[ITW] LittIeBuddha : 'C’est incroyable d’avoir autant de chance'
Par Général
dansVainqueur d'un Expresso Million fin mai, ce grinder de longue date revient sur sa carrière de joueur, sa vie à Tahiti, et cette partie jouée comme dans un rêve.
Il y a trois mois, Alexis alias "LittIeBuddha" empochait 800 000 € sur un Expresso Million. L’aboutissement d’une vocation pour le poker à deux ou trois joueurs chez le Haut-Savoyard. Mais pas de quoi changer pour autant les habitudes de ce grinder tranquille, exilé à Tahiti. Interview sans prise de tête.
Comment en es-tu arrivé à jouer cet Expresso Million Nitro 50 € ?
C’était une session standard pour moi, même si je joue presque toujours en 250 et 500 €. C’est assez exceptionnel que je sois sur des tables à 50 €, cela arrive maximum une ou deux fois dans la semaine. Mais cela me permet de travailler un peu le multitabling, car on est rarement submergé par le trafic sur les très gros buy-ins : en moyenne, il y a trois ou quatre tables qui tournent.
Quel a été ton sentiment en voyant apparaître cette table sur ton écran ?
On était en début de session, je lançais toutes mes tables, et je vois celle-là du coin de l'œil. Je me dis “Oula, cette fois c’est très brillant.” Et je vois que c’est un million d’euros. De l’adrénaline à fond, du stress… Il fallait que je focus. Ma première réaction, ça a été de mettre la table en grand sur l’un de mes deux écrans pour n’avoir que ça dans mon champ de vision. Les autres tables à gauche, je cliquais dessus, mais bon, sans vraiment regarder. Du bon stress. Le seul truc, c’est que j’ai senti mon cœur qui montait en quelques secondes. J’aurais bien aimé connaître mon nombre de BPM à ce moment-là. Je me suis dit : faut se calmer, car il va peut-être y avoir des décisions qui risquent de coûter un peu d’argent. Alors j’ai pris de grandes inspirations et expirations pour apaiser tout ça, redescendre à un niveau normal. Le temps que je fasse ça, c’était fini.
Te souviens-tu du déroulement de la partie ?
Difficile de faire plus facile ! Je n’ai eu aucune décision compliquée. Ça a duré une minute, c’était la partie rêvée quand tu joues un Expresso Million. Je n’ai pas douté, à aucun moment. Tout a été facile, et tout a été gagné. Le scénario magique.
On ressent quoi juste après avoir gagné 800 000 € ?
J’étais content, forcément, mais aussi un peu rassuré et apaisé. La redescente durant laquelle tu te dis “Ça y est c’est fait”, elle a un côté relaxant. Il y avait ma chérie dans le bureau qui jouait aussi. Quand l’Expresso tombe, je lui dis simplement : “C’est maintenant”. À l’intonation de ma voix, elle s’est dit qu’il y avait un truc. Je pense qu’elle a assez vite compris que c’était le Million, mais comme elle ne voyait pas l’écran... Quand je le gagne, je lui dis : “C’est fait.” Elle me regarde, et elle voit mon grand sourire. Le premier truc que j’ai fait, c’est le screenshot, envoyé aux copains sur Discord, et aux proches dans la vraie vie. Il fallait partager ça avec les personnes les plus importantes. Je m’en souviens carrément, j’espère que ça va rester longtemps.
[Alexis avait parié avec ses potes qu'il sauterait dans la piscine s'il gagnait l'Expresso Million, même s'il n'aime pas trop ça... Promesse tenue]
Cela fait désormais trois mois que c’est arrivé. Tu y penses encore ?
Très peu. Les premières semaines, j’y pensais souvent. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est la notion de chance : c’est incroyable d’avoir autant de chance. Je me dis que ça peut arriver tous les jours où je grind, mais je ne pars pas du principe que ça arrivera. Le fait de l’avoir gagné, que ce soit passé comme ça, ça m'a marqué, alors que le montant en lui-même m’a moins marqué. C’est bizarre à dire, mais c’est la probabilité de l’événement qui m'a marqué, plutôt que l’argent. Jusqu'ici, je n’étais jamais tombé sur des très gros jackpots : j’avais gagné un 10 000 € sur un 100 €, et j’ai joué un x1 000 en 50 €, que j’ai perdu.
Avant d’en arriver là… Comment as-tu débuté dans le poker ?
