot, parce que les autres ont tous des mains marginales pour payer simplement. Ce que lui ne comprend pas, c’est que moi j’ai envie de passer cette bulle, malgré le fait que je comprenne tout ça, ça reste quand même un open de sa part, du chipleader UTG, j’ai des notions d’ICM, donc je vais pas prendre ce spot avec air. J’aurais presque compris s’il m’avait montré 5678 double suité, une main avec une bonne équité contre une grosse paire. Mais pas une main qui est complètement crush par ma range !
Maintenant, je lui souhaite de ship, mais sur le moment, je crois que c’est mon pire souvenir de poker de ma vie, c’était contre un ami à la bulle, j’ai l’impression qu’il voulait que je sorte. Pendant 45 minutes, j’étais dans ma chambre, j’ai coupé la conversation avec lui sur mon téléphone. Mais au bout de 45 minutes, j’en ai discuté avec un pote qui m'a expliqué son raisonnement, je comprends ses arguments, je trouve que c’est mal joué, mais je l'accepte. On a vite brisé la glace, quand même. Je suis quand même content pour lui. »
Très affecté sur le coup, Julien Martini m'explique que c'est une situation très particulière. Bien sûr qu'ils se jouent à fond, que ce soit sur leurs parties de cash-game high-stakes ou sur leurs tournois, mais il a presque eu l'impression que James Chen l'avait justement surjoué ici pour prouver qu'ils ne collusionnaient pas. Au moment de rejoindre le field du Monster Stack et de laisser son ami démarrer sa table finale, Julien Martini n'oublie pas tout ce qu'il doit à James Chen, celui qui lui a permis de monter aussi haut dans le poker.
" On s’est rencontré il y a trois ans à Vegas, on jouait un 5k$ 6-Max des WSOP et à la table, on jouait à "Ce que pense Lodden", un jeu où on parie sur ce que pense une autre personne d'un sujet en particulier. Et le Lodden de l'Histoire, c'était James. Je me souviens que j'avais pris 20k$ à Esfandiari. J'ai run good mais James m’a expliqué qu’il fallait que j’arrête parce que les autres joueurs avaient un edge sur moi, parce qu'ils le connaissaient mieux. On s’est joué sur ce 5k 6-Max, puis sur un 3k 6-Max, et enfin sur un plus petit tournoi où on a pas mal discuté. On a bien sympathisé, on s’est rendu compte qu’on raisonnait pareil, on avait la même philosophie du poker, on se comprenait et c'était la première fois que je rencontrai quelqu'un avec qui je m'entendais si bien sur ce jeu. En août, il m'a invité en Asie, pour créer une émulation et travailler ensemble. Depuis, c'est très fusionnel, on passe toute l’année ensemble. Il était dans mon rail quand j'ai fini 2e du PSPC Bahamas. On se soutient et évidemment on a des parts sur les tournois de l'autre. "
Julien Martini m'explique que quand il a rejoint James Chen en Asie il y a trois ans, il jouait sur Winamax en cash-game en mid-stakes. A son contact, il a grindé les limites pour passer en seulement six mois de la 1€/2€ online aux parties de high-stakes live en 100$/200$. Ils ont travaillé ensemble à base de solvers, faisaient beaucoup de reviews de mains, et ont évolué par mimétisme, en imitant ce que faisaient les bons joueurs. Tel un Eric Cantona du Poker, Julien me sortira cette phrase qui explique le pourquoi de cet apprentissage par mimétisme: "The early bird gets the worm, but the second mouse gets the cheese". Ils imitaient les meilleurs, essayant de comprendre ce qu'ils faisaient de mieux que les autres. James Chen jouait déjà très cher, et il a aidé Julien en tirant vers le haut son niveau de jeu. Ils ont aussi regardé toutes les vidéos possibles, s'enfermaient ensemble et passaient leurs journées à travailler. L'an dernier, en janvier 2018, ils se sont mis à fond sur les Mix-Games, avec toujours le même process de travail, toujours du mimétisme.
Cette envie de jouer les mixed-games pour être performant sur les WSOP, c'est aussi par besoin de reconnaissance, parce que être un des meilleurs joueurs de cash-game high-stakes ne vous aide pas à être reconnu, James Chen veut être le premier joueur taïwanais à gagner un bracelet. Il ferait tout pour ça, même bust Julien Martini à la bulle. En Asie, ça lui arrive de jouer des 5 000$/10 000$ avec des riches qui, quand ils perdent 800k$ dans la soirée, te disent que de toute façon, avec leurs investissements, ils sont plus riches de 5 millions depuis qu'ils se sont assis à la table. Il joue sur ces parties parce qu'il est asiatique et qu'il en accepte les règles un peu spéciales, comme montrer ses cartes si les joueurs le demandent, après un coup. Parce qu'il faut faire plaisir aux joueurs récréatifs. Il a aussi joué le One Drop à 1 millions il y a quelques années.
Aujourd'hui, même si Julien Martini a du mal à digérer le fait que son meilleur pote l'ait bust à la bulle de ce 25 000 $ PLO High Roller, il sera là dans le rail (enfin, s'il bust rapidement de son 20e tournoi des WSOP), pour le soutenir dans son rêve de bracelet. Et accessoirement aussi parce qu'ils ont un swap de 15% sur le long terme et qu'il y a tout de même un beau billet de 1,6 millions de $ à aller chercher. Il reste 8 joueurs à battre à James Chen pour décrocher le bracelet, mais ce ne sont pas des enfants de choeur, c'est le moins qu'on puisse dire !
Composition de la table finale :
Siège | Nom | Pays | Stack | BB |
---|---|---|---|---|
1 | Ka Kwan Lau | Espagne | 3 920 000 | 33 |
2 | Erik Seidel | USA | 1 865 000 | 16 |
3 | James Chen | Taiwan | 8 295 000 | 69 |
4 | Robert Mizrachi | USA | 4 455 000 | 37 |
5 | Stephen Chidwick | UK | 8 925 000 | 74 |
6 | Matthew Gonzales | USA | 2 600 000 | 22 |
7 | Alex Epstein | USA | 7 395 000 | 62 |
8 | Wasim Korkis | USA | 2 595 000 | 22 |
9 | Ryan Tosoc | USA | 1 650 000 | 14 |