Les W rouges se mettent au vert

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Plongez au cœur du dernier séminaire du Team Winamax en Provence : trois jours d'activités, autant sportives qu'intellectuelles.

Séminaire
Si je devais réduire la dernière mise au vert du Team Winamax à un seul moment, si je devais compresser ces trois journées de sport, d’échanges et de bonne humeur collégiale en un unique épisode, sans doute que je choisirais ce tournoi de padel organisé lors de la dernière matinée du séminaire, sous un grand soleil et caressés par une douce brise provençale s’insinuant délicieusement sous les maillots trempés de sueur. Sur l’un des quatre courts, un vainqueur de Coupe Davis atomisait Mikedou et Guillaume Diaz, épaulé par un Adrien Guyon particulièrement apte – le Top Shark était le seul membre de l’équipe à ne pas découvrir sur place ce sport de raquette de plus en plus populaire en Europe, le pratiquant régulièrement depuis déjà neuf mois. De mon côté, le tirage au sort m’avait couplé à MIK22, et c’est hilares que nous nous initions à ce tennis en miniature survitaminé et tellement ludique : petit court, petite raquette, murs de vitres délimitant le terrain sur lesquels la balle a le droit de rebondir, et un rythme de jeu infiniment plus fun pour les débutants – les erreurs se paient moins cher qu’au tennis. De l’autre côté du filet, Sylvain Loosli tentait d’adapter ses habitudes acquises sur les grands courts, tandis que Davidi Kitai servait et retournait avec application, lui qui n’avait pas fait long feu lors de la randonnée en VTT organisée la veille. Michel, lui, n’avait pas transpiré une goutte lors de cette rando, montant les côtes sans même prendre la peine de se lever de sa selle, et le voilà maintenant qui célébrait chaque point gagné sur le court en citant The Big Lebowski, pour mon plus grand plaisir. « Nobody fucks with the Jesus ! » Menés 4-2, 30-0 sur le service du triple vainqueur WSOP Belge, c’est au mental que nous avons remonté notre déficit en points, pour finalement arracher le set au terme d’un tie-break rapidement expédié. Fourbus mais heureux, nous avons serré la main de nos adversaires : il était temps d’aller refaire le match autour d’un déjeuner.

Séminaire
Le poker est-il un sport ? L’interrogation revient à la mode ces jours-ci, la plupart du temps posée comme un faux débat. Chez Winamax, cela fait en tout cas un bon moment que nous avons érigé une passerelle entre les deux univers par le biais de Stéphane Matheu. Après avoir travaillé trois ans pour transformer ElkY en une machine à gagner surentraînée, l’ancien professionnel de tennis et coach à l’Université de Las Vegas est depuis 2010 aux petits soins de notre équipe de joueurs pros. Temps fort incontournable du plan de bataille annuel du coach : le séminaire. Une véritable mise au vert, au sens propre comme au figuré : durant trois jours, les joueurs sont isolés, au calme et au contact avec la nature. L’occasion fait le larron : comme le dernier rassemblement en date (le sixième au total) était prévu à la veille du dernier tournoi EPT de la saison joué à Monte Carlo, le choix du Country Club de Sophia Antipolis, à quelques dizaines de kilomètres du Rocher, était naturel. D’autant que c’est dans cette luxurieuse académie de tennis que s’était déroulé le tout premier séminaire de l’équipe, en mars 2011 : la boucle est bouclée ! (Entre temps, l’équipe s’est réunie dans des endroits aussi variés que Biarritz, Chamonix, Marrakech ou Spa.)

Séminaire
Largement coupés du monde trois jours durant, les téléphones et les ordinateurs plus ou moins mis de côté, que font les joueurs du Team Winamax ? Réponse : Ils font travailler leurs muscles, et leurs méninges. Le programme du séminaire est millimétré et s’articule autour de trois axes : activité sportive le matin, conférence l’après-midi (avec des intervenants extérieurs), puis deux heures de poker avant le dîner. Point de SNG high-stakes endiablé dans ce dernier segment, mais plutôt une discussion théorique, où nos pros confrontent leurs points de vue devant le replay de la finale d’un gros tournoi télévisé (dans le cas présent celle, inoubliable, de l’EPT Monte Carlo édition 2013, particulièrement adaptée à une séance d’analyse pointue puisque l’on y retrouvait des lumières telles que Daniel Negreanu, Jake Cody, Jason Mercier, Johnny Lodden ou Steve O’Dwyer).

