[Poker Face] Émilien Pitavy, une étoile prête à briller
Par Général Life Style
dansTu ne le connais pas encore, mais c'est le joueur préféré de ton joueur préféré. Fais sa connaissance avant qu’il ne devienne incontournable.
Émilien Pitavy. Un nom encore absent des gros titres de la presse poker, mais déjà familier des initiés, qui le tiennent pour l'un des meilleurs joueurs français du moment et un top reg de demain. Discret, le jeune Rhodanien avance en sous-marin depuis trois ans. Et en 2024, sa progression fulgurante l'a amené sur les tables les plus chères du monde, en live comme en ligne. Comment ce gamin discret de la campagne lyonnaise, totalement inconnu il y a encore un an, s’est-il imposé comme l’une des valeurs sûres du poker tricolore à moins de trente ans ? Découvrez le portrait d’un pro de l’ombre, aujourd'hui appelé à prendre toute la lumière.
Curieux, bosseur et coach dans l'âme
Las Vegas, été 2024. Sous la lueur crue des néons du Wynn, un Français anonyme pose pour la photo souvenir, un trophée devant lui. Émilien Pitavy vient de remporter un des tournois high stakes organisés en marge des WSOP, un KO progressif à 10 000 $ l'entrée ayant attiré une centaine de joueurs. Quelques jours après cette victoire à 200 000 $, il enchaîne avec un deep run sur un tournoi où l'on ne peut passer inaperçu malgré la foule de 10 000 participants : le Main Event des WSOP. Pitavy chute à 140 places de la table finale, mais c'est déjà bien assez pour que l'on commence à murmurer son nom dans le rail francophone. “Mais, c'est qui, ce mec ?” Pour répondre, il faut remonter à la fin des années 1990. Loin du Strip, loin du bruit des jetons, quelque part dans un petit village de la campagne lyonnaise.
Émilien Pitavy grandit à Brussieu, un bourg d’à peine 1 500 habitants perdu entre Lyon et Saint-Étienne. Un endroit où l’on cause plus volontiers de football que de Texas Hold'em. Bon élève sans faire de vagues, il suit un parcours scolaire classique, sans véritable passion en dehors du ballon rond. Joueur, puis entraîneur d’une équipe de jeunes, il développe un esprit altruiste et analytique. Aider les autres, décortiquer les matchs, comprendre les schémas de jeu : tout ça le passionne.
Le poker, il le découvre presque par accident, lors d’un dîner de famille. Mais il faudra attendre encore quelques années, en août 2018, pour que la bascule s'opère vraiment. Alors en dernière année d'école de commerce à Marseille, Émilien profite d'un bonus d’inscription sur Winamax, clique sur quelques Expresso à 1 €, puis tombe sur une vidéo de la Poker School du Team Winamax. Le Top Shark Aladin Reskallah y donne son thinking process sur le tournoi La Fièvre. “Je jouais des petits Expresso, comme beaucoup qui découvrent le jeu, et là je tombe sur cette vidéo. C’est à ce moment que je comprends qu’il y a un vrai travail derrière, que ce n’est pas juste un jeu où tu cliques et tu vois ce qu’il se passe. Il y a une vraie stratégie.”
36 000 vues, dont au moins une qui a changé la vie de quelqu'un...
Dès lors, il plonge. Pas simplement dans le jeu, mais dans l'étude du jeu. Fiches de ranges, analyses de spots, reviews de sessions… L’étudiant sans vocation se découvre une obsession. Contraint de s'exiler à Prague pour un stage qui validera sa dernière année de master, Émilien consacre ses soirées au grind. Loin de sa famille et de ses amis, l'expat progresse à vitesse grand V, et commence à prendre position sur les tournois mid stakes de Winamax. De retour en France, entre son nouveau job de contrôleur de gestion et sessions online, il continue de tracer sa route, sans faire de bruit. À côté de ça, il s'offre quelques petits plaisirs, s'essayant au live dans sa région, avant de remporter un package pour le SISMIX 2019. Sa première vraie exploration du poker "en dur", un an après ses débuts.
Du confinement au grand saut
2020 : le monde tourne au ralenti. La pandémie précipite deux confinements en l'espace de quelques mois. Coincé chez lui comme tout le monde, Émilien enchaîne les sessions online et signe ses premières grosses performances. Si bien que l'idée d'en faire son métier s'installe. Le moment vient de se poser les bonnes questions. Au sortir d'une discussion avec sa copine, le couple décide de tout plaquer pour s'installer à Malte. Un archipel devenu la terre d’accueil privilégiée de toute une frange de joueurs de poker online du continent, notamment les Français, en quête de sessions ensoleillées.
Sur place, Émilien trouve rapidement ses repères auprès de Nicolas Vayssières et Jonathan Pastore. Mais le rêve tourne court. Le bad run s’installe : sa bankroll fond de moitié. “Je pensais faire les choses bien, donc c’était frustrant de ne pas voir les résultats suivre. À tel point que fin 2021, je me suis carrément posé les questions que tous les joueurs se posent à un moment ou un autre : vais-je réussir dans le poker ? Suis-je vraiment fait pour ça ?”
