Mon Vegas à moi : Confessions d'un railbirdeur

- 17 juin 2018 - Par Tapis_Volant

Anthony Picault, joueur amateur et porte-drapeau des supporters tricolores du Rio depuis les temps ancestraux, nous raconte sa vie de railbirdeur pro

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Anthony Picault avec John Hesp l'an dernier en finale du Main Event

Présent dans le rail depuis des années sur la plupart des finales WSOP disputés par des français, Anthony Picault (pseudo : "'TonyLeon") est devenu le symbole de la France du poker qui encourage, qui soutient, et qui se rassemble quand il s'agit de remporter des bracelets WSOP. Présent au Rio pour chanter la Marseillaise pour Julien Martini, Anthony Picault s'est confié sur cette passion qui l'anime depuis des années.

Alors, Anthony, que fais-tu à Vegas quand tu n'est pas en train d'encourager les français sur des tables finales WSOP ?

Je suis un joueur amateur, je viens à Vegas tous les ans. En général, je reste un bon mois et je joue en cash game la plupart du temps. Je jouais des tournois jusqu'en 2015 : WSOP, Venitian, Wynn... mais maintenant, je préfère me consacrer au cash-game, c’est plus tranquille.

Ca fait des années qu’on te voit à Vegas, mais là où on te voit le plus, c’est dans le rail des tables finales de joueurs français, non ?

C'est vrai que j'ai l’impression d’être devenu le symbole des rails, surtout depuis l’été dernier avec la table finale de Benjamin Pollak et Antoine Saout. La première table finale où je me suis retrouvé dans le public, c’était celle de Jaynissa en 2012 [Jérémy Quehen avait terminé runner-up d'un NLHE à 2 500$, NDLR], je ne le connaissais pas. Gaëtan Balleur et Steven Moreau m’avaient dit de passer en me disant que c’était un pote à eux. Au final on a passé une super soirée, avec une ambiance mémorable dans le tribunes, des chants, des encouragements. Jaynissa avait fini second. C’est un peu la tradition des français, quand y a une table finale, on se réunit au Rio. Moi, forcément, je suis là sur toute la période, et je joue en cash game, donc j’ai plus de temps libre que les joueurs de tournois pour venir dans le rail.

Comment ça se passe ta journée de raileur ? Tu guettes les infos, tu rappliques dès qu’un français deep run ?

C’est pas systématique, mais quand y a un français en table finale, ça se sait vite. Il y a quelques années, toutes les tables finales débutaient à 20 heures, ou plus tard, parfois au beau milieu de la nuit. Tous les bustos de Vegas arrivaient progressivement, du Venitian, du Wynn, ils se retrouvaient au Rio après leurs tournois respectifs. Depuis deux ans, les TF des WSOP, c’est à 14h, en début de Day, du coup il n’y a plus grand monde dans le rail. Tout le monde a sa vie, ses tournois à jouer. C’est peut-être mieux pour les joueurs ces horaires, mais pour l’ambiance, c’est beaucoup moins bien.

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Le rail pour Aurélien "Guignol" Guiglini en 2015

A combien de tables finales tu en es, tu tiens une comptabilité ?

Je pense que je pourrais retrouver si j’y étais en regardant les noms des français qui ont perfé. Certaines tables finales, je ne sais pas si ça compte. Je me rappelle de deux tables finales de Gabriel Nassif : Gab a bust alors que je venais à peine de mettre les pieds au Rio. Je ne suis pas sûr que ça compte dans ce cas-là. Y a eu des années où il y avait cinq à sept tables finales par été, j’assiste bien à la moitié. J’y vais depuis 7 ans, il suffit de calculer, ça doit faire 25, je dirais. Souvent, ce sont des gens que je connais. Ca m’est arrivé une ou deux fois avec des randoms que je connaissais pas trop. Mais je suis quand même pas tout seul, c’est juste que je suis là plus souvent que les autres, hein !

Tu peux nous parler de ce drapeau qu'on voit à chaque fois dans les tribunes ?

Ce drapeau, je l’avais récupéré au Stade de France pendant un France-Belgique. J’avais eu l’idée de le mettre dans ma valise pour Vegas. Je l’avais emmené pour je ne sais plus quelle finale. Les joueurs avaient apprécié. Je l’amenais tout le temps par la suite. Il m'est arrivé que des joueurs me réclament mon drapeau pendant que je jouais un tournoi au Venitian. Même quand j’étais pas là, souvent le drapeau était dans le rail, à l’image du drapeau de Sarregeumines qu’on voit dans le monde entier. Il faut savoir que ce drapeau, quand j’ai fait ma valise cette année, je ne l’ai pas retrouvé. Sur la table finale de Julien Martini, et sur celle de Romain Lewis, je ne l'avais pas et j’ai reçu plusieurs messages de gens qui ont regardé sur Twitch et qui se demandaient où était passé mon drapeau. Calouminou, un gars du Club Poker, m’a ramené un drapeau pour les prochains rails. Faut croire que ça manquait !

Quel est ton meilleur souvenir de rail ?

