Et puis il y a des joueurs de poker professionnels qui prennent la musique très au sérieux. Victor Choupeaux est l'un d'entre eux. Cela fait presque dix ans que le grinder breton promène nonchalamment sa carcasse sur le circuit live et online. Un "gars sûr", résolument, à la bonne humeur appréciée de tous et au talent certain, en témoignent de belles stats MTT en ligne et des finales lucratives à Marrakech, Paris, Bruxelles ou Cannes. Au cours des dernières années, celui que tout le monde n'appelle autrement que "Choop" s'était temporairement éloigné des tables pour se consacrer à une passion dévorante : la musique électronique, en particulier sa diffusion dans les clubs, via l'art hautement technique du DJing. Un pro du poker qui sait se montrer tout aussi crédible derrière les platines ? Avouez que l'on s'en serait voulu de ne pas l'inviter au SISMIX, qui représente plus ou moins la parfaite symbiose de ses deux activités principales. Au lendemain de deux sets remarqués lors de la pool party de jeudi puis la soirée au Theatro qui a suivi (tous deux executés en compagnie de Repas Complet, l'un des membres de Bonne Nouvelle, le collectif de DJs qu'il a fondé à Paris en 2005), nous nous sommes assis en sacompagnie pour refaire le match.
Alors, c'était comment hier ?
Très chouette ! La pool party, en particulier, était très agréable : il a fait super beau et l'ambiance était cool. Mais ce n'est pas un festival traditionnel, le public n'étant pas exclusivement composé d'amoureux de musique. On a essayé de s'adapter un peu. James et Myriam [directeurs artistiques de la partie musicale du SISMIX, NDLR] sont adorables, on a pas mal discuté et on a été super bien accueillis.
Justement, en tant que joueur de poker pro, tu avais déjà une bonne idée de ce qu'est le SISMIX : comment vous avez préparé vos sets ?
On a cherché à trouver le juste milieu entre, d'une part, se faire plaisir, faire découvrir au public la musique underground que l'on défend et, d'autre part, proposer des sonorités plus familières, comme des edits de morceaux très connus, ou des titres avec des mélodies accrocheuses par des artistes aux sonorités accessibles, comme Kenny Larkin. Le Theatro, j'ai déjà eu l'occasion de le fréquenter dans le passé, et globalement, on n'y joue pas exactement mon type de musique préféré. Ceci dit, j'ai pu passer tous les morceaux que je voulais !
A la fin, tu as lancé "Acid Eiffel" [l'odyssée acid techno de Laurent Garnier et Didier Delesalle, une des pierres philosophales de la musique électronique moderne, NDLR], et je me suis immédiatement dit "Il se fait kiffer, là ! Il a envie d'entendre comment sonne un morceau culte sur un gros soundsystem !"
Clairement, ce morceau-là fait partie de mes préférés, j'avais prévu de le jouer quoi qu'il arrive. J'ai déjà eu l'occasion de jouer des sets sur de beaux soundsystems, mais dans un endroit aussi imposant, avec le son à fond, les jeux de lumières dans tous les sens, cela donne quelque chose de particulier.
Et aussi, le nom de votre collectif affiché en énormes lettres clignotantes derrière vous ! C'est beau, ça. D'ailleurs, Bonne Nouvelle, ça consiste en quoi ? Comment elle vient, l'envie de devenir DJ ?
A la base, Bonne Nouvelle c'est un groupe de bons potes qui aiment bien sortir en boîte à Paris pour écouter de la musique électronique, notamment au Rex Club, qui est en quelque sorte la matrice du collectif, de par la qualité de la programmation et la diversité des styles qu'on y entend. A force de sortir régulièrement, de s'interesser aux DJ, d'aller fouiller leurs productions, les tracks qu'ils jouent, de se plonger dans la culture du milieu, l'un d'entre nous finit par se motiver à investir dans des platines, et à partir de là, c'est la course à l'armement : on s'y met tous chacun à notre tour ! Et arrive le jour où j'ai envie de faire une grosse teuf pour mon anniversaire. Nos appartements parisiens ne sont pas gigantesques, du coup, je me mets à démarcher des bars, je fouille un peu et je finis par tomber sur un endroit cool, le 45 Tours, où ils nous ont laissé passer des disques toute la nuit. La machine était lancée.
A partir de là, le mouvement est lancé, et petit à petit je t'ai vu commencer à créer de nouveaux Events Facebook de plus en plus régulièrement.
On a joué dans pas mal d'endroits à la frontière entre le bar et le club, comme A La Folie, où on a eu une résidence en 2016, on y retournera cet été. Et je me rappelle d'une très très bonne soirée au Malibv [non, y a pas de faute d'orthographe, NDLR], un petit club en sous-sol, c'était tellement blindé que des gouttes de sueur se formaient sur le plafond et retombaient sur les danseurs ! Et ce soir, pour la première fois, on organiseun event à guichets fermés : on a vendu plus de 300 préventes. C'est à Paris, mes collègues s'en occupent sans nous.
D'ailleurs, Bonne Nouvelle, c'est combien de personnes ?
