« Ca me rappelle des souvenirs, Benjo, de te voir assis là. ». J'étais perché sur les gradins encore vides du podium ESPN, attendant l'entrée en scène des finalistes, carnet et crayon à la main, et appareil photo autour du cou.. Davidi Kitai est arrivé le premier, vêtu d'un sweat à la capuche vissée sur le crâne. Et effectivement, la scène avait quelque chose de familier.
Il y a un an, presque jour pour jour, le belge disputait l'un de ses tous premiers tournois aux couleurs du Team Winamax, et atteignait la table finale. Cela se passait sur cette même scène, sous les yeux des caméras de télévision. La variante d'alors était aussi du Hold'em, en Pot-Limit. Un format hybride, inhabituel. Un jeu qui n'est que très rarement, voire même jamais pratiqué en dehors d'une poignée d'épreuves lors des World Series of Poker, que ce soit en cash-game ou en tournoi.
Et pourtant, c'est un jeu qui a réussi à Davidi : il y a un an, presque jour pour jour, il remportait cette épreuve, et le premier bracelet de son équipe et de son pays.
Comme en 2008, le Team Winamax était venu en nombre. Comme en 2008, chacun des adversaires de Davidi était un pro expérimenté ayant déjà fait parler de lui dans le passé. Comme en 2008, la partie fut longue, tendue, sérrée.
L'issue finale, comme on va le voir, sera – malheureusement pour Davidi – un peu moins excitante.
Après des demi-finales express, Davidi était arrivé sur le podium ESPN avec un tapis qui avait triplé de volume. Autour de lui, un casting varié, mélangeant européens et américains, vétérans et petits nouveaux. Des joueurs solides, comme Davidi, qui commentera après la partie que le format Pot-Limit favorise peut-être les joueurs de type « sérré-agressif », l'absence d'ante récompensant la patience de manière plus prononcée qu'en No-Limit.
A la gauche de Davidi, John Kabbaj. Le joueur le plus dangereux à ce stade : l'anglais est le seul dont le tapis peut menacer Davidi, et il se trouve à sa gauche, en position. On s'en rendra compte très vite, quand Kabbaj va sur-relancer Davidi avant le flop, obligeant le joueur du Team Winamax a jeter ses cartes.
Durant les premiers tours, personne ne va se détacher, personne ne va s'affirmer comme le capitaine de la table. Chacun remporte sa part de pots, mais on ne voit que très peu de flops. On reste à neuf joueurs un bon moment : les petits tapis arrivent à se sortir de l'élimination, tel Eugene Todd, qui double à la faveur d'une coin-flip contre Eric Baldwin, ou Jason Lester, dont la paire d'As tient facilement contre le 9-T de JC Alvarado.
Puis survient enfin la première élimination, somme toute logique : Darryll Fish (on espère que le nom n'est pas prédéstiné) possédait le plus petit tapis au départ de la finale, et son A-8 n'a pas réussi à s'améliorer contre la paire de 7 d'Alvarado.
L'action restait résolument prudente et contenue : une relance préflop suffisait à mettre fin à la plupart des coups, et le fait que le tapis moyen n'était que de vingt grosses blindes n'allait pas arranger les choses.
Davidi a lentement poursivi sa progression, avec notamment deux sur-relances contre le dangereux Isaac Haxton. Puis, avec As-Roi contre la paire de 7 d'Eugene Todd, le belge allait perdre le minimum absolu. Prudent, on vous dit.
Haxton allait ensuite être coupé en deux avec A-8 de coeur contre le Q-J de pique d'Alvarado, expert pour se sortir de situations périlleuses. Haxton n'allait pas tenir longtemps, et allait être le prochain sortant, son A-Q ne s'améliorant pas contre le A-K de Davidi.
Haxton OUT
Les autres petits tapis s'en sortaient mieux. On allait assister à deux double-ups consécutifs : Gerasimov, puis Lester.
Les blindes ont augmenté à nouveau : le chip-leader ne disposait que de dix grosses blindes. Kabbaj était toujours en tête, suivi de Kitai. Après quatre heures de finale, on avait assisté à seulement deux éliminations.
Comme souvent, c'est au retour de la pause-dîner que la situation s'est débloquée. Eric Baldwin avait pris la tête sans que personne ne s'en aperçoive, remportant deux coups de moyenne importance, mais suffisants pour le faire grimper au sommet.
Puis Davidi a réveillé l'assistance en faisant un très joli call. Eugene Todd avait misé flop et rivière sur un board 3-6-5-9-Q. Davidi a réflechi de longues minutes, avant de finalement payer avec 9-4. « Good call », a dit Todd, qui allait réussir à doubler une fois avant de devoir s'incliner en septième place.
Davidi allait contribuer à nettoyer un peu plus la table en envoyant bouler Jason Lester en sixième place. Son le J-T à carreau n'allait pas réussir à s'améliorer contre son A-5 de pique.
Le Team, la famille et les amis réunis derrière Davidi
JC Alvarado avait déjà été sauvé une fois au cours de cette finale, et allait avoir besoin de beaucoup d'aide après avoir perdu une coin-flip cruciale contre John Kabbaj. De l'aide, il allait en recevoir, en doublant deux fois au cours des deux mains suivantes. Le mexicain était de retour.
Les blindes étaient passées à 50,000/100,000 : n'importe qui pouvait prendre la tête à tout moment. Le facteur loterie augmentait d'heure en heure.
C'est malheureusement à ce moment que la fin pointait le bout de son nez pour Davidi. Tanis qu'Alvarado rendait finalement les armes, le belge allait par deux fois se faire sur-relancer par Eric Baldwin. A deux reprises, Davidi a du jeter ses cartes. « J'avais K-T de trèfle et A-7 de coeur », allait réveler Davidi après la finale. « Il s'était commit en relançant : je ne pouvais pas 4-bet à tapis. »
Pot crucial : Davidi relance cut-off 300k, Baldwin BB reraise 800K, fold, c'est pas la première fois que ça arrive.
Tombé à dix blindes, Davidi allait trouver un move logique, envoyant le tapis avec une paire de 5 après une relance de Gerasimov. Le russe a réflechi quelques instants, avant de payer avec K