La sortie de crise, Émilien l'entrevoit après une discussion avec un coach mental rencontré sur l'île. “Je ressentais le besoin d'organiser mon travail ainsi que mon approche du jeu. J'étais arrivé à un point où je n'arrivais pas à me détacher du poker.” Suit un deuxième choix décisif : intégrer le groupe de coaching de Florian Guimond sur les recommandations de ce bon vieux Chevre.Miel. “Ce qui est fou avec Émilien, rebondit ce dernier, c’est qu’à son arrivée, il m’avait demandé des conseils pour s’installer ici et progresser. Je l’ai mis en contact avec Flo. Quelques mois plus tard, c’est moi qui me retrouvais à lui demander de me coacher !”
Des propos que Guimond confirme sans trop de problèmes. “Durant l'année où on a travaillé ensemble, c'est l’élève qui a eu la progression la plus fulgurante. Très travailleur, très intelligent et créatif, il me challengeait souvent, car il me proposait des lines intéressantes que je n’avais moi-même pas envisagées.”
Le retour en force ne se fait pas attendre. Les perfs s’enchaînent, le niveau monte en flèche et Émilien attaque l'année 2022 fort d'un ABI (average buy-in) costaud : 200 €. La confiance retrouvée et la bankroll renflouée, il attaque avec confiance ses premiers WSOP (version online, sur le "point com") fin septembre. Un festival qu'il boucle dans le rouge, avec seulement trois ITM. Sauf que cette fois, le moral tient la route, ce qui n'est pas anodin.
S00n is now
Le début de l'année 2023 verra Émilien franchir un nouveau palier majeur. Son contrat de coaching avec Florian Guimond s'achève, mais son envie de progresser n'est pas rassasiée. Le timing est parfait pour voir passer une annonce postée par un certain Fedor Holz. Le petit génie allemand cherche à compléter son équipe de six joueurs ultra-ambitieux. Son objectif : leur faire atteindre les tournois les plus chers du monde.
Après plusieurs étapes de sélection et avec seulement deux places disponibles, Émilien intègre à sa grande surprise S00n - c'est ainsi que se nomme la team de la star. Dès lors, tout s’emballe. “Si chacun travaille seul dans son coin, une heure de travail vaut une heure de progrès. Mais en travaillant à plusieurs, si chacun consacre une heure à comprendre un sujet et réussit à en restituer l’essentiel en dix minutes aux autres, alors on multiplie notre efficacité. C’est la logique qui m'a guidé dès mon intégration dans ce programme.”
En l'espace de quelques mois, Émilien entre dans une toute autre sphère. Ses résultats le prouvent : runner-up sur le Highroller Million des Winamax Series (98 000 €), puis finaliste d’un 10 000 $ des WSOP Online (400 000 $). Deux énormes perfs qui l'emmènent vers son premier gros test en live. Les WSOP débarquent aux Bahamas, et les meilleurs joueurs du monde sont attendus, en plus de quelques riches hommes d'affaires et autres multi-millionnaires. Et au milieu de tout ça : quelques jeunes pousses à l'ambition débordante, comme Émilien.
Là encore, cette grande première se conclut par un solde négatif... mais laisse le Rhodanien avec cette conviction : son futur s'inscrit sur les festivals high stakes de ce genre. “À ce moment-là, j'ai commencé à comprendre que le live allait forcément faire partie de ma progression. Fedor me l’a dit dès mon arrivée dans la team : 'À un certain niveau, il est difficile de continuer à progresser en jouant uniquement online. Il faut explorer d’autres horizons, et c'est ce que tu dois faire. Tu vas aller jouer les tournois les plus chers du monde, tu es prêt.'”
Le coach de ton joueur préféré
Début 2024, une nouvelle claque : moins 80 000 € en même pas deux semaines sur l'ensemble des festivals online. Pas de quoi le faire douter, cependant : il a maintenant assez d'expérience pour être immunisé contre le bad run, et parvient à rebondir sur la dernière ligne droite des Winamax Series, avec un deep run sur le tournoi le plus important du festival : le 5 Million Event. Une troisième place, un chèque à six chiffres (un peu plus de 200 000 €) : la météo revient au beau fixe.
Ses sorties en live lui rappellent en revanche le chemin qui reste à parcourir. Son premier EPT, qu'il dispute à Paris ? Une baffe de plus. Le format est exigeant, le rythme différent, l’expérience cruelle. “Je ressens souvent du doute en live, beaucoup plus qu'online. J’ai l’impression de perdre confiance en moi. J’essaie de travailler dessus, et je le gère de mieux en mieux, mais c’est loin d’être parfait. J’essaie juste d’être le plus concentré possible sur toute la durée du tournoi.” Pas si grave... car son esprit est ailleurs, déjà tourné vers un tout autre évènement d'envergure : son mariage. Un moment décisif dans sa vie, non seulement pour sceller son engagement personnel, mais aussi parce que Candice, son épouse, a joué un rôle clé dans son parcours. “Elle m’a toujours soutenu dans mon projet, notamment quand il a fallu partir pour Malte afin de faire du poker mon métier. Elle a même quitté son travail pour être aujourd’hui à plein temps avec moi, afin que je sois dans les meilleures dispositions et que je puisse me concentrer pleinement sur ma progression. Aujourd'hui, elle gère en quelque sorte tous les à-côtés. Je ne la remercierai jamais assez.”
