Le vétéran Barny Boatman renverse deux jeunes top regs pour s'offrir sa plus belle victoire et un gain de 1 287 800 €. À 68 ans, le fondateur d'Hendon Mob devient le joueur le plus âgé à s'imposer sur le circuit EPT, dont il observait les premiers pas il y a vingt ans.
5 300 € Main Event (Fin)
Une dernière river. Le “All-in & call” a été annoncé, les deux joueurs sont debout et les observateurs se ruent autour des barrières du spot télévisé pour voir ce qui pourrait être le dernier coup. Avec J2 contre A9 sur un board J965, Barny Boatman, la légende du poker britannique, est à une carte d’un exploit retentissant. Tout le monde retient son souffle… Q, c’est gagné !
Barny serre la main de son opposant David Kaufmann puis reste cloué sur place quelques secondes. Le joueur farceur, espiègle, détendu qu’on a vu pendant une semaine se métamorphose soudainement. Barny est submergé d’émotions, il n’en croit pas ses yeux, qui laissent apparaitre de fines larmes le long de ses joues creusées.
« Tu as toute l’adrénaline, toute la concentration et au moment où c’est fini, toutes ces choses s’écoulent de vous. C’est un moment très fort, confie Barny, quelques minutes après sa victoire. C’est aussi là que je me rends compte à quel point ce trophée comptait pour moi. Quand vous jouez, cela aide de ne pas penser aux montants, à l’importance du tournoi. C’est grâce à ça que j’ai fait certains calls, certains plays… Je ne pensais qu’au jeu, pas aux enjeux. Mais quand c’est fini, tu réalises ce que tu as fait. Et il y a tous les amis qui m’ont écrit, ma famille, et bien sûr ma fiancée Catherine. J’ai pensé à eux à ce moment là, et c’est pour ça que j’étais ému ».
C’est effectivement vers sa femme que se dirige tout droit Barny, quelques secondes après la dernière main. Vient le moment de la traditionnelle remise du trophée, pour apprécier les discours des représentants Pokerstars et Barrière, mais surtout observer la joie d’une légende du jeu, un ambassadeur mondial, le créateur d’Hendon Mob, qui vient à 68 ans, d’inscrire la plus belle ligne de son palmarès.
En 30 ans de carrière, Barny a pourtant eu le temps de s’en forger un beau. Le Britannique multiplie les casquettes avec brio, mais avant tout, il est un joueur passionné, qui a enchainé les coups d’éclat avec une régularité étonnante.
Runner-up WSOP en 2002, finaliste Aussie Millions en 2009 finaliste EPT San Remo en 2011, vainqueur WSOP en 2013, puis WSOP Europe deux ans plus tard, finaliste du Millionaire Maker, du Main Event WSOP Europe et d’autres WSOP en No Limit, en PLO, en Hi-Lo ou même en Pot Limit Hold’em… Barny a connu le succès partout, à tous les âges, dans toutes les variantes. Aujourd’hui, il signe une victoire d’une autre envergure, à sept chiffres, sur le plus prestigieux circuit européen. Un circuit qu’il côtoie depuis la toute première saison, en 2004. 20 ans plus tard, Barny Boatman devient, à 68 ans, le joueur le plus âgé à s’imposer sur un Main Event EPT. Une statistique qui en dit long.
« Elle montre d'abord que je suis toujours vivant » plaisante Barny, qui a tenu en respect deux grinders de la nouvelle génération, des joueurs venus du Online, qui partaient favoris en termes de stack ainsi qu’en compétence théorique. « Ces deux là en particulier étaient des supers joueurs. Ils connaissent les bons plays, les bonnes lines dans chaque situation. J’ai joué mon jeu et puis j’ai touché mes mains. Et on ne peut pas battre ça ».
Barny a eu le run, et il a eu l’instinct. Le déficit technique qui le séparait potentiellement de ses adversaires, il l’a comblé par sa capacité à sentir les bonnes décisions dans les bons moments. Sa non-utilisation des “time extensions” (il se vantait sur Twitter être le chipleader des cartes ”Time Banks”) témoigne de son style de jeu, guidé essentiellement par son expérience et son sens de l’intuition.
« Mes plays viennent naturellement, explique Boatman. Les informations, tu les reçois avant que ce soit à toi de jouer. Parfois, tu lèves la tête pour regarder le gars en face de toi, pour sentir quelque chose. Les Live reads servent à ça. Mais je n’ai du utiliser que deux ou trois time-banks durant tout le tournoi ».