C’est bien simple, au cours de ces trois jours, j’ai fait plus de sport qu’en trois ans, en compagnie des six membres du Team ayant répondu à l’appel (Gaëlle Baumann et Kool Shen étaient excusés, devant prochainement donner naissance à un premier enfant et un nouvel album, respectivement). J’ai eu tout loisir de maudire toutes ces années de tabagisme actif, et je me suis surpris à m’écrouler dans le lit de ma chambre d’hôtel bien avant minuit tous les soirs, complètement épuisé par cette « bonne douleur » que chérissent les sportifs. L’activité la plus crevante au programme ? Le frisbee. Ne rigolez pas : on s’épuise vite à courir après cette saleté. La plus exaltante ? Le VTT, chevauché sur vingt glorieux kilomètres de sentiers aussi verts que vallonnés, me donnant direct l’envie de foncer dans le premier Decathlon venu pour investir dans un biclou flambant neuf. La plus marrante : le padel sus-cité, qui me fait espérer que ce sport relativement nouveau en France connaisse chez nous la même flambée d’engouement qu’en Espagne ou en Argentine. Quid des aptitudes de nos pros ? Guillaume Diaz est un sportif tout-terrain, aussi à l’aise ballon au pied que raquette en main (« Tu es le Roger Federer du frisbee », glissera Mikedou). Habitué des séances de sport d’avant-tournoi, Sylvain Loosli était sans surprise dans une forme impeccable, acceptant mon invitation à deux séances de tennis en bonus le soir (bilan provisoire : un set partout - vivement la belle !) OK, je ne vais pas vous mentir en vous disant que tous les joueurs du Team sont des athlètes, mais aucun n’était hors-sujet, loin de là, leurs instincts de compétiteur aiguisés autour des tables de poker se transposant naturellement sur le terrain de sport.

Séminaire
Même s’il est le facteur qui les réunit tous au sein du Team, le poker n’occupe qu’une place réduite dans les séminaires de l'équipe. Un choix volontaire de la part de Stéphane Matheu, pour qui ces réunions sont d’abord l’occasion de faire du team building : se bouger les fesses et se creuser les méninges en groupe aide à renforcer la cohésion de l’équipe et rapproche les individualités. Le but : aller encore plus loin, devenir un meilleur joueur de poker, et pourquoi pas, soyons fous, un meilleur individu. Et puis tout de même, c’est aussi l’occasion de se détendre (n’oublions pas les bonnes choses de la vie : une bonne bouteille de rouge était systématiquement débouchée lors des repas du soir). En somme, ce séminaire concentre à peu près le programme du Team Winamax tout au long de l’année, mais en un poil plus intensif.

Au final, les six heures consacrées au poker durant ces trois jours (à raison de deux heures chaque après-midi) seront largement suffisantes pour rassasier tout le monde. On le sait, la morphologie de l'équipe a pas mal bougé ces derniers mois, après le départ de deux « vieux de la vieille » (ceux qu’on appellerait dans une équipe de football des « cadres » : Manuel Bevand et Ludovic Lacay), et avec l’arrivée d’Adrien Guyon à l’issue du dernier concours Top Shark. Lors de ces échanges ultra-techniques devant le replay de l’EPT Monte Carlo 2013, Davidi m’apparaîtra comme le leader naturel du Team : il est le sage qu’on écoute avec attention, le puits d’expérience dont on recherche l’opinion, celui auprès duquel on va en premier vérifier une idée ou une théorie. Mais en bon leader, il est aussi celui qui sait écouter, qui sait se remettre en question, qui sait qu’il ne faut surtout pas brusquer un interlocuteur en écartant d’un revers de la main une opinion contradictoire. Il n’y a que peu d’avis définitifs ou de divergences irréconciliables dans les discussions de l’équipe, que ce soit sur la stratégie à adopter avec 25BB à une table pleine, la range de mains avec lesquelles payer un 3-bet en position, la fréquence de continuation bet à adopter (où quel hôtel choisir à Vegas pendant les WSOP). Sur chaque main ou presque, Stéphane met en pause la vidéo pour laisser place au débat : les interrogations fusent, détaillées (tel joueur a-t-il raison de relancer ? Faut-il faire tapis sur ce flop ? Quel est le metagame à ce moment précis de la partie ?) En général, l’équipe tombe d’accord, mais quand ce n’est pas le cas, pas de problème : on peut discuter. Au poker, il y a plus de solutions que de problèmes.