Je joue en ligne depuis mes 18 ans : le jour de ma majorité, j’ai ouvert plein de comptes sur toutes les pokerrooms. Les années d'avant, je jouais avec les copains, pour 1 € grand max. J’avais accroché tout de suite avec le poker, je les relançais tout le temps pour jouer ! Puis j’ai étudié pendant quelques années. J’ai débuté en DUT Mesures Physiques à Chambéry, mais j’ai arrêté là aussi le jour de mes 18 ans, je n’ai fait qu’un semestre. J’ai repris une licence LEA à la rentrée d’après, je suis allé au bout, par acquis de conscience, et ça m’allait bien de ne pas faire grand-chose à ce moment. C’est le poker qui m’a permis de m’amuser un peu, je n’ai pas trop eu besoin de chercher un job étudiant. J’arrivais à gagner des petites sommes mais je ne jouais pas non plus énormément. J’ai aussi joué en club à Chambéry, car je voulais me qualifier pour la finale du Winamax Poker Tour gratuitement, et j’avais réussi, j’ai encore mon gilet Winamax ! Une fois, j’avais aussi essayé de me qualifier sur Winamax, j’avais bullé le ticket, mais je m’étais dit : “Je m’en fous, j’y vais quand même,” car j’avais trop envie de la jouer !
“J’avais un gros attrait pour la stratégie et la psychologie. Le poker, c’est un peu le mélange parfait”
On a l'impression que pour toi, le plan a toujours été de faire du poker...
À la fin de la Licence, on a six mois de stage à Londres, et ils me proposaient un emploi après, mais j’avais demandé un mi-temps pour avoir le temps de développer le poker à côté. Ils ont refusé, ça a été ma chance, j'ai pu me consacrer à 100% au poker. J’ai toujours su que ça allait être le poker, car j’ai vu dès le début que j’avais un gros attrait pour la stratégie, les jeux de stratégie, et tout ce qui touche à la psychologie. Avec le poker, j’avais trouvé un peu le mélange parfait. J’ai perdu des sous au début, mais j’ai compris qu’il y avait des trucs à connaître, et j’ai bossé le jeu comme ça. Je suis devenu très rapidement un peu gagnant, et cela m’a permis de jouer très régulièrement et de prendre un billet par-ci par là.
Tu commences en jouant quel genre de parties ?
Je touche un peu à tout, mais particulièrement aux Sit&Go à quinze joueurs sur Winamax, que j’aimais bien. J’ai fait un peu de MTT, mon petit coup de cœur, et du cash-game pour apprendre à jouer deepstack, mais aussi des Expresso, qui ne dépassaient pas 25 € à l’époque. Puis je me suis dit que pour gagner des MTT, il fallait gagner des heads-up, alors je me suis mis au cash-game HU. J’ai joué à ça pendant un long moment. Quand j’ai vu qu'il n'y avait pas trop d’argent à se faire et que j’ai commencé à regarder l’aspect financier, je ne pouvais pas rater les Expresso. J'ai commencé à y jouer de manière poussée en 2019. Depuis, c’est ça à 200%. En moyenne, je joue au moins sept heures par jour, mais la fourchette est large.
Pourquoi avoir décidé de partir vivre à Tahiti ? La destination n’est pas courante pour un grinder online…
Il y a eu une période où je n'ai pas fait grand-chose, j’ai un peu bougé. Je suis retourné à Londres, j’ai fait deux mois à Bali, un mois en Thaïlande, je n'avais plus trop de bankroll, alors j’ai pris mon vélo pour faire livreur à Grenoble, pour gagner de quoi déposer 500 € et repartir en Expresso. J’avais un business plan bien détaillé, un groupe de travail. Puis j’avais un ami joueur de poker qui rêvait de venir vivre à Tahiti. Moi je pensais juste retourner à Londres, mais un jour il me dit : “Pourquoi tu ne viens pas ? C’est sympa au niveau fiscal, ça surfe, et tu bosses la journée.” Il m’avait convaincu juste avec cette phrase ! J’ai pris mes billets d’avion deux semaines après, alors que sinon Tahiti ne me serait même pas venu à l’esprit.
C'est quoi l'avantage de jouer de là-bas ?
Dans la vie en général, c’est surtout le train de vie qui est parfait. Je ne veux pas travailler le soir ou de nuit, ça me rend fou. Je fais du poker pour la liberté que cela engendre, et bosser le soir ce n’est pas vraiment ça. Ici, c’est cool de pouvoir profiter du soleil, j’y gagne en qualité de vie et bonheur. Pour moi c’est parfait, je suis plus heureux au quotidien.