Y en a beaucoup des souvenirs. Le premier avec Jaynissa, c’était énorme comme ambiance. Je le connaissais pas deux heures avant et huit heures plus tard on avait les larmes aux yeux et la chair de poule quand il était en heads-up. La finale du Main Event l’an dernier, forcément, j’avais jamais fait les November Nine. Y a eu deux Français en table finale, Ben Pollak et Antoine Saout. Il se trouvait que j’étais encore sur place, on avait un box pour nous, 10 ou 15 français, on a pu mettre les drapeaux bretons pour Antoine, Aurélie Réard a fait des banderoles, on chantait comme des Anglais dans un stade de foot, on chantait la Marseillaise, des chants qu’on avait inventé aussi, c’était vraiment un grand moment.

Et alors, comment ça s’organise, un rail ?

Faut savoir que dans un rail, il y a deux pools bien distincts. D'abord le pool stratégique avec une tablette pour regarder le stream et communiquer avec le joueur, ce sont souvent les amis les plus proches du joueur qui font ça. Ils s’occupent de tout ce qui est stratégique, des reviews des mains, des conseils. Moi, je suis plutôt dans le deuxième pool, le pool festif. Là, on s’organise pour les tournées de bières, les différents chants et l’ambiance. Faut savoir que des fois, il y a des changements de pools au cours de la soirée. J’ai déjà vu des gars du pool stratégique se retrouver dans le pool festif, voire l’inverse, ce qui est un peu moins conseillé. Moi, je suis aussi responsable de l’iPad. Mon iPad a bien du faire dix finales, je recharge les batteries quand je vois qu’un français est à 20 left. Chacun son boulot !

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Le pool stratégique pendant un rail de table finale

T’as des anecdotes sympas sur les tables finales que tu as suivies au cours des années ?

Il y a deux ans, il y avait deux français en TF simultanément. Y avait Fabrice Soulier sur un tournoi de variante et Adrien Allain en finale du 5K 6-max contre Michael Gathy. J’avais réussi à installer mon drapeau entre les deux tables pour qu’il n’y ait pas de jaloux. Bon, les deux ont fini deuxième, dommage !

Qu'est-ce que t'apprecies le plus dans le fait de supporter les joueurs pendant les tables finales ?

Les coups à tapis, quand les gens sont vraiment tous focus sur les cartes, ça appelle les 2, ça crie sur la river, c’est comme un but au foot. La dernière carte qui a été bien appelée, c’était pas plus tard que la semaine dernière pendant le Heads-up de Romain Lewis. Il part à tapis Dame-Valet contre As-4 off et Pierre Merlin appelle la dame de pique. Et paf ! Dame de pique en door card et c’était plié. Par contre, je peux te dire que le plus gros stress du raileur, c’est l’arrivée au Rio. T’arrives au Rio en taxi, tu te gares, la TF est commencée depuis deux ou trois heures, et là quand tu arrives, t’as trois minutes de traversée du couloir du Rio, où t'espères plus que tout ne pas le croiser ou le voir aller au payout. Ca m’est arrivé plusieurs fois. Gabriel Nassif, il a jamais su que j’étais venu le voir, il était dans un tournoi de variantes un après-midi. Je me rappelle, je me suis dit que j'allais passer le voir. J’entends « all in and a call », je le vois se lever, j’ai fait demi-tour directement. Je ne le connaissais pas forcément, c’est jamais évident de réagir face à une une personne qui bust.

D'ailleurs, comment on réagit quand les gens qu’on suit se font éliminer ?

Y a deux écoles. Quand il a bien joué et qu’avoir fini 2e est déjà un bon résultat, le joueur vient te checker et il a l’air content. Quand il était près de la victoire et qu’il perd, forcément, il reste un peu dans sa bulle. Y a souvent un long moment de silence, chacun marche dans le Rio calmement, un peu abattu. On perd tout de suite la moitié des degrés d’alcool ingurgités. Romain Lewis, par exemple, était très content de son jeu, il avait pas de regrets. Il avait commencé sa TF 5e sur 6. La config était bonne, c’est le début de Vegas, il est jeune et il en verra d’autres. Par contre, je me souviens d’Erwann Pecheux qui avait fait un heads-up très long avec beaucoup de monde dans le rail. Il avait fini par perdre en étant plusieurs fois devant à tapis preflop. Forcément, la déception était plus grande.

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Erwann Pecheux tout près du sacre en 2015

Est-ce que si un jour, c’est ton tour de deep run un tournoi du WSOP, tu aimerais que des gens viennent te rail sur ta table finale ?

J’ai souvent pensé à ça. Peut-être que je suis le porte-parole du rail, le numéro un, mais y aussi d’autres réguliers du rail. Et quand ces personnes-là font des finales, c’est la moindre des choses de venir. C’est sûr que si je me retrouvais en finale d’un tournoi WSOP et qu’il n’y avait personne dans le rail, je pourrais peut-être me poser des questions. La sympathie de la personne est souvent proportionnelle à son nombre de personnes dans son rail. Si Mikedou fait une TF par exemple, t’es sûr que ce sera rempli !

Merci Anthony pour cette interview, on espère te voir le plus souvent possible dans l'Amazon Room cette année !

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Une de nos photos préférées de la finale du Main Event 2017 - l'expression sur le visage d'Anthony résume tout le personnage !