Pour le joueur professionnel lambda, remporter un titre sur l'European Poker Tour représente la consécration d'une carrière, un sommet qu'il sera, dans la majorité des cas, difficile de dépasser.
Dzmitry Urbanovich n'est pas un joueur lambda : sa victoire sur le premier tournoi EPT organisé à Dublin depuis 2007 n'est rien d'autre qu'une banale journée de plus au bureau.
Nous ne faisons pas référence ici à l'attitude du polonais à la table, bien que nous pourrions consacrer quelques paragraphes à la perpetuelle démonstration de stoicisme du jeune pro, quelle que soit la situation : il est bien rare, même dans les sphères ultra-compétitives de l'EPT, de croiser un joueur autant maître de ses émotions, à la
poker face aussi imperturbable, à l'air aussi - osons employer le mot -
blasé.
Non, si la victoire de Dzmitry Urbanovich semble aussi banale, c'est tout simplement parce qu'elle est rien de moins que sa sixième sur le circuit European Poker Tour, et ce en moins d'un an*. Les amateurs de statistiques se régaleront d'ailleurs de cette anecdote : les 561 900 euros qu'Urbanovich remporte ce soir ne représentent que son quatrième plus gros gain en live au cours des douze derniers mois. C'est une certitude : ce soir à Dublin,
absolument aucun observateur du circuit ne manifestera de surprise en apprenant la nouvelle de son sacre.
Il peut sembler ridicule d'écrire cela à propos d'un joueur de vingt ans encore trop jeune pour participer aux Championnats du Monde, un joueur dont personne n'avait jamais entendu parler il y a un an, mais les faits sont là : après avoir fait irruption sur le circuit live comme un boulet de canon à Malte en mars dernier, remportant quatre tournois annexes en dix jours sur l'île méditéranéenne, et après avoir confirmé ce coup d'éclat par deux finales supplémentaires à Monte Carlo (dont une sur le tournoi le plus cher du festival monégasque, à 100,000€ l'entrée), trois finales de plus à Barcelone, une victoire supplémentaire, toujours à Malte, et une grosse finale de plus à Prague,
la victoire de Dzmitry Urbanovich sur le circuit EPT était attendue, prévisible, en un mot inévitable. Il ne s'agissait pas de prévoir si Urbanovich allait remporter un jour un titre majeur : il s'aggissait surtout de prévoir
quand cela allait arriver.
Ce soir, Dzmitry Urbanovich est fermement installé sur un petit nuage, le même petit nuage sur lequel il a élu résidence il y a presque un an de cela. Plein de confiance dans ses talents (et à ce stade, qui pourrait lui reprocher ?), le jeune polonais n'avait pas attendu de remporter son premier Main Event EPT pour lancer un pari incensé quand à ses futures performances aux World Series of Poker, qu'il disputera pour la première fois cet été : trois bracelets, rien de moins ! Le challenge est énorme, et je ne vous en voudrais pas de trouver le gamin prétentieux. Cependant, ne comptez pas sur moi pour parier contre lui.
Il y a deux types de tables finales : celles dont on se souvient pour le duel final entre les deux derniers joueurs, et les autres. Dans la seconde catégorie, on retrouve les finales où l'ultime mano a mano fut rapidement expédié en une poignée de mains, la plupart du temps parce qu'un des finalistes s'était détaché depuis longtemps, faisant du dernier heads-up une formalité. On peut notamment citer l
a finale de l'EPT San Remo remportée par Jason Mercier en 2008, ou, plus récemment, l
a dernière édition du Winamax Poker Open à Dublin, remportée en deux temps trois mouvements par Pierre Calamusa : dans les deux cas, les vainqueurs n'ont eu besoin que de deux heures et demie pour conclure, le dernier duel n'étant l'affaire que de quelques minutes.
La finale de ce Main Event Irlandais appartient à la première catégorie : il aura fallu soixante mains pour départager
Gilles Bernies et Dzmitry Urbanovich après l'élimination de
Kully Sidhu en troisième place. Et malgré l'étendue de son talent (et de son
good run, diront les mauvaises langues), la victoire du polonais n'était pas acquise d'avance : il lui fallait d'abord battre un dernier adversaire, en l'occurence un adversaire possédant cinq fois plus de jetons que lui.
"Vous ne me reverrez plus jamais sur un tournoi de poker. Je n'avais rien à faire ici !" Ainsi s'exprimait Gilles Bernies peu après son dernier coup perdu, tandis qu'Urbanovich savourait calmement sa victoire. J'ai vu assez de tables finales, et croisé assez de perdants dégoutés pour savoir qu'il ne s'agit que d'un banal coup de sang, d'une réaction à chaud sans grande valeur. Dans les jours qui viennent, l'amateur allemand aura tout loisir de savourer l'étendue de son accomplissement.
Certes, il a chuté sur la dernière marche malgré un net avantage en jetons. Certes, il a par deux fois complètement craqué, livrant trop facilement une grande quantité de jetons sur des bluffs impossibles. Mais Bernies, qui se voit dans le futur comme musicien electronique et DJ, et non pro du poker, ne fut pas que cela, au cours de ce tournoi : il faudra aussi se souvenir de lui comme d'un joueur qui n'a jamais quitté le sommet du classement depuis la première des six journées que comptait le tournoi. Il faudra se souvenir d'un joueur volontaire, n'hésitant pas à relancer et sur-relancer avec des mains dégueulasses, tendant des pièges et des bluffs audacieux, impresionnant de sang-froid pour son tout premier tournoi EPT. Le fait qu'il ait échoué sur la dernière ligne droite contre le joueur le plus
hot de ces douze derniers mois n'enlève rien à son mérite.
* J'ai initialement mentionné le chiffre de dix victoires en moins d'un an. En fait, Urbanovich a remporté six tournois sur le circuit EPT depuis que nous avons commencé à prêter attention à ses talents à l'EPT Malte en mars 2015. Mais c'est bien dix victoires que le polonais a remportées depuis ses débuts en live en juillet 2013.
Résultats - Main Event EPT Dublin
605 inscriptions - 5 300€ l'entrée
Vainqueur : Dzmitry Urbanovich (Pologne) 561 900€
2nd : GIlles Bernies (Allemagne) 349 800€
3e : Kully Sidhu (UK) 250 300€
4e : Patrick Clarke (Irlande) 193 650€
5e : Ilios Kamatakis (UK) 152 600€
6e : Rhys Jones (UK) 119 450€
7e : Alexandre Meylan (Suisse) 88 300€
8e : Ivan Banic (Croatie) 60 750€
Les Français ITM
25e : Antoine Saout (17 310€)
39e : Pierre Calamusa (Team Winamax, 13 200€)
45e : Adrien Allain (11 440€)
55e : Gaëlle Baumann (Team Winamax, 11 440€)
61e : Ivan Deyra (10 270€)
71e : Fabrice Soulier (10 270€)
Ainsi s'achève ce reportage en terres irlandaises. La suite, c'est tout de suite : on se retrouve dans dix jours à peine au cercle Clichy-Montmartre pour la Grande Finale de notre circuit à nous, le Winamax Poker Tour !
Benjo