Yuestud et Cuts jouent la même main - avec des résultats différents
J'en ai vues, des choses improbables durant mes cinq années passées à observer des tournois de poker professionnels. Mais je n'avais jamais été témoin d'une pareille scène. « C'est comme si le sort avait voulu se faire un kif », a commenté l'un des protagonistes peu après.
Quelques minutes après être revenus de pause-dîner, mes deux amis Julien Brécard et Ludovic Lacay étaient tous les deux à tapis à cinq minutes d'intervalle. Couverts tous les deux, risquant le tournoi le plus important de leur vie.
Tilt ? Fatigue ? Rush d'adrénaline causé par l'afflux de sucres et de graisses dans le sang ?
Non. Ils avaient tout simplement trouvé une paire de Rois, la deuxième meilleure main de départ au Texas Hold'em. Largement suffisant pour s'engager à tapis avant le flop.
Ce qu'ils ne savaient pas, c'est qu'ils faisaient face à une paire d'As.
Vous avez bien lu : deux des trois joueurs du Team Winamax encore en course dans le Main Event avec moins de cent joueurs restants (sur 6,494 au départ) se sont retrouvés « all-in » presque simultanément, dans des confrontation en tous points identiques.
Ludovic, d'abord. L'action fut d'une extrême violence. Un joueur relance. Ludovic sur-relance, et cinq secondes à peine plus tard, les tapis étaient au milieu et les jeux retournés. Il y avait plus de 5,7 millions au milieu du tapis.
Debout, le pro du Team Winamax a attendu que les caméras d'ESPN arrivent pour filmer la scène. Son tournoi allait probablement se terminer là. Depuis le rail, la confusion régnait, chacun essayant de discerner ce qu'il se passait. Mais les Brice Cournut, Antoine Dugast et autres Antoine Amourette qui observaient la scène savaient bien que la situation était des plus désespérées en observant le visage dépité de Cuts. « Deux Rois contre deux As », souffle t-il. « J'ai passé un Roi », dit un autre, retournant le couteau plus profond dans la plaie.
Mais le clan français garde espoir. « Le Roi, allez ! » crient-ils en coeur. Au signal des producteurs, le croupier commence à retourner lentement les cartes communes. Une carte, deux cartes, trois cartes, quatre cartes, et aucun changement. Puis, la dernière. « OOOOOH » Commotion générale autour de la table. Ludovic fait brutalement volte face, puis se prend la tête entre les mains. Une réaction qui ne veut dire qu'une seule chose. La carte qui vient de tomber n'est pas celle à laquelle il s'attendait : le dernier Roi restant dans le paquet. Une carte qui fait la différence entre une élimination à la 98ème place, et l'accession au poste de chip-leader.
Ludovic n'en revient pas, et le clan français non plus. Les supporters de Cuts exultent. Ce dernier n'en revient pas. Il secoue la tête, un large sourire aux lèvres. Julien vient lui donner l'accolade. Il faudra cinq bonnes minutes au croupier pour compter le tapis de Ludovic, et lui remettre son bénéfice miraculeusement acquis.
A peine ais-je le temps de foncer jusque l'ordinateur pour mettre à jour le compte Twitter du Team Winamax, que celui de Manuel Bevand clignote : « Yuestud est à tapis ! » A toute vitesse, je fais le chemin en sens inverse.
Sur le visage de Yuestud, je lis la même expression que cinq minutes auparavant. Quelques secondes après avoir embrassé Ludovic, Julien s'est rassis à sa table, et a retourné deux Rois. Comme Ludovic, il s'est retrouvé à tapis, contre deux As. Mais cette fois, le croupier ne jouera pas le rôle de sauveur. La logique est respectée, et la deuxième meilleure main de départ reste en seconde place au terme des cinq cartes du tableau commun. Mon collègue et ami n'a plus qu'une poignée de jetons devant, qu'il engage quelques secondes plus tard, en vain. Dans un mouvement symétrique à celui observé juste avant, Ludovic vient donner l'accolade à Yuestud, qui ne peut retenir ses larmes.
J'ai eu l'occasion d'être témoin de dizaines et dizaines de moments similaires au cours de mon aventure sur le circuit pro. Tous les joueurs éliminés m'ont fait part du même sentiment. Durant tout le tournoi, on flotte sur un nuage, au dessus de tout le reste. On est complètement immergé, intensément concentré sur la partie. L'élimination survient comme une chute brutale, un retour à la réalité. On est stoppé dans son élan. Le rêve s'arrête net. Il faut plusieurs heures pour reprendre ses esprits, chasser de sa tête la déception, et finalement réaliser la portée de l'exploit qu'on vient d'accomplir. Celui d'un amateur éclairé qui a disputé pour la première fois les championnats du monde, et à battu près de 6,400 joueurs pour terminer dans le top 100. Bravo, mon pote.
Ainsi, Ludovic et Julien ont risqué leur partie à quelques minutes d'intervalle. L'issue fut fatale pour l'un d'entre eux. Cuts poursuivra désormais son parcours en solo. En position de chip-leader, avec seulement 81 joueurs restants dans le plus gros tournoi du monde.
Tableau de bord
81 joueurs restants (sur 6,494 au départ)
Blindes : 20,000/40,000, ante 5,000
Tapis moyen : 2,400,000