Au terme d'une prestation instantanément rentrée dans les annales de l'European Poker Tour, Jimmy Guerrero est éliminé en seconde place (1 250 337 €) face à l'Italien Giuliano Bendinelli
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Main Event EPT 5 300 € (Finale)
GÉ-NÉ-REUX.
La seule chose que Jimmy Guerrero n'a pas gagnée ce soir, c'est le trophée. Et un peu d'argent. Tout le reste, absolument tout le reste, c'est pour lui.
C'est pour lui : son plus gros gain en plus de dix ans de carrière, plus d'1,2 million d'euros. C'est pour lui : un carrousel d'émotions comme seuls les rebondissements d'un tournoi de poker peuvent en procurer, et qu'il gardera probablement en lui toute sa vie. C'est pour lui : l'admiration et le respect de tous les pros qui n'avaient pas encore fait connaissance avec son style de jeu hautement efficace et si difficile à contrer, fruit de longues années de maturation sur le circuit live. C'est pour lui : des chiffres d'audience record pour la retransmission en streaming du tournoi, et un tchat en furie depuis le coup d'envoi jusqu'à l'explosif bouquet final. C'est pour lui : une notoriété qui dépassera désormais largement les frontières de sa France natale, maintenant que la communauté internationale massée devant son écran a été toute entière captivée par ce drôle de joueur de poker, si atypique, si enthousiasmant, si différent de ce à quoi nous avons été habitués ces dernières années.
Vous pensez que l'on exagère ? Laissez-nous vous décrire la scène, vécue quelques secondes après le dernier coup victorieux de Giuliano Bendinelli. Après avoir célébré et pris dans ses bras son poulain, après lui avoir donné le triomphe qu'il méritait, le clan Italien s'arrête. Tournant leurs regards vers le challenger battu posté debout de l'autre côté du plateau TV, ils se mettent à chanter comme un seul homme.
"JI-MMY ! JI-MMY ! JI-MMY ! JI-MMY !'
Un hommage spontané et sincère, qui a donné la chair de poule à plus d'un, l'auteur de ces lignes y compris.
Si Jimmy Guerrero a (presque) tout gagné ce soir, c'est avant tout parce qu'il a tout donné. Avec un sens inné du partage et du spectacle, comme il n'en existe que peu d'équivalents au sommet de la planète poker, le français n'a cessé de démontrer sa maitrise des deux langages que l'on parle à une table de poker. La langue des jetons, d'abord, avec laquelle il nous a raconté tant d'histoires au cours des deux derniers jours, des histoires tour à tour invraisemblables, effrayantes, galvanisantes, ou juste belles, qui lui ont permis de remonter son short-stack de début de finale et même, brièvement, de s'emparer du chip-lead. Et la langue anglaise, qu'il n'a cessé d'utiliser devant les caméras. Aussi bien pour entrer dans la tête de ses adversaires, leur soutirer des informations, asseoir sa domination psychologique, que, plus simplement, pour apporter de la légèreté et de la fantaisie à une partie où des millions étaient en jeu.
La majorité des professionnels travaillent dur toute leur carrière pour intérioriser leurs émotions, ne rien laisser paraître, et surtout minimiser l'importance de la chance et de la malchance sur leur état d'esprit. Encaissant un terrible bad beat, ils ne bougent pas d'un centimètre. Infligeant à leur tour un bad beat aussi ignoble cinq minutes plus tard, ils affichent la même réaction. Rien de tout ça chez Jimmy Guerrero, qui a chanté, dansé, crié, invectivé sans relâche en table télé, au rythme des fluctuations de son tapis et de sa chance. Et c'est bien le moins que l'on attendait de quelqu'un qui a fait tant d'efforts pour installer une atmosphère joyeuse et légère à une table de poker.
Le plus épique des épilogues
Nous pourrions remplir un reportage entier avec les coups marquants du duel final entre Jimmy Guerrero et Giuliano Bendinelli. Beaucoup sont immédiatement entrés dans la légende de l'European Poker Tour : nul doute qu'ils repasseront en boucle au cours des années à venir, durant les pauses des futurs streamings, ou sur les algorithmes de YouTube et des réseaux sociaux. Jimmy n'a pas gagné l'EPT Barceleone. Mais avant de ne pas gagner l'EPT Barcelone, il a remonté en seulement quelques mains le fossé qui le séparait d'un adversaire sans doute trop timoré, après que les deux ont conclu un deal profitable pour chacun (1,4 million pour Giuliano, 1,25 million pour Jimmy, et 68 000 euros restant à prendre). Jimmy a repris l'avantage à coups de value bets, Giuliano le payait trop et ne montrait jamais la meilleure main au showdown. Dépassé par la tournure du match face à un Jimmy en tous points supérieur, Giuliano est revenu à égalité en rentrant un improbable tirage ventrale, grâce à un 7 tombé du ciel sur la rivière. Une paire de Valets allait le faire passer devant - à ce stade, il était clair que si Giuliano voulait gagner ce match, il allait avoir besoin de bonnes cartes. Et il aurait pu le gagner beaucoup plus tôt, lorsque Jimmy tenta le plus gonflé des bluffs. En voyant Giuliano abandonner deux paires sur la rivière face au all-in de Jimmy, une démonstration de prudence insensée, je n'ai pas dû être le seul à me faire cette remarque : sur cette main, ce n'est pas Jimmy qui avait réussi son bluff. C'était Giuliano qui avait raté son call.De la science-fiction : Giuliano Bendinelli a réussi à jeter sa main sur la rivière
En fin de match, Jimmy se montrera peut-être un peu trop agressif face à un Giuliano qui ne faisait pas qu'abandonner ses belles mains : il est tout de même parvenu à les garder en main la plupart du temps. En difficulté, Jimmy gagnera un dernier showdown préflop (un coin flip avec 55 contre As-Valet), avant cette dernière main, jouée avec des tapis équivalents (27 BB chacun) et qui mérite un récit intégral :
Au bouton, Giuliano relance à 3 millions. Jimmy défend sa grosse blinde.