Séminaire
Directeur d’un centre de psychiatrie en Suisse, Serge Didisheim visite à ses heures perdues le circuit du poker live en tant qu’étudiant passionné et assidu de notre jeu favori. Il est aussi un invité de longue date de nos pause-dîner sur les tournois, du genre que l’on labélise « Ami du Team Winamax » dans nos reportages. Serge est venu à Sofia-Antipolis pour s’interroger avec nous sur ce que les enseignements de la psychiatrie peuvent apporter au poker. Point de court magistral ici : Serge nous a confectionné des vidéos montrant de courts entretiens avec des patients (en réalité des confrères jouant des rôles pour l’occasion). Face aux vidéos, Serge nous invite à jouer les psychiatres amateurs, nous poser des questions, nous essayer à des déductions. Que voyons-nous sur les visages des (faux) patients ? Que révèle leur discours, leur façon de s’exprimer, les mots qu’ils choisissent, leur gestuelle ? Les hypothèses fusent, se heurtent, on tente de déceler des traits de caractères (« Lui, il a une haute opinion de lui-même », « Celui-là, il n’a pas confiance en lui »), et d’y associer des mots savants (personnalité borderline, paranoïa) L’exercice est passionnant, et le parallèle avec le poker est évident : à la table, on est constamment en train de se demander à qui on à affaire. Serge met en garde les joueurs : « Toute hypothèse est un Kleenex : il faut être prêt à la jeter à la poubelle aussi vite qu’elle a été formulée. » En somme, il faut rester prudent devant nos déductions. En filigrane, c’est tout un pan obscur, mais ô combien crucial de la stratégie au poker qui est en jeu aussi : la personne que l’on a face en soit, qui est-elle ? Comment réagit-elle ? Qu’est-ce qui la titille ? Et ce n’est pas seulement son vis-à-vis qu’il faut connaître et apprivoiser, c’est aussi soi-même. Et c’est peut-être cela qui est le plus difficile…

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C’est au cours des repas, tous pris en commun, que la cohésion et la bonne entente du groupe, en construction permanente depuis 2007, apparaissent comme une évidence. On y parle de poker, bien sûr, mais pas que. On ressasse la longue histoire du Team, ses petites anecdotes comme ses grands faits d’armes. Entre autres choses, j’apprendrai que Davidi n’est pas spécialement fan de son duel contre Andrew Chen à l’EPT Berlin en 2012, malgré une collection de bluffs et hero-calls incroyables rentrés dans l’histoire de YouTube  (« En fait, à cette époque j’étais vraiment nul en heads-up, du coup j’étais bien obligé de faire ce genre de coups pour m’en sortir ! »), que sa victoire WSOP préférée fut la première, tandis que la seconde ne lui a pas laissé que des bons souvenirs (« Je n’ai pas su gérer les tournois que j’ai joués après le deuxième bracelet, j’ai fait un peu n’importe quoi »). J’apprendrai aussi combien coûte une soirée post-November Nine (un bras, apparemment) et tenterai sans succès de résoudre l’énigme dite de « la voiture de l’Avenue Foch », qui a vu Michel égarer son véhicule durant un reportage à l’époque où il était journaliste (la police l’a retrouvée cinquante mètres plus loin et le mystère reste entier.)

