Le français Thomas Cazayous remporte 414 766 $ et le 20ème bracelet tricolore des WSOP
Il succède à Julien Martini et William Reymond, couronnés en 2018
Event #31 : No Limit Hold'em 6-handed 3 000 $ (Finale)
Rio. Amazon Room. 1h30 du matin. Les femmes de ménage ont déjà commencé leur travail dans la salle presque vide. Dans un coin de l'Amazon, un bracelet en or est posé entre deux hommes : le français Thomas Cazayous et l’américain Nicholas Howard. L'écran indique qu'il s'agit du 30ème niveau de l'Event #31, un tournoi de No Limit Hold'em à 3 000 $, disputé en 6-max, qui normalement devait connaître son épilogue demain. Et pourtant, les organisateurs ont décidé qu'un vainqueur serait connu ce vendredi 14 juin.
" I’m all-in ! " Thomas a bien entendu son adversaire prononcer les mots magiques. Sur la table, cinq cartes, disposées les unes à côté des autres. J4392. Thomas vérifie à nouveau sa main. Il possède J2. Deux paires. Seul petit problème, jusqu'à maintenant, il pensait avoir la meilleure main, c’est d’ailleurs pour cela qu’il a relancé la mise de son adversaire sur la rivière. Pour valoriser. Mais l’homme qui se dresse entre lui et le bracelet n'est pas de cet avis et vient de le 3-bet à tapis.
Est-il vraiment capable de bluffer ici ? Ca se bouscule dans la tête de Thomas. Enfin, c’est ce que l’on pense quand on l’observe de loin, sans le connaître. Mais dans son cerveau, ce sont des simulations de solvers qui défilent. Thomas sait parfaitement ce qu’il doit faire. Ces situations, il les a vues et revues mille fois pendant ses parties de cash-game online. Et pourtant, il est bien embêté et ne sait pas vraiment quoi faire. « C'est ma sa seule véritable décision du tournoi », dira-t-il au rail après le coup, amusant tout le monde par cette phrase d'extraterrestre.
" Je l’ai joué pendant tout le tournoi, ce joueur. Je sais qu’il est capable de gros bluffs, mais là, quand même, j’ai relancé à 1,6 millions et il me fait 3,3 millions et tapis. J’ai 1,7 millions à mettre, il a quasiment pas de Valet-3, Valet-4, donc là il représente straight ou bluff. Il représente 5-6, As-5. Peut-être qu’on peut discount quelques 5-6 qu’il aurait check/raisé au flop. J’ai pas trente six mille mains à call. C’est compliqué river, y a pas beaucoup de gens qui vont bluffer ici. Il avait mis 400k et il rajoute 2,9m, c’était osé de sa part, mais comme il a fait des trucs osés à d'autres moments du tournoi, je savais qu’il était capable de ça, c'est ça qui m'a décidé à payer "
Thomas sait que tout peut se finir ici, s'il paye et qu'il a raison, il sera champion du monde. Le rail n’attend que sa décision pour exprimer sa joie ou patienter pour assister au couronnement de leur héros d’un jour, et ils lancent quelques suppositions en regardant l'action. As-5 ? 6-5 ? Jamais ils n’évoquent la possibilité d’un bluff. On n'a rarement vu Thomas aussi embêté par une décision à prendre. Habituellement, il ne bouge pas d’un poil, calcule tout, ne change jamais de plan et prend ses décisions très vite. Mais là, tout se bouscule, enfin, c’est ce que l’on croit.
Après une bonne minute, Thomas pousse une pile de jetons pour indiquer qu’il accepte de payer. Son adversaire n’ose pas retourner ses cartes, se contentant d’un « Do you know you just win the tournament ? » Thomas ne décroche pas un sourire, révèle sa main et attend que son adversaire révèle la sienne, QT pour un gros bluff. Le rail explose de joie. Thomas Cazayous est champion du monde. Et pourtant, cela n’a pas l’air de lui faire grand chose.
Cette froideur apparente s’explique par plusieurs paramètres. D’abord, Thomas Cazayous, à peine 25 ans, assez méconnu du grand public, est selon Basile Yaïche " l’un des joueurs de l’ombre qui a le plus gagné sur Internet ", un des joueurs qui travaille le plus son jeu et qui est très respecté des joueurs exilés à Londres. Thomas en a fait du chemin depuis 2015 où il rêvait de devenir Team Pro Winamax en participant à la Top Shark sous le pseudo FishHas2Pays.
