C'est le moins que l'on puisse dire : la rentrée de l'European Poker Tour fut des plus agitées, avec de multiples changements mis en place par les organisateurs du plus gros circuit de tournois du poker du monde. La structure des épreuves a été modifiée, l'échelle des prix chamboulée, même le nom du circuit a été rangé au placard : d'ici 2017, la marque historique EPT n'existera plus, remplacée par l'appelation plus globale "PokerStars Championship", qui incluera les festivals des Bahamas, de Barcelone ou Monte Carlo en y ajoutant de nouvelles destinations à l'autre bout du monde, à Panama ou Macao.
Et en coulisses aussi, c'est le remue-ménage. En ce dernier jour de l'étape Barcelonaise, la petite famille de l'European Poker Tour a levé son verre et porté un toast au départ de l'une de ses employées les plus appréciées et dévouées :
Madeleine Harper. Celle que tout le monde - joueurs, croupiers, équipe télé, médias et autres membres du cirque itinérant - appellent simplement "Mad" quitte en effet le navire après douze années de bon et loyaux services : l'Anglaise a participé à toutes les saisons du tour, y compris la toute première, en tant que coordinatrice média, et prend aujourd'hui des vacances bien méritées.
A l'été 2004, lorsque l'EPT fut officiellement lancé à Barcelone avec un Main Event à 1000 euros l'entrée, Mad vivait à Sitges, à trente kilomètres de la capitale Catalane. C'est en curieuse qu'elle s'était rendue au Gran Casino, sur l'invitation d'un de ses vieux amis qui supervisait à l'époque la naissance de l'EPT. "
J'avais envie de donner un coup de main : mon pote m'a filé un tas de casquettes PokerStars et m'a demandé de les donner aux joueurs éliminés, en guise de lot de consolation. Sauf qu'au bout d'un moment, les joueurs ont compris la manoeuvre, et quand je m'approchais des joueurs short-stacks, ils me disaient "Va t-en ! Tu es le vautour qui attend les éliminations !"
Le rôle de Mad au sein de l'EPT est rapidement devenu plus formel, et a grandi au même rythme que l'European Poker Tour, c'est à dire de façon exponentielle. Accueillir les journalistes couvrant les étapes, s'assurer qu'ils reçoivent toutes les informations sur les tournois (chip-counts, photos, performances notables), mettre à jour le site jour après jour, propager les news sur les réseaux sociaux, répondre aux questions des joueurs : l'ancienne journaliste et concepteur de site Web fut entièrement au service du développement de l'EPT, et s'est rapidement rendue indispensable à la bonne marche du circuit.
A Deauville en 2011. Photo : Hugues Fournaise
Mad n'a pas chômé durant ces douze années : je le sais, car je fus à ses côtés durant nombre de ces nuits s'étirant jusqu'à l'aube, l'observant des dizaines et dizaines de fois rester jusque très tard en salle de presse à trier les classements des tournois annexes, partager sur Facebook les photos des gagnants, interviewer les finalistes des tournois, parcourir les listes à la recherche des joueurs ayant atteint trois tables finales en trois jours, corriger les erreurs dans les chip-counts qui venaient immanquablement se glisser dans les fichiers Excel transmis par les casinos. Toujours levée tôt, toujours couchée tard : Mad avait toujours quelque chose à faire lors des tournois, et nombre des anecdotes et histoire que vous avez pu lire dans ces colonnes depuis les premiers reportages Winamax en 2007 doivent beaucoup à son travail.
Au cours de toutes ces saisons, Mad s'est attiré les amitiés d'à peu près tout le monde ayant mis les pieds ne serait-ce qu'une fois sur le circuit EPT, la faute à une joie de vivre et un enthousiasme toujours renouvelé malgré la répétition des années et des voyages. De Deauville aux Bahamas, de Copenhague à Berlin en passant par San Remo, Prague, Kiev, Tallin, Madrid, Londres, Dublin, Baden, Monte Carlo et Vienne, ils sont des milliers à avoir croisé la route de Mad et sursauté à ses grands éclats de rire, parfois en plein milieu d'un gros coup en table télé, le plus souvent autour d'un bon repas, ou lors d'une de ces soirées open bar organisées par le sponsor. A titre personnel, je suis reconnaissant au circuit EPT de m'avoir permis de forger l'une des amitiés les plus inoubliables qui soient, et qui perdurera longtemps après son départ.
Photo : Neil Stoddart
Il y a quelque chose de symbolique dans le fait que l'un des personnages clé des coulisses de l'European Poker Tour décide de prendre sa retraite pile au moment où l'on apprend que ce circuit va mourir de sa belle mort. Lorsqu'est arrivée l'heure de dire "au revoir" à cette présence indéboulonnable, ils furent nombreux en salle de presse dont les yeux se sont mouillés. Avec le départ de Mad, c'est un peu de l'âme de l'EPT qui s'en va. Alors levons notre verre pour Mad, une dernière fois, en la remerçiant pour ces douze années de chip-counts, mais surtout de fous rires. Le tour ne sera plus jamais le même sans toi.
So long, Mad !