Séminaire
Travailler dur. Trouver le succès très jeune. S’enrichir. Puis se retrouver confronté à toutes sortes de tentations. Des années avant d’offrir à la France la victoire en coupe Davis lors du cinquième match décisif en finale contre l’Australien Wayne Arthurs, Nicolas Escudé a, lorsqu’il n’était encore qu’un espoir du tennis Français - peut-être LE grand espoir de la fin des années 90 -, contemplé le gouffre. Et forcément, il a du faire un choix. Tomber dans l’oubli d’une carrière partie en fumée, ou se reprendre. Présenté aux côtés de Pier Gauthier (lui aussi ancien pro et familier des joueurs du Team avec lesquels il travaille le domaine du mental), le discours du "Scud" est assurément le Main Event du séminaire et se fait devant un auditoire conquis, qui sait que ce genre de trajectoires existe aussi au poker. Car évidemment, le joueur de poker pro parcourant le circuit, tout comme un tennisman classé à l’ATP, tout comme un joueur de foot de première division, tout comme un chanteur de rock faisant la tournée des stades, tout comme un acteur bankable à Hollywood (bref, toutes ces destinées où l’on peut s’enrichir trop vite et trop jeune) est forcément confronté à un moment ou un autre à toutes sortes de pièges et précipices. Argent facile. Bringues. Alcool. Réveils douloureux. Entraînements traités par-dessus la jambe. Tournois bâclés. Et inévitable stagnation. Nicolas Escudé est passé par tous ces travers, avant de se décider à rebondir. Il y eu le matin de trop. « Je me suis réveillé un matin, encore fracassé par la fête de la veille, je me suis regardé dans la glace, je n’ai pas du tout aimé ce que j’ai vu, et je me suis dit : ‘Nico, tu ne peux pas continuer comme ça.’ » Mettant fin à deux années de bringue de façon radicale (« À contrecœur, j’ai été obligé de m’éloigner de presque tous mes amis à Paris »), Escudé a repris les choses en main. En nous déroulant son histoire, les parallèles avec le poker se multiplient, évidents. L’importance du rêve comme facteur de motivation, d’abord. Après avoir, comme tant d’autres Français, vibré en 1991 devant les Leconte, Forget et Noah, Escudé n’avait désormais plus qu’un seul objectif : remporter à son tour la Coupe Davis pour la France. Un rêve pas si éloigné de celui d’un joueur comme Davidi qui, comme beaucoup, s’est dit en regardant une finale à la télé « Moi aussi, je serai un jour en finale. » Pour qu’Escudé réalise ce rêve (et de quelle manière, avec au total 18 matches remportés sur 23 dans cette compétition) il lui fallait d’abord un nouvel environnement, et une bonne dose de remise en question - cette dernière n'étant, le tennisman prendra soin de le préciser, pas synonyme de doute. Le travail mental allait se révéler prépondérant : comment gérer la pression ? Comment gérer le combat permanent contre soi-même ? Comment être capable d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ? Comment maintenir sa concentration ? Comment, tous les jours, essayer d’être meilleur que la veille ? Car si l’on reste passif, on fait pire que stagner : on régresse. Continuant de tracer des parallèles avec le poker, Escudé expliquera qu’aucun match n’est inutile, aucune rencontre n’est superflue : « On gagne un match décisif grâce à tous les matchs sans enjeu disputés précédemment » (Cela me rappelle un peu un Davidi Kitai prenant au sérieux les freerolls du Winamax Poker Tour, en profitant pour découvrir de nouvelles tells, de nouveaux profils de jeu) De même, tout comme un tournoi de poker mal entamé n’est pas forcément synonyme de défaite rapide, un match mal démarré n’est jamais tout à fait perdu. Et entre le moment où les mots « Shuffle up and deal » sont prononcés, et la victoire, il y aura forcément des hauts et des bas. Les bad-beats arriveront : il faut les prévoir, les intégrer, sans jamais perdre de vue le end-game. Une illustration ? Dans les six mois menant à la finale de la Coupe Davis 2001, Nicolas Escudé a perdu au premier tour de six tournois consécutifs joués en simple. Le 1er décembre de la même année, il remportait le point de la victoire dans le cinquième et dernier match contre les Australiens, sur leurs terres.

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À la table de poker, c’est seul qu’un joueur prend ses décisions, c’est seul qu’il tire profit de ses coups de génie, c’est seul qu’il est puni pour ses coups de folie : ce jeu est, et restera individuel. Mais si le Team Winamax a réussi à prouver une seule chose durant ses huit années d’existence, c’est que le chemin menant au succès est infiniment plus enrichissant lorsqu’il est emprunté en groupe.

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Benjo DiMeo

Triple vainqueur VSOP à Cognac.

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