Rencontre avec l'amateur Grégoire Auzoux, dernière adoption au sein de la petite famille des high rollers
Le Français est aux portes de la finale dans le tournoi le plus cher de l'EPT Paris
Son objectif : prendre un max de plaisir... et pourquoi pas un titre
Super High Roller 50 000 € (Fin du Day 2)
Minuit et demie. En position de grosse blinde,
Grégoire Auzoux est coincé entre une horloge et un pro américain pesant près de 7 millions de dollars de gains. D'un côté, le compteur est tombé à zéro, le gong a sonné, la journée est de facto terminée : le Français n'a qu'à jeter ses cartes pour s'assurer de faire partie des 11 joueurs qualifiés pour le Day 3 du tournoi le plus cher de l'EPT Paris. Mais d'un autre côté, Auzoux n'est pas tout à fait satisfait de la hauteur de ses piles de jetons. 24 blindes pour se défendre face aux poids lourds du circuit aux portes d'une finale avec un million à gagner, ça ne pèsera pas des masses. Et face à un joueur aussi agressif et retors que Chris Brewer, qui a relancé UTG, ses deux cartes - A
3
- ont l'air de pouvoir se défendre. Allez, c'est payé. Voyons le flop !
A
7
3
. Auzoux tente de contenir son excitation. Il pouvait difficilement espérer meilleur flop : il bat maintenant la quasi-totalité des combos As-x de son adversaire. L'objectif est simple : faire gonfler le pot au maximum. Pour ce faire, le check/raise paraît approprié, suivi d'un donk-bet "commit" à l'apparition du J
sur le turn. Ça mord : Brewer annonce "all-in". C'est payé dans la foulée, évidemment. Avec son A
Q
, Brewer n'aurait pas été difficile à convaincre dans tous les cas. Il ne reste plus à Auzoux qu'éviter une rivière traître. Un inoffensif 5
tombe en guise de
happy end. Avec un sourire aussi large que le prizepool du tournoi, Grégoire Auzoux peut compter et emballer un tapis de 2,4 millions. Il vient de se propulser en troisième position au classement. Ses chances d'atteindre la table finale sont presque assurées. En attendant, il était temps de laisser retomber la pression.
"
C'était dur de garder son calme. Il est cadeau, ce coup !" Ce genre de sensations fortes, c'est exactement ce que Grégoire Auzoux, 38 ans, recherche quand il s'installe à une table de poker. Il y a six mois, le résident chypriote ne s'était jamais approché à moins de dix mètres d'un tournoi highroller. Cette semaine à Paris, on l'a vu enchaîner en cinq jours et sans broncher le Mystery Bounty à 10 000 €, deux High Roller "one day" successifs à 25 000 €, et donc ce Super High Roller à 50 000 €, point culminant du volet high stakes de l'EPT parisien, en compagnie de tout le gratin mondain du milieu pro, les Mateos, Chidwick, Petrantelo et autres Adams. Un sacré "step up" pour celui avec qui on avait fait la connaissance il y a neuf ans sur un tournoi à 500 euros l'entrée, la seconde finale du Winamax Poker Tour : à l'époque marketeux chez Betlic et Everest, Auzoux s'était incliné sur la toute dernière marche face à Mathieu Philbert. Au cours des années suivantes, on ne l'a jamais vraiment perdu de vue... mais sans pour autant le voir se transformer en un "reg" en bonne et due forme du circuit, ni monter progressivement les limites. Mais ça, c'était avant. Avant cette incruste, aussi récente que surprenante, dans la petite famille des highroller.
Recette d'une interview détendue : s'offrir un double up juste avant
Alors, que s'est-il passé ? Comme le veut la formule consacrée, c'est une histoire de dur labeur qui rencontre une opportunité, et donne naissance à un coup de chance. Écoutons Auzoux : "
Pendant le Covid, j'ai beaucoup progressé, je me suis fait coacher. J'ai vraiment eu l'impression de faire un grand pas en avant, de jouer vachement mieux." Avance rapide jusqu'en septembre 2022 : le Français voit arriver à côté de chez lui le festival highroller le plus populaire du moment, les Triton Series et ses épreuves en petit comité (mais à très gros buy-in). "
J'avais trouvé un deal de stacking. Et là, sur le premier tournoi, le Omaha à 25 000 $, j'arrive en finale, direct. J'ai dit au stacker 'Bon, on arrête le deal, j'ai envie de tenter le coup en solo !'
C'était un 'shot', clairement, mais maintenant que j'avais rentré un peu d'argent, c'était trop tentant de jouer pour 100% de mon action plutôt que 50%." Étape suivante du festival chypriote : le Main Event des Triton Series. Prix d'entrée : 100 000 $. Un tarif inédit pour Auzoux, évidemment. Mais loin d'être désarçonné, il s'y offre une sixième place bonne pour 600 000 $ de gains.
