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Le Check-up : Adrián Mateos Vs Johnny Lodden

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C'est cadeau : notre Team Pro Adrián Mateos analyse pour vous le plus fameux bluff de sa carrière.

Check up Lodden Mateos
Si vous lisez nos différents Top 5 Poker, vous avez forcément déjà entendu parler de cette main entre Johnny Lodden et notre Team Pro Winamax Adrián Mateos. Et pour cause : si elle est plutôt récente, elle est entrée sans préavis dans l'Histoire du poker. Souvenez-vous : nous sommes en 2015, et le jeu GTO commence à faire figure de religion chez les meilleurs joueurs, notamment ceux qui écument les tournois Highrollers du circuit live. Résultat ? De nombreux observateurs craignent que la part d'imprévisibilité qui fait tout le sel du Texas Hold'em ne disparaisse progressivement au profit d'un jeu aseptisé, et que les bluffs de légende ne soient définitivement rangés au placard. Mais c'était sans compter sur l'un des plus grands talents du poker moderne, Adrián Mateos donc. Déjà une référence du haut de ses 20 ans, l'Espagnol va secouer le cocotier en gratifiant les spectateurs de l'un des bluffs les plus spectaculaires de ces dernières années ! On décortique ce coup de mutant avec le principal intéressé, qui laisse à un arbitre impartial, son coéquipier Guillaume Diaz alias "Volatile38", le soin de prononcer le verdict final.

Nous sommes le 8 mai 2015, dernier jour de l'EPT Grand Final à Monte-Carlo, plus précisément lors de la table finale du Main Event à 10 600 €. Ils ne sont plus que quatre pour aller chercher l'un des titres les plus prestigieux du poker mondial et le gros million d'euros promis à la gagne : Adrián donc, qui doit batailler avec l'un des joueurs les plus réguliers de l'histoire de l'EPT Johnny Lodden (plus de 20 places payées sur les Main Events du circuit) ainsi qu'avec les amateurs Muyheddine Fares et Hady El Asmar. Notre Espagnol est largement chipleader, avec un stack (7,1 millions de jetons) près de deux fois supérieur à celui du frère d'Hassan Fares (3,8 millions), suivi par l'expérimenté Norvégien (3,5 millions) alors que le Libanais ferme la marche (2,4 millions). Évidemment, Amadi_17 est favori, surtout au vu du line-up où seul Johnny semble qualifié pour contrecarrer ses désirs de victoire...

Table

PRÉFLOP

Nous jouons aux blindes 40 000/80 000 ante 10 000, et Johnny ouvre les hostilités UTG en relançant à 160 000 avec une paire de 5. Adrián découvre deux beaux suited connectors, J10, et call au bouton, tandis que les deux amateurs s'invitent à la fête avec des mains dans la même veine que l'Espagnol bien que moins fortes : Muyheddine avec 96 depuis la SB et Hady avec 86 en BB. Nous sommes donc sur un bon vieux family pot (une petite "ambiance home game" comme le dit Bendo aux commentaires dans la vidéo ci-dessous) et on subodorre que cette main qui commence déjà à sentir le souffre pourrait bien faire des étincelles...

L'analyse d'Adrián Mateos : Il reste encore deux joueurs récréatifs dans les blindes, et cela ne me dérange pas de jouer des multiways avec eux, d'autant que je ne veux pas m'isoler contre Lodden. Je pourrais 3-bet sa relance de temps en temps, mais flat call est une bonne option.

FLOP : A39

Personne n'a touché de quoi se sentir vraiment à l'aise sur ce flop, et tout le monde check jusqu'à Adrián qui ne possède qu'une hauteur Valet et des tirages backdoors dans ce spot : l'Espagnol décide tout de même de tenter un petit vol et mise 275 000 dans un pot de 680 000. Fares suit avec la seconde paire, et El Asmar passe logiquement. On s'attend à ce que Lodden en fasse de même... Sauf que le Norvégien, adepte des moves atypiques, n'est pas un joueur comme les autres : il relance à 715 000 ! Mateos, qui a visiblement une petite idée derrière la tête, ne met pas très longtemps à payer, et Fares, pris en sandwich, ne peut que folder la meilleure main à ce stade.

