Pour un organisateur d’évènements poker, un tournoi réussi, c’est avant tout une histoire qui fonctionne. Une histoire facile à raconter et qui sorte si possible de l’ordinaire, grâce à un vainqueur auquel le public pourra s’identifier. Un protagoniste qui inspire le public, un Monsieur Tout le Monde transformé en héros par les circonstances, défiant les probabilités pour battre les pros à leur propre jeu, et rentrer à la maison avec un magot qui change une vie.
Au plus fort du boom post-Moneymaker, les choses étaient faciles sur les gros tournois. D’un côté, il y avait les pros du poker charismatiques, avec leurs mimiques, leurs moves osés, leurs uniformes immédiatement reconnaissables, leurs palmarès longs comme le bras, on les voyait sur toutes les tables télévisées, certains ont fait leur carrière entière grâce aux sponsorings glanés après leurs quelques accomplissements réalisés entre 2005 et 2007. Par syllogisme, ces pros étaient forts parce qu’on les voyait partout, et on les voyait partout parce qu’ils étaient forts. De l’autre côté, en face, il y avait l’amateur, l’anonyme, le mec sorti de nulle part, forcément mauvais puisqu’il n’était pas connu, et surtout parce qu’il s’agissait d’un joueur Internet, un bleu-bite qui ne connaissait que le poker sur ordinateur, et qui allait donc se faire manger tout cru à une « vraie » table. Une partie du public se régalait de voir les stars concocter des stratégies diaboliques pour piéger les amateurs, applaudissant de voir la logique respectée, rassurés que le talent et la stratégie primaient au poker, un jeu qu’il fallait considérer avec autant de sérieux et de science que les échecs. Une autre partie des spectateurs se rangeait résolument du côté de David dans le combat l’opposant à Goliath, espérant que l’amateur inconnu à la casquette de qualifié allait, grâce à un peu de chance et d’imagination, triompher du pro bardé de titres, apportant un peu de désordre dans la machine, prouvant que le poker, contrairement aux échecs, était un jeu où tout le monde avait sa chance, peu importe son niveau, du moment qu’il avait plus envie de gagner que les autres, qu’il avait
l’oeil du tigre.
De nos jours, la situation est quelque peu différente. Cela fait bien longtemps que l’opposition simpliste pro-amateur/connu-inconnu ne fonctionne plus. Au cours des quinze dernières années, la stratégie du poker s’est développée jour après jour à vitesse grand V, la profondeur et la complexité du jeu n’ont jamais été aussi développées, et continuent aujourd’hui de se renouveler, forçant tous les joueurs sérieux à rester en permanence sur le qui-vive. Les techniques les plus évoluées sont de plus en plus facilement accessibles sur Internet, gratuitement la plupart du temps, permettant à quiconque voulant s’en donner la peine de travailler devant son ordinateur, dans un anonymat quasi total. Paradoxalement, si le métier de joueur de poker n’a jamais été aussi difficile à pratiquer (du fait de la complexité croissante décrite ci-dessus), les ressources et le savoir permettant d’embrasser ce métier n’ont jamais été aussi nombreuses. Une génération entière de nouveaux pros a fait son apparition, presque sortie de nulle part (correction : sortie d'Internet), tandis que nombre des pros de la génération TV se sont fait balayer, ratrappés par l'évolution si rapide d'un jeu qu'ils ont pourtant dominé fut un temps.
Résultat : chaque mois qui passe, chaque gros tournoi qui se termine voit l’émergence de nouvelles têtes. Etre inconnu du public n’est plus synonyme d’être un mauvais : cela signifie simplement que l’on a bossé dans l’ombre, en ligne, patiemment, sans faire de vagues, en attendant le premier coup d’éclat en live. Conséquence néfaste pour les organisateurs de tournois : les vainqueurs ont tendance à se ressembler de plus en plus, collant plus souvent que jamais à un profil désormais incontournable : celui du jeune joueur s’étant perfectionné des milliers d’heures en ligne, n’attirant l’attention que d’une poignée d’observateurs avant de réaliser sa première grosse perf sur un tournoi de Vegas, Barcelone ou Monte Carlo. Le public, plus que jamais assoiffé d’histoires, n’est plus rassasié : les visages soit originaux, soit familiers se font de plus en plus rares. En somme : on nous raconte toujours la même histoire.