Quand le truc est devenu plus ou moins officiel, en 2015, on était six. Aujourd'hui, on est huit, et nos goûts couvrent un spectre assez large : du disco à la techno, en passant par la house. Tout ce qu'on aime dans le rayon "musique pour danser" !
Oui, en écoutant vos sets et vos podcasts, on se dit que vous pouvez jouer à n'importe quelle heure !
On a fait aussi bien des teufs d'après-midi où les gens viennent avec leurs gosses que des trucs plus hard qui durent jusqu'à l'aube et où l'on voit des mecs se pointer bien déchirés [rires]. Mais à chaque fois, ce qu'on cherche, c'est de monter un event où on peut danser dans de bonnes conditions, sans se marcher dessus, où les enceintes sont bien réglées, etc.
On te connaît dans le poker depuis 2008, mais tu sors d'un break assez long, justement en partie à cause de ton activisme musical. Maintenant, cela fait un an qu'on te recroise régulièrement sur les tournois live et online. Comment tu penses concilier avec Bonne Nouvelle ?
L'étape logique, ça serait d'aller démarcher des salles ou des clubs de plus grosse taille. J'ai travaillé dans ce sens, il y a des possibilités, mais après, on n'a pas encore forcément la notoriété pour remplir une belle salle comme le Cabaret Sauvage [600 places, NLDR]. Aussi, on a tous une activité professionnelle à côté. Du coup, on ne va pas se mettre la pression. Personne n'a d'objectifs financiers quant à son activité de DJ, on veut juste jouer de la bonne musique dans des bonnes soirées, ça ne va pas plus loin. Il y en a aussi qui ont envie de produire, de créer leurs propres tracks. Je dirais que mes journées aujourd'hui, c'est 80% poker et 20% musique.
D'ailleurs, tu viens de t'installer à Londres dans une colloc' en forme de Dream Team : Romain Lewis, Ivan Deyra, Adrien Delmas...
Je suis un peu le papa au milieu de tous ces jeunes [Victor a 28 ans, NDLR] ! Leur courbe de progression est folle, ils sont réussi beaucoup en très peu de temps. Moi, plus jeune j'ai aussi grimpé assez vite, avant de connaître une période de stagnation. Aujourd'hui, c'est très dur de gagner au poker, il faut tout le temps bosser son jeu. Etre entouré de gens compétents, c'est forcément bénéfique pour ton niveau. On partage beaucoup. Le poker, c'est une activité par définition solitaire, mais en se mettant en bande, on se tire forcément vers le haut.
Et Londres, c'est une autre plate-forte de la musique électronique et des clubs, aussi intéressante, voire plus, que Paris. Tu comptes en profiter ?
Je vais continuer de monter des soirées à Paris, tout en prospectant à Londres. Là, je suis tombé amoureux d'un petit club qui s'appelle Village Underground. En tout cas, j'ai déjà mes repères. Le foot, la langue, la mentalité : Londres me plaît bien. Et revenir dans le poker, ça me fait du bien : recommencer à voyager, retrouver les vieux potes, s'en faire de nouveaux. Il y a des tas de gens cools qui sont apparus sur le circuit en mon absence.
Du coup, le set au Theatro était un peu spécial : tes potes poker ont défilé toute la soirée pour te taper dans la main.
C'était idéal de pouvoir mélanger mes deux passions, et de montrer un autre visage aux joueurs : ils me voient plutôt comme quelqu'un de chill, alors qu'en club je suis très energique, je danse non stop.
Cette passion pour le DJing, et le projet concret qui va avec, j'ai l'impression que ça t'apporte un équilibre qui manque à beaucoup de joueurs pros. Je me trompe ?
Totalement. Si je passe une sale soirée aux tables, je peux toujours passer celle du lendemain à écouter de nouveaux disques, me défouler sur les platines...
Tu joues à quoi, en ce moment ?
Toujours des MTT en live et online, avec des shots vers des gros buy-ins de temps à autre. Ca se passe bien, en ce moment [Durant la première moitié de 2017, Victor a disputé des finales à Marrakech, Cannes et Bruxelles]. Je me suis mis au Pot-Limit Omaha en cash-game, aussi. C'est intéressant de repartir de zéro sur une nouvelle variante, de ne pas savoir quoi faire, de devoir tout apprendre, surtout sur une variante avec autant d'action. Derrière, je fais un gros Vegas. J'ai la chance d'avoir un stacker qui me fait confiance et me donne un bon deal : j'y serai pendant un mois.
Et comment se passera le reste du week-end ?
Il est plus que temps de faire ma première entry sur le Main Event. Si ça ne se passe pas bien, ce ne sera pas la fin du monde vu l'ambiance en dehors des tables !
Après avoir remercié une dernière fois Winamax d'avoir donné l'opportunité à Bonne Nouvelle de montrer ses talents au SISMIX (de rien Victor, tout le plaisir est pour nous !), Choop s'installera bel et bien aux tables du Main Event, mais l'expérience se révèlera brève, avec deux "bullets" cramées en quelques heures de jeu. De retour à la piscine !
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