L'analyse d'Adrián Mateos : Ici, je décide de miser petit. Ce n'est pas un flop où je vais prendre le lead très souvent, mais je pense que bluffer est acceptable car j'ai peu de bluffs perçus, sauf peut-être une main comme 5-4 qui a un peu plus d'équité, mais pas beaucoup d'autres mains similaires. La petite blinde call et je vois Lodden qui décide de check/raise sur ce flop rainbow, en 4-way de surcroît ! Avec notre historique, et sachant que Lodden est un joueur très agressif que j'ai pu voir effectuer des séquences de mises bizarres durant tout le tournoi - disons assez "créatives" -, j'ai du mal à l'imaginer jouer en value ici, car presque toute sa range est constituée de bluffs. La plupart de ses AK ou AQ ne veulent pas check/raise, ils vont plutôt c-bet ou tout au plus check/call. Ce sera parfois le cas, mais dans une main 4-way avec deux joueurs récréatifs encore en lice, ce qui est je pense un critère essentiel, Lodden gagnera plus d'argent en c-bettant et en effectuant plusieurs mises. Les seules mains de value qu'il pourrait avoir sont deux paires et des brelans. Mais je pense aussi qu'avec ce type de mains, il essaierait de trap avec un check/call, même si d'autres fois il va aussi c-bet vu qu'il y a deux joueurs récréatifs dans la main. Cela me semble donc être une ligne très bluffy : c'est pourquoi j'ai décidé de float sur sa relance, dans le but d'essayer de gagner le pot plus tard.

TURN : A39 4

Le turn est une carte assez anodine, un 4, qui offre à peine un tirage de quinte ventral à Lodden. Ce dernier décide de ralentir l'action en checkant. Adrián, lui, n'a toujours rien, mais pas le choix : s'il veut gagner ce coup, il ne peut pas rester les bras croisés. Le Madrilène pousse donc derrière la ligne une mise de 650 000 dans un pot de 2 385 000. Le Norvégien réfléchit, scrute le visage impassible de l'Espagnol, regarde ses jetons, et paye la somme demandée, avec 2 millions de jetons restants. "Éloignez les enfants !" prévient Benny aux commentaires. Il ne croit pas si bien dire...

L'analyse d'Adrián Mateos : Ici, le SPR (Stack to Pot Ratio) est de 1. Honnêtement, je m'attends à un check, car je me doute qu'il va check/fold très souvent. Viens alors ce qui est selon moi le moment-clé de la main : je décide donc de miser 1/4 du pot. Les raisons ? Cette line ne me polarise pas tellement puisque je peux check/back avec des mains de ma range comme AJ/AQ ou autres. Donc, quand je mise ici, je peux aussi le faire avec des AJ/AQ pour value et protection, sachant que beaucoup de ces mains jouent contre les ranges polarisées. Quand il décide de check/call, je le mets presque toujours sur des mains comme la sienne, du type 55 ou 22, car ce sont les seules mains qui possèdent assez d'équité pour payer une mise d'1/4 du pot, vu qu'elles possèdent un tirage gutshot. Souvent, il peut même relancer avec des mains du type 53s. Lorsqu'il paye, ça me dérange un peu tout de même, car sur la river je représenterai moins de mains, et il sera difficile de mettre la pression.

RIVER : A39 4 A

Le pot est énorme (3 685 000 jetons), et Lodden tapote la table une nouvelle fois. On s'attend là encore à ce qu'Adrián abandonne, alors que le coup dure déjà depuis plus de six minutes... Mais ce n'est pas le genre de la maison : l'Espagnol, qui couvre le Norvégien, pousse son adversaire à tapis ! À la surprise générale, Lodden n'envoie pas directement ses cartes dans le muck : "On bascule dans la stratosphère", s'exclame Benny. Car oui, tout le monde se demande bien ce qui peut faire bouillonner le cerveau du Norvégien, qui va tank près de 4 minutes avant de prendre une décision. Finalement, d'un geste bref et guettant visiblement la réaction de son adversaire, il finit par rendre ses cartes au croupier. Adrián claque alors son bluff sur la table et serre le poing... Il y a de quoi : il vient de porter un énorme coup de semonce à son plus dangereux adversaire dans cette finale.

Mateos Diaz Check-upL'analyse d'Adrián Mateos : L'As est à la fois une bonne et une mauvaise carte. Elle est mauvaise pour ma range, car elle m'enlève plusieurs combos de mains en value : concernant ma range perçue, il peut penser que je suis un joueur agressif qui aurait opté pour une mise en thin value si je possédais AJ ou AQ. Mais j'étais à peu près sûr, d'après ma lecture, qu'il bluffait très souvent au flop, et qu'au turn il se retrouverait avec une main plutôt faible. La river semblait donc bonne pour faire tapis pour un demi-pot, et mettre toute la pression sur ses épaules. Il doit alors effectuer un call très difficile, à cause de l'ICM, puisque les derniers jetons avec lesquels il pourrait me payer valent très chers à ce stade du tournoi. Il y avait aussi deux joueurs récréatifs à la table et cela représente beaucoup de value, car ils feront forcément des erreurs et Lodden aura donc des spots plus faciles pour gagner des jetons par la suite. Il ne faut pas oublier aussi que c'est sa 4e table finale EPT, avec tous les projecteurs braqués sur lui, lui qui est en plus sponsorisé par l'organisateur du tournoi : à ce moment, je me dis qu'il n'aura pas le courage de payer dans un spot aussi compliqué, où la chose la plus normale est que je possède un full, car je représente surtout une main très forte comme 99, 33, A3s, A9... Alors oui, c'est vrai que ça fait peu de combos de value, mais il est tout aussi difficile de trouver des bluffs dans ma range : si j'ai float avec "air" sur le flop, il me sera difficille de bluffer par la suite... C'est pour toutes ces raisons que j'ai décidé de bluffer.