T

, fort de son gros tapis.
Le flop est tombé J

7

2

. Le turn 8

a rajouté des outs à Gerasimov, et la rivière K

est venue enfoncer le clou. Beaucoup plus tôt dans la partie, Davidi avait doublé JC Alvarado avec A

J

contre K

T

. Un pot crucial qui, s'il s'était passé autrement, aurait pu changer radicalement le cours de la partie pour donner un chip-lead massif à Davidi. Par deux fois, Davidi a été victime de K-T durant cette finale.
Mais qu'importe. Pour sa troisième finale aux WSOP en un an, Davidi Kitai terminait en quatrième place, et remportait 183,638, le meilleur résultat du Team Winamax aux championnats du monde cette année (en 2008, Davidi avait aussi accompli la meilleure performance du Team à Vegas)
« Je suis tout de même très heureux », a dit Davidi. « La partie était très relevée. Ce furent sans doute les trois journées de poker les plus difficiles que j'ai jamais eu à jouer. » Après une douzaine de tournois joués cet été sans résultat, Davidi en était venu à croire qu'il avait perdu le « mojo », le fluide magique. « C'est bon pour le moral, et la confiance. C'est un résultat qui sauve mes World Series. »
Eric Baldwin a suivi Davidi vers la sortie, laissant les deux vétérans Kirill Gerasimov et John Kabbaj en tête à tête. L'anglais, largement derrière, a réussi à remonter grâce à une énième coin-flip. Les deux joueurs étaient presque à égalité. Et le sont toujours au moment où je conclus cet article.