Quelques jours après la cérémonie, Émilien a tout juste le temps de ranger son costume de marié qu'il doit déjà ressortir celui de joueur : direction Las Vegas pour ses premiers WSOP. Une nouvelle étape, un nouveau défi. Dans l’ombre jusqu’ici, Émilien sait que c’est à Sin City, plus qu’ailleurs, que l'on peut vraiment se faire un nom dans le poker. Il le vérifiera avec cette fameuse victoire au Wynn : après ce premier titre, rien ne sera plus jamais vraiment comme avant. “Plus que l’aspect financier, c’était intéressant pour moi de voir comment je me comportais en deep run, même si ce n’était qu’un petit tournoi [112 entrées, NDLR].” Une semaine plus tard, il trouvera un nouvel élément de réponse... sur le plus gros tournoi de poker de la planète. Au milieu de 10 112 joueurs, il atteint la 148e place sur le Main Event des WSOP. Cette fois, ça y est : le secret est révélé. Ceux qui ne tarissaient pas d'éloge sur lui depuis plusieurs mois, comme Pierre Calamusa et Nicolas Vayssières, ne sont plus seuls dans leur admiration.
“C'est lui, le crack de demain”, répète aujourd'hui notre VietF0u national. Pierre n'est pas payé pour dire ça... C'est même l'inverse : depuis septembre 2023, notre Team Pro est coaché par Émilien. “Ça remonte à septembre 2023 et notre rencontre sur le Mystery KO 250 € de 18 heures, où l'on se jouait souvent. Sa capacité à travailler et à envoyer un tel volume, à s'entourer des bonnes personnes, le tout en gérant à côté de cela des coachings, le live et tout le reste, ça inspire le respect. Une chose est sûre, je ne le remercierai jamais assez.”
“Émilien, c’est quelqu’un de très humble, dans la vie et au poker, enchérit Chevre.Miel. Un bosseur, un vrai, toujours prêt à aider les autres. Et dans le poker, c’est très rare, je n’en connais pas beaucoup qui aident autant les autres. Je n'aime pas trop les phrases du genre “il mérite”, mais s’il y a bien quelqu’un à qui cela va parfaitement, c’est Émilien." Florian Guimond, son coach à l'époque maltaise, enfonce le clou : “Grâce à son travail et son talent, Émilien a petit à petit crush tous tous les paliers : aujourd'hui, c'est l'un des tout meilleurs joueurs du monde.”
Des aveux qui en disent long sur l’impact qu’Émilien commence à avoir, lui qui, encore récemment, se plaisait à jouer dans l'ombre. “Je n’ai jamais cherché à être connu. J’aimais bien l’idée de rester dans mon coin. Mais lorsque ton nom commence à résonner, ne serait-ce qu’à Vegas, je sais pertinemment que je vais être confronté à davantage de notoriété, c'est inévitable.”
Le futur du poker français ?
Aujourd’hui, à tout juste 28 ans, Émilien Pitavy est à un carrefour. S’il a déjà coché plusieurs cases faisant de lui un joueur respecté, il lui reste encore un cap à franchir pour entrer dans la cour des grands. “Il me faudrait une grosse perf' sur un gros festival comme les Triton ou les WSOP qui sont les deux objectifs de ma carrière... avec une petite préférence pour les Triton quand même [rires]."
Le circuit Triton, c'est un peu le boss de fin lorsque l'on se veut pro en MTT live. Émilien y a effectué sa première visite en mai 2024, sur l'étape de Monte-Carlo. Résultat : trois ITM. Une performance honorable, mais pas encore à la hauteur de ses ambitions. “J’avais l’impression de bien jouer, mais je vois aussi tout ce qui me sépare encore des meilleurs.” Sa seconde excursion Triton, en Corée le mois dernier, ajoutera trois ITM supplémentaires à son tableau de chasse. La marche est haute, les swings violents, mais le défi ne lui fait pas peur.
Car la confiance, elle, est là. Le travail, omniprésent. Et le talent, désormais reconnu par ses pairs. Alors, jusqu’où ira-t-il ? Finira-t-il par exploser lors des prochains WSOP ? 2025 sera-t-elle l'année de son premier trophée Triton ? Une chose est sûre : celui qui a longtemps avancé en silence commence à faire de plus en plus de bruit. À tel point que son nom pourrait bientôt résonner sur tous les festivals du monde comme une évidence... Vous l'aurez lu ici en premier.
Crédit photo Vayssières/Guimond : PokerStars
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