LES NOTES D'ADRIÁN

Adrián Mateos : 10/10

On m'a souvent interrogé à propos de cette main, et je suis toujours d'avis que je l'ai jouée de la meilleure façon possible. Quand j'y repense, il pouvait aussi payer au turn puis essayer de bluffer la rivière, mais j'étais à peu près sûr qu'il bluffait au flop. Bon, ne la simulez jamais sur PioSolver ou tout autre logiciel de ce type... Il y a des moments dans un tournoi de poker où il faut jouer avec les "cojones", et c'était le cas ici. J'étais à peu près sûr que Lodden était sur le point de se coucher vu les coups étranges que j'avais pu observer de sa part durant le tournoi. En plus, ce coup s'est déroulé à un moment très important dans le tournoi, car j'ai fait mal au joueur le plus dangereux de la table alors qu'à part lui il ne restait que deux amateurs en course. C'est vraiment un épisode mémorable pour moi, sûrement l'un des plus beaux moments de ma carrière pour tout ce que ce coup signifiait, puisqu'il me rapprochait du titre de l'EPT Grand Final... Je pense que je rejouerai cette main de la même manière aujourd'hui si je réussissai à faire la même lecture, c'est clairement l'une des plus belles que j'ai jamais joué.

Johnny Lodden : 1/10

Aurais-je joué la main comme Lodden ? NON. Je n'aime pas du tout ce qu'il a fait dans cette main. Déjà, sa relance au flop me semble assez mauvaise, voire carrément une erreur. Car en plus d'être opposé à un joueur agressif au bouton comme moi, la petite blinde qui était un joueur récréatif avait également payé ma première mise. Et si j'avais été à sa place, cela m'aurait semblé très difficile de faire passer un As en relançant.

LE VERDICT DE VOLATILE 38

Génie

DiazOn va partir sur Génie ! C'est très intelligent de la part d'Adrián Mateos d'avoir vu que Lodden allait profiter de la situation au flop en abusant du check/raise, probalement parce que Fares a souvent une main trop weak ici : je pense que Lodden et Adrián savaient qu'il était un peu trop loose, c'est pour ça que Johnny a pris le spot. Adrián a aussi compris qu'il allait pouvoir représenter beaucoup de nuts sur les prochaines streets. Et surtout, ce qui est intéressant, c'est que la line check/raise flop et check turn est souvent une preuve de faiblesse qui va finir en fold au turn. Quand Lodden décide de check/call, cela représente donc pas mal de faiblesse et c'est sans doute aussi pour ça qu'Adrián fait tapis river. En tout cas, c'est clair que c'est un truc de fou d'avoir fait all-in à ce moment-là et contre Lodden en particulier, même s'il vaut mieux le faire contre lui que contre un joueur tight, qui aura plus souvent des bonnes mains. Je pense que ce coup aurait sa place dans le poker de 2021 : Lodden n'abuserait probablement pas autant au flop, mais il pourrait toujours créer des bluffs assez sexy avec des mains comme 5-3 suited.

Après un move si prodigieux, le titre ne pouvait plus lui échapper : impressionnant de maîtrise, Adrián Mateos remporte cet EPT Monte-Carlo. Il devient le premier joueur à compter à son palmarès les deux plus gros Main Events du circuit européen, après son titre en 2013 aux WSOP-Europe, et encaisse ce qui reste encore aujourd'hui le second plus gros gain de sa carrière (1 083 000 €). Quant à Johnny Lodden, il ne s'en remettra pas, échouant à la 4e place de ce tournoi (379 000 €) et ratant pour la énième fois un titre EPT, lui qui avait fini 3e de cette finale EPT deux ans auparavant. De hero caller de la décennie à perdreau de l'année, il n'y a qu'un pas...

On se retrouve bientôt pour un nouveau Check-up. Cette fois, vous verrez que la légende s'écrit aussi online.

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