Et il faut bien l’admettre : avec ce concept de Platinum Pass, avec ces 300 Platinum Pass distribués tout au long de 2018 sur leurs tables live et online, PokerStars s’est donné les moyens - 9 millions de dollars, répétons-le - de faire naître de sacrées histoires, 16 ans après avoir été les plus gros bénéficiaires de la vague provoquée par Chris Moneymaker, le premier joueur de poker de l’histoire à remporter les Championnats du Monde après avoir décroché sa qualification en ligne.
Chris Moneymaker, Las Vegas, 2003
En leur qualité de bubble boys à Prague, Mihai Manole et Andrejz Tomasz Siemieniak furent les premiers joueurs à se voir remettre un Platinum Pass en décembre 2017. Cette bulle fut le point de départ d’une véritable pluie de cadeaux à 30 000 $, chaque jour ou presque, treize mois durant. Si nombre de pros connus ont réussi à décroché le leur, après avoir remporté de gros tournois PS en ligne ou un peu partout dans le monde (citons par exemple notre Guillaume Diaz, vainqueur de l’EPT National à Monte Carlo, Kalidou Sow, sacré sur le PS Festival de Londres, ou Maria Lampropulos, victorieuse lors de la PCA aux Bahamas), cette gigantesque opération avait aussi - et surtout - pour but de permettre à des centaines de joueurs amateurs d’accéder à un tournoi qu’ils n’auraient jamais pu disputer, même dans leurs rêves les plus fous, par des voies détournées, voire même carrément barrées.
Ainsi, tout au long de l’année, des Platinum Pass ont été distribués pêle-mêle sur les réseaux sociaux, sur les streams de l’EPT sur Twitch, sur des petits tournois live organisés aux Etats-Unis, en Asie ou en Europe, lors de grosses séries de tournois en ligne, sur des concours faisant appel à la créativité des joueurs (écriture d’un article noté par la journaliste Maria Konnikova, résolution d’un quiz scientifique concocté par Liv Boeree…), et j'en passe, la liste est longue. Mon vainqueur préféré ? Un certain Joshua McLaggan, étudiant de l’université de Glasgow ayant déchiffré en un temps record une série de phrases codées ultra longues (et compliquées) concoctées par l’équipe de bloggers de PS.
D’autres, comme le Français Paul-François Tedeschi, ont tout simplement remporté leur Platinum Pass grâce à un coup de bol inouï, en remportant un flip géant impliquant plusieurs centaines de joueurs, au début du Day 2 de l'EPT Monte Carlo. Des coin-flips de ce genre, il y en a eu des dizaines tout au long de l'année, et les habitués des Midnight Deglingos de l'EPT Dublin vous le diront mieux que moi : les flips géants, y a rien de mieux.
Pour faire bonne mesure, quelques célébrités ont été invités à disputer le tournoi, comme le doyen des skateurs pro Tony Hawk (si j’avais su, j’aurais ramené mon exemplaire de Tony Hawk : Pro Skater 2 sur Playstation afin de le faire dédicacer), le speaker de l’UFC Bruce Buffer (qui donnera le coup d’envoi), le comédien Norm McDonald, ou encore Kevin « Kevmath » Mathers, source d’informations numéro 1 de toute la communauté des joueurs de poker, et qui se voit ainsi remercier de longues années de services pour la grande majorité bénévoles.
300 joueurs, 300 histoires : avec le PSPC et les Platinum Pass, plusieurs de centaines de joueurs ont déjà une bonne anecdote à raconter, alors que leur tournoi n'a même pas encore débuté.