Rencontré hier à 20 joueurs left du tournoi, Thomas Cazayous m’avouait qu’il était désormais un gros joueur de short-track, il joue en 25/50 sur Winamax où il est probablement l'un des plus gros rakeurs du site, mais il joue aussi bien plus cher sur les rooms du .com. Il m’avouait hier avoir grindé et travaillé pendant des années, fait beaucoup de sacrifices en passant 15h/jour et 6 jours/semaine devant un écran, à jouer et analyser des spots, à travailler la théorie pour être le meilleur possible dans son job. Parce que Thomas a déjà touché aux joies des sommes à 6 chiffres sur Internet, cette victoire ne changera pas sa vie. " Cette victoire est belle, mais c’était pas spécialement un rêve de gagner un bracelet. Ca me fait gagner du temps mais j’ai pas encore fini le jeu. Si je gagne le Main Event, là, je l’aurai peut-être fini et je pourrai mettre un peu le frein et arrêter de jouer 15h/jour. "
Après une table finale qu’il a dominé outrageusement, Thomas Cazayous remporte donc le 20ème bracelet tricolore de l’Histoire, succédant à Julien Martini et William Reymond, couronnés en 2018. Il remporte 414 766 $ pour cette victoire, lui qui n'affichait jusqu'alors qu'une timide ligne à 15 000 $ à son palmarès en guise de meilleure performance live.
Pendant cette table finale, malgré un manque de réussite évident sur les coups à tapis preflop, Thomas Cazayous, que ses adversaires ont surnommé " The Silent Assassin ", n’a jamais été en danger. Quand on a senti que les joueurs tentaient de le contrer, Thomas dégainait toujours l’option gagnante, comme lorsqu’il a placé un 5-bet à tapis contre Nicholas Howard à 4 joueurs restants.
Il a eu un peu de réussite sur un coup-clef de cette table finale, quand son A8 est passé devant les deux Dames de Vojtech Barzantny sur la turn alors que tout l’argent était parti au milieu sur un flop 759. Une fois éliminé le joueur allemand, le reste de la table finale n’était plus qu’une formalité, avec un avantage considérable en jetons qui lui permettait de dérouler son plan sans accroc
Il a notamment réussi à faire craquer le double détenteur de bracelet Upeshka Da Silva en 3ème position pour aborder le heads-up avec un avantage considérable, l’américain mettant tout son argent au milieu avec As-Roi sur Q-9-3 dans un pot 3-bet, quand Thomas détenait Dame-8 pour top paire.
Pendant le heads-up, Thomas nous a fait un temps angoisser à l’idée d’assister à nouveau à la malédiction des runner-up français. Démarrant avec 14 millions contre 2 millions, il a perdu plusieurs petits coups qui nous ont fait croire à une remontada du joueur américain, avant que tout rentre dans l’ordre sur la fameuse dernière main décrite plus haut.
Une fois les photos de la victoire terminées, c'est dans une Amazon Room déserte que Thomas Cazayous m'avouait qu'il a fait tellement de gros swings online qu'il n'éprouve pas beaucoup d'émotions en remportant ce bracelet. " C’est pas cette victoire qui me prouve que tout ce que j’ai fait, ça valait la peine. C’est mon grind quotidien, les adversaires que je bats maintenant alors que je ne les battais pas avant. Je constate ma progression. C’est pas que sur un tournoi qu'on se rend compte que les sacrifices ont servu, je vais pas dire que c’est que du run good, mais c’est les cartes. Si j’avais pas eu de chance, jamais je n'aurais gagné le tournoi. Ca fait plaisir, ça montre que j’ai un niveau correct mais c’est pas cette victoire qui me fait dire que ça valait le coup, c’est l’ensemble de ce qui se passe pour moi en ce moment dans mon job.
A la question " Est-ce que tu vas fêter ça ? ", Thomas Cazayous nous offrira cette phrase qui a de quoi surprendre, mais qui témoigne d'une vraie dédication à son travail. " Je ne pense pas célébrer cette victoire, c’est même sûr que non. Par contre, je vais me reposer et me détendre un peu. Mais juste une journée. Faut rester concentré, il reste encore plein de tournois. Vegas, c’est une fois par an, et je reste un mois. Si on peut prendre un autre bracelet, je dis pas non, surtout le Main. Je prends du plaisir et j’ai pas mal de compétences, mais ça reste un travail. Faut enchaîner, maintenant ! "
Le résultat de la table finale :
Place | Nom | Pays | Gain |
---|---|---|---|
Vainqueur | Thomas Cazayous | France | 414 766 $ |
Runner-up | Nicholas Howard | Etats-Unis | 256 314 $ |
3e | Upeshka Da Silva | Etats-Unis | 172 658 $ |
4e | Wojciech Barzantny | Allemagne | 118 421 $ |
5e | Angel Guillen | Mexique | 82 726 $ |
6e | Raul Martinez | Espagne | 58 881 $ |