Si vous pensez deviner en Grégoire Auzoux un pro de l'ombre ayant décidé un beau jour de se jeter sous les feux des projecteurs, quitte à risque de se cramer, détrompez-vous. C'est bien parce qu'il n'est
pas un pro du poker qu'Auzoux s'autorise aujourd'hui à aller affronter les plus forts. "
J'ai 38 ans. Pendant dix, douze, quinze ans, le poker m'a offert un complètement de revenus. Je faisais attention à ce que je jouais, parce que mes revenus en dépendaient. C'était un objectif quotidien. Maintenant, ce n'est plus pareil. C'est du divertissement. J'ai monté une boîte avec un groupe d'investisseurs dans le secteur de la tech. On touche au gaming, à la banque, la crypto. Donc je n'ai pas trop de soucis de bankroll, ça aide ! Et comme je ne vais pas jouer souvent, autant aller jouer ces tournois-là, les Highrollers." Surprise, donc : si Auzoux fut bel et bien un grinder dans ses jeunes années, aujourd'hui son parcours le rapproche plus d'un Jean-Noël Thorel que d'un Julien Martini. Selon lui, les tournois les plus chers offrent une atmosphère et des conditions de jeu uniques, qu'on ne retrouve pas sur les autres compétitions. "
Les Highrollers sont trente fois plus kiffants ! Ce n'est pas le même poker. Les tables sont très sympa, on rigole bien. Et le grand intérêt, c'est qu'on retrouve tout le temps les mêmes joueurs. Il y a un historique, un metagame qui se développe au long cours, sur plusieurs tournois de suite. Ce qui est impossible dans les tournois avec 1 000 ou 2 000 joueurs."
Mars 2012, Winamax Poker Tour : l'époque des finales sur les tournois à 500 balles l'entrée "seulement"
Auzoux approche donc les Highrollers avec l'enthousiasme d'un fan de poker devenant acteur des tables télés qu'il regardait autrefois sur son ordi. Et lui faut désormais assurer lui même le spectacle, en prenant exemple directement sur ses voisins. "S
ur chaque coup, ils te mettent la pression. 4 heures sur un High Roller, c'est aussi fatiguant que 12 heures de cash-game ! Du coup, t'es obligé de prendre les spots. Car eux, ils les prennent. Un joueur comme Ben Heath, il arrive à table et direct c'est : 3-bet, 3-bet, 4-bet, 4-bet. Moi, je n'ai pas 10 % de leur niveau, je sais que je ne les prends pas assez, les spots. Mais j'apprends directement à table ! Je reste concentré, je ne regarde pas mon téléphone, j'essaie de tout mémoriser : la taille des mises, ce qu'il se passe selon la texture des boards, etc. Il ne faut pas réfléchir en termes de prizepool ou de buy-in, sinon t'es mort. Il faut complètement oublier les sommes en jeu."
Si Auzoux ne joue pas au poker pour gagner sa vie, quel est son objectif ? Le challenge. L'idée de titiller les pros sur leur terrain lui plaît. "
Clairement, l'objectif c'est de battre le field. Et de gagner un titre." Et en filigrane, on devine une autre envie : celle de pousser la martingale aussi loin que possible, de voir où ce shot tenté à Chypre va le mener. "
Attention, hein, je ne vais pas devenir un reg ! Chypre, c'était en septembre. Derrière, j'ai break even à Prague en décembre. Et aujourd'hui je suis à Paris. Ça fait seulement 3 festivals en 6 mois. Le prochain, ça sera Vegas. Si tu me vois là, ça veut dire que je suis off, que je peux m'amuser. Mais quand le séjour est fini, je rentre à la maison, et je recommence à travailler."
Super High Roller : les 11 prétendants
Ils seront onze à retrouver les tables mardi à 12h30. L'autre Français encore en course, Jules Dickerson, est parvenu à se construire le stack du chip-lead, juste devant Grégoire et Sam Greenwood. Premier objectif de la troupe : sécuriser une place payée - il n'y en aura que 9. Derrière commencera la table finale et la bataille pour le million de dollars de la première place.
Nom |
Pays |
Tapis |
Table |
Siège |
Jules Dickerson |
UK |
3 790 000 |
1 |
1 |
Sam Greenwood |
Canada |
700 000 |
1 |
2 |
Gregoire Auzoux |
France |
2 410 000 |
1 |
4 |
Chris Brewer |
USA |
1 640 000 |
1 |
6 |
Thomas Muehloecker |
Autriche |
1 280 000 |
1 |
8 |
Steve O'Dwyer |
Irlande |
1 410 000 |
4 |
2 |
Timothy Adams |
Canada |
535 000 |
4 |
3 |
Pedro Marques |
Portugal |
640 000 |
4 |
4 |
Dimitar Danchev |
Bulgarie |
1 155 000 |
4 |
5 |
Juan Pardo |
Espagne |
2 435 000 |
4 |
7 |
Nick Petrangelo |
USA |
1 000 000 |
4 |
8 |
Le Day 3 débutera aux blindes 25 000 / 50 000, BB ante 50 000.
Joao Vieira et Ben Heath furent les derniers éliminés du Day 2, en 13e et 12e place