"Le poker a beaucoup changé, pas moi"
L’impact de Barny Boatman sur le poker moderne est inestimable. Avec sa bande de potes londoniens, composée de son frère Ross, Joe Beevers et Ras Vaswani, surnommé les Hendon Mob, il créé l’un des sites les plus indispensables du poker. Une base de données que nous autres journalistes utilisons quotidiennement, tout comme chaque joueur s’asseyant à une table et désireux de connaître les visages qu’il a en face de lui. Il est un visage mythique, un joueur qui a traversé toutes les époques du jeu et toutes les places du jeu.
Voyageur insatiable, il a baroudé sur tous les continents, tapé le carton dans mille casinos, toujours avec ce même enthousiasme, cette simplicité, son sens de la formule et de la dérision. « Le poker a beaucoup changé, pas moi » lachait-il à nos micros. Toujours aussi curieux, toujours aussi touche-à-tout. Sa polyvalence s’exprime dans les variantes de poker comme dans son quotidien, composé de poker, de voyages, ou encore d’écriture.
« Je ne sais pas ce que je peux faire encore dans le poker. Mais à côté des cartes, j’aime beaucoup écrire. J’aimerais consacrer plus de temps aux livres, plutôt des fictions. Il y a d’ailleurs un livre que vous ne connaissez peut être pas qui s’appellent “He played for his wife and other stories” (il jouait pour sa femme et d’autres histoires). C’est un recueil de nouvelles écrits par différents auteurs liés au poker. J’ai écrit la première et je vous recommande de lire ce livre. Ça vous donne un peu une idée du style d’histoire que j’aime écrire ».
Aujourd’hui, il avait trois stylos en mains pour écrire sa plus belle ligne Hendon Mob, l’histoire du circuit EPT et sa propre légende. Bravo Monsieur Boatman pour cette victoire historique, méritée et inspirante. Il est rare qu’on soit si heureux de voir un Anglais gagner en France.EPT Paris 5 300 €
1 747 inscrits - Dotation 8 385 600 €
Rang | Nom | Pays | Gain |
---|---|---|---|
1 | Barny Boatman | UK | 1 287 800 € |
2 | David Kaufmann | Allemagne | 804 750 € |
3 | Aleksejs Ponakovs | Léttonie | 574 850 € |
4 | Owen Dodd | UK | 442 150 € |
5 | Peter Jorgne | Suède | 340 100 € |
6 | Eric Afriat | Canada | 261 650 € |
7 | Ami Barer | Canada | 201 250 € |
8 | Lorenzo Arduini | Italie | 201 250 € |
9 | Sindre Hansen | Norvège | 119 100 € |
Paris, ville-monde
Au sortir de douze jours d'EPT à la mode parisienne, le clan français est un peu comme quelqu'un venant d'organiser une soirée chez lui : on est content d'avoir vu passer autant de monde, on est heureux que tout le monde se soit bien amusé... mais on n'a pas beaucoup profité de la teuf. C'est un fait : les tricolores n'ont pas été prophètes en leur pays sur cette deuxième édition. Aucun finaliste sur le Main Event (pas même un demi-finaliste), rien ou presque sur le High Roller, et à peine quelques miettes sur les side-events : cinq victoires seulement en 46 tournois. Heureusement qu'on a Thomas Santerne : le jeune pro de 23 ans sauve presque à lui tout seul l'honneur du clan français avec une victoire historique sur l'épreuve la plus chère au programme, le Super High Roller à 50 000 €.À part ça, il faudra donc se contenter d'une satisfaction : celle d'avoir une capitale attractive pour les joueurs de poker du monde entier. Il y a un an, le circuit European Poker Tour corrigeait une anomalie de longue date, en inscrivant Paris à son calendrier pour la première fois en vingt ans d'existence. Aujourd'hui, après une deuxième édition où le festival a battu sans peine ses propres records d'affluence, plus personne n'imagine une saison EPT où ne figurerait pas Paris en bonne place.
Paris, ville-monde... mais aussi : Paris, ville d'arrivée de la caravane du Winamax Poker Tour ! Dans deux petites semaines, notre grand tour de France du poker amateur va s'achever Porte de Versailles. En deux temps, avec d'abord un ultime freeroll rassemblant 1 500 joueurs (8 et 9 mars), puis la Grande Finale proprement dite, avec un million d'euros garantis, plus de 2 000 joueurs attendus, et des side-events non-stop du 11 au 17 mars. Une grande fête du poker à la française qui en suit une autre ? On est vraiment gâtés à Paris.
Reportage par Flegmatic, Fausto, Rootsah et Benjo
Photos par Caroline Darcourt