Qui aurait pu le croire ? La finale de l'étape Scandinave de l'European Poker Tour, d'ordinaire réputée pour sa difficulté et le caractère aggressif de ses participants, s'est finalement soldée par le tête à tête le plus soporifique du poker professionnel.
Le dernier jour du tournoi avait pourtant commencé de manière habituelle : assis autour de la table télévisée, on trouvait, rescapés parmi les 460 joueurs au départ, les huit survivants de l'épreuve (la plupart relativement inconnus jusque là) tous en quête de l'argent (834,000€) et de la gloire associés à la première place.
Parmi eux se démarquaient le charismatique américain (expatrié en Europe) Danny Ryan, expert en tournois on-line et déjà aperçu à Dortmund quelques semaines auparavant, où il avait atteint les demi-finales. Et puis, comme il se doit, un joueur français, mais ça, on commence à en avoir l'habitude, après les victoires d'Arnaud Mattern et Elky à Prague et aux Bahamas respectivement, ainsi que la huitième place de Thibaut Durand à Dortmund. Le « français en table finale du jour » était un joueur inconnu jusque là, Nicolas Dervaux, qui d'après sa biographie a effectué il y a deux ans un glissement depuis les tapis verts des tables de billard vers ceux des tables de poker.
Bref, on tenait une finale de facture classique, sans grosses stars, certes, mais comportant le mélange habituel de pros, semi-pros et amateurs éclairés qui compose les tables finales du circuit pro. La moitié de la table était de nationalité danoise, le reste des sièges allant à deux américains, un français et un suédois.
Justement, c'est ce dernier, répondant au nom de Patrik Andersson (patronyme très original en Suède) qui allait tomber le premier, quand son K5 ne s'améliora pas contre le A6 de Danny Ryan. Peu avant, Andersson avait perdu la moitié de ses jetons avec une paire d'As trouvée sur le flop, qui ne put se défendre contre le brelan de Dames du Danois Simon Dorslund.
Le même Dorslund allait être le suivant à sortir. Digne représentant de l'école Gus Hansen lors de cette finale, Dorslund a peut-être péché par excès d'aggressivité, ne jetant pas ses cartes aux moments où il était clairement battu.
Sixième au classement au départ de la finale, c'est à cette même sixème place que notre français Nicolas Dervaux allait finalement s'arrêter. Mis à mal par un évident manque de bonnes mains de départ, le francilien n'a jamais réussi à démarrer quoi que ce soit dans sa première finale majeure, et fit sa sortie après un « move » à tapis avec J5 payé par Soren Jensen qui détenait A7. Le français est reparti avec tout de même plus de 130,000€ pour ses efforts.
Belle percée dans le circuit pro pour Nicolas Dervaux
Après quatre heures de jeu, cinq joueurs étaient encore en course pour le titre. Notez que jusque içi, tout allait bien. Le chip-leader Américain Timothy Vance, incapable de rester assis sur son siège, amusait/ennuyait la galerie avec ses interpretations très personnelles de ses chansons favorites des Beatles, tandis que Soren Jensen célebrait chaque pot gagné par des beuglements en direction de ses supporters, qui, génés, quittaient peu à peu la salle.
Cette finale Danoise allait perdre l'un de ses deux représentants américains après le dinner-break, quand le AQ de Danny Ryan allait se heurter au AK de Rasmus Nielsen. Ce dernier allait ensuite faire un excellent call sur le flop J97 avec juste une paire de 8. Tim Vance, qui avait sur-relancé lors du premier tour d'enchères, poussa le tapis avec AQ une fois le flop tombé, obtenant un call instantané de Nielsen.
Hélàs pour Nielsen, la rivière fut le très Barry Greenstein-esque As de pique, et le Danois était éliminé en quatrième place. Il serait très vite suivi par l'excellent Magnus Hansen, qui a 20 ans était le plus jeune des huit finalistes. Après sept heures d'excellent poker, mélange de patience et d'aggressivité calculée, Magnus fit sa sortie avec un tirage couleur poussé à tapis sur le flop qui manqua le turn et la rivière, aisément battu par les deux paires floppées de Soren Jensen.
Ainsi, vers 21 heures, on tenait le tête à tête final entre deux joueurs jusque là inconnus, Tim Vance et Soren Jensen. Des deux joueurs, on connaissait en revanche bien leur tendance à l'extériorisation à outrance. D'un côté, l'Américain, souffrant sans doute de TOC jamais traités, ne tenait pas en place et demandait régulièrement l'autorisation de quitter la table pour faire les cents pas, tout en fredonnant ses Beatles chéris, de quoi donner un sérieux mal de crâne à tous les spectateurs, même à l'aguérri fan des Beatles que je suis. De l'autre, Soren Jensen, un grossier personnage ayant sans doute appris les bonnes manières pokériennes en regardant à la télé des personnages du genre d'Hevad Khan ou Phil Hellmuth. Hurlements, gestes déplacés et chants du cru étaient de mise chez le Danois.
Tout au mieux aurait-on pu esperer que le caractère haut en couleur de ces deux joueurs allait transparaître dans leur manière de jouer. Raté. A la place des duels aggressifs et rapides observés ces derniers mois dans le circuit pro, nous avons assisté à un festival de checks et de folds. Une torture abominable qui dura plus de quatre heures et mis à bout la patience des specateurs, journalistes et techniciens de l'European Poker Tour. Quatre heures et plus de 200 mains qui ont donné à plus d'un reporter aguerri l'envie d'en finir en se plantant des fourchettes dans les oreilles en avalant des éponges. Si, si.
C'est finalement le « moins pire » de ces deux médiocres joueurs qui finit par triompher en la personne de Timothy Vance. L'ensemble du public Danois, épuisé par le comportement désagréable de Jensen, avait fini par se retourner en faveur du joueur Américain, une scène qui ne fut pas sans rappeller les dernières scènes de ce chef-d'oeuvre qu'est Rocky IV. L'ensemble du tête à tête rappelait d'ailleurs furieusement le nanar suscité : c'était tellement nul que ca en devenait drôle.
Mais les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures, et vers une heure du matin, Soren Jensen mis fin au supplice collectif en envoyant son tapis à la rivière, sur un tableau contenant trois piques.
Tim Vance se leva, contempla un instant le tableau, puis sortit la plus belle réplique jamais entendue lors d'une finale depuis le « If you call it's all over baby » de Scotty N'Guyen aux championnats du monde 1998 : « It was nice playing with you, sir. I call », avant de retourner la main max : As-10 de pique.
Tim Vance : champion par défaut
Une brillante réplique qui rentrera à coup sur dans le jargon et l'histoire du poker, ce qui ne sera sans doute pas le cas de cette finale, que la mémoire collective devrait oublier en un temps record. Vite, vite le prochain tournoi ! Prochain rendez-vous : Varsovie, début mars...
Le marchand de sable est passé par Copenhague
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