Flop : J98.
Jimmy check/call un c-bet de 2,5 millions.
Turn : J.
Jimmy check/call 5,5 millions supplémentaires.
Rivière : 8.
Jimmy sort du bois avec une mise de 3,8 millions. Mais Giuliano revient à la charge et annonce tapis. Jimmy engage le reste de ses jetons.
Giuliano Bendinelli bondit de son siège : muni de sa pocket paire de 8, il sait déjà qu'il a gagné le tournoi. Un sourire résigné sur le visage, Jimmy ne peut que rendre son full J7 au croupier. Une conclusion explosive à ce que beaucoup appellent déjà "la plus belle table finale EPT de l'histoire." Normal pour ce qui a démarré comme l'EPT le plus populaire de l'histoire !
"Le public est une vague : j'ai surfé dessus"
Jimmy Guerrero : les réactions à chaud.Heureux ? "C'était pas mal ! C'était une bonne soirée, on peut dire. C'était intense. J'ai eu pas mal de réussite. Même si je n'ai pas le trophée, c'est une victoire pour moi. Le fait d'avoir donné du plaisir à tout le monde, et des sensations... Franchement, c'était super."
Sur le concept de générosité dans le poker : "Il faut être généreux ! Si t'es pas généreux, il n'y a pas de plaisir. Il faut kiffer, il faut profiter."
Sur la standing ovation du clan italien après la dernière main : "Un moment incroyable. Ils ont dû aimer ma personnalité. Ils ont été généreux, eux aussi. Ils tenaient pour moi, en fait ! Ils me l'ont dit au break : 'on t'adore !'"
Sur la camaraderie qui s'est développée entre les finalistes : "On sait qu'on a vécu quelque chose de particulier ensemble, d'extraordinaire, d'intense. Je ne sais pas s'il y a déjà eu une table finale aussi dingue. On en rigolera dans le futur. Notamment Mokri, j'ai bien aimé jouer avec lui. Et Kovalski, le Brésilien."
Est-ce la plus belle journée de poker de sa vie ? "Je ne pourrais pas dire ça. Une table finale comme ça, ça demande beaucoup de concentration. On est tout le temps en train de réfléchir, de visualiser, de s'adapter. J'ai parlé à Stéphane Matheu ce matin, il m'a donné des conseils. C'est physique, une telle partie. Et mentalement, je suis claqué aussi. La dernière main, j'aurais pu fold. J'ai payé parce que j'étais fatigué. Donc non, ce n'est pas la plus belle journée de poker de ma vie. Je suis un joueur de cash-game, je préfère jouer une vraie belle partie où il y a des mecs qui flambent et où on rigole, plus détendues, sans cette pression. Là, ce soir, c'est vraiment "wow !"
Il va falloir revenir pour faire mieux, non ? "Oui, bien sûr ! Surtout qu'une telle ambiance, c'était cool. Et je ne réalisais pas vraiment que faire deux tables finales EPT, ce n'est pas si fréquent. C'est énorme."
Un mot pour le public du streaming ? "J'étais là pour eux aussi. Je n'aime pas regarder des parties robotiques, je veux que les gens kiffent le poker avec moi, ressentent ce que je ressens. J'ai fait des dédicaces aux viewers pendant toute la partie. On m'a transmis des messages. En fait, c'était une vague. Et j'ai surfé dessus."
Un témoignage parmi tant d'autres du sens de la décontraction et la générosité de Jimmy : il n'a pas hésité à féliciter son adversaire après un joli coup gagné, à l'aide d'un accessoire piqué au clan italien
Une confrère pro, mais surtout la femme sa vie : Thi Nguyen fut un soutien de tous les instants
@pokerstars #EPTBarcelona #poker I watched nearly all days and especially the last 3 days. This tournament was a movie and legendary. I have never seen something like this. It was like a highlight show. And the end… wow
— Mike (@whitesupraturbo) August 21, 2022