Que vas-tu faire de tes 800 000 € ?
Cela ne va rien changer du tout parce je ne consomme pas grand-chose. Je ne vais pas acheter une voiture, je n’ai pas de passion pour les montres… L’argent va partir directement dans des investissements en bourse, je vais tout placer en ETF, une enveloppe qui regroupe les 1 600 plus grandes entreprises du monde de manière ultra-diversifiée. Sur le court terme, il n’y aura pas d’impact.
D'où vient ton pseudo LittIeBuddha ?
Ce sont les copains qui me l’avaient donné, car j’ai une petite passion pour la psychologie, sur l’aspect mental du poker. Tu dois être le moins sensible possible au good run et au bad run, détaché des résultats. C’est ce à quoi j’aspire, et je suis naturellement un peu avantagé. J'aime bien le nom, l’idée que ça évoque au quotidien. Parfois je fais des semaines ou des mois horribles, et je peux fermer l’ordi normalement. À aucun moment les gens vont pouvoir deviner que ça s’est mal passé, la vraie vie redémarre. J’ai pas mal bossé dessus, dès que j’ai pu avoir les livres de Jared Tendler, je les ai choppés. J’ai même pris des calls après une coach mental de la Fowan Academy. Tout allait bien, mais j’étais curieux de voir ce qu’elle pouvait m’apprendre, j’avais cette démarche d’aller au-devant des problèmes.
“Mon objectif, c’est ce petit 25 000 $ Heads-Up aux WSOP, qui me fait de l'œil depuis un moment”
Aujourd’hui, tu travailles aussi ton jeu ?
Je fais du travail théorique pour performer le plus possible, mais je ne fais plus du tout de travail mental. Je bosse avec Élie Nakache [champion WSOP cet été] qui fait partie du groupe de copains de Discord, mais aussi avec Clément Meunier [14e et 10e des deux dernières Grandes Finales du WiPT], Gauthier Abribat et Rémy Murcia, qui fait beaucoup de live.
Et toi le live, ça ne te tente pas ?
J’en ai fait très peu, et en faire beaucoup ne me tente pas, alors que de temps en temps, beaucoup plus. D’ailleurs, la première fois que j’ai rencontré les copains c’était au SISMIX 2019. Faire du live ça fait plaisir, mais ce n’est pas dans une démarche pro comme eux, je pense vraiment que je ne ferai jamais ça ! Mon objectif, c’est ce petit 25 000 $ Heads-Up aux WSOP, qui me fait de l'œil depuis un moment. Bon, il m'attirait plus quand il était à 10 000 $ tout de même... Le HU, c’est ma grande passion, et c’est aussi pour ça que j’adore les Expresso finalement. Alors c'est ce tournoi qui m’attire le plus, et il se pourrait bien que je finisse par le faire assez régulièrement. Si je le fais, je vais vendre pas mal de parts, car mettre 25 000 sur un tournoi à la base, ce n’est pas ma philosophie. C'est le format ou je suis le meilleur et de très loin, mais ça reste une variance démentielle. Je suis davantage un récréatif du live au final. Depuis Tahiti, tout est un peu compliqué niveau accès, et quand je rentre en France ce n’est pas pour faire du poker.
Tu as pu vivre les JO à Tahiti, nous on a vu ça de loin depuis nos téléviseurs. C’était comment ?
On a eu une chance folle. Il y avait une fanzone à Teahupo'o. Le programme du surf, c’était de caler les trois jours de compèt entre le 25 juillet et le 5 août. Il fallait participer à un tirage au sort pour gagner deux places, et ce pour une journée précise à chaque fois. Il y avait donc dix tirages au sort. On a gagné une place pour la dernière journée possible et finalement ils ont arrêté la compétition plusieurs jours, puis ils ont hésité à la poursuivre le dimanche 4… Et finalement, on a pu y aller le jour des demi-finales et de la finale le lundi 5 ! Une grosse ambiance, surtout avec le run de Kauli Vaast pendant la finale [un Tahitien devenu champion olympique]. C’était monstrueux, de sacrément belles émotions ! Dans la foulée, on est allés au podium, et entendre la Marseillaise sur la plage, sous les palmiers, c’était vraiment incroyable. Finalement, on ne pouvait pas rêver mieux. Dans notre maison, on était tous à fond. Je pense que globalement tout le monde a kiffé. Il y avait aussi une autre fanzone en ville. Parier sur les JO ? Je n’aime pas le gambling et les jeux de hasard. Je place juste les freebets que je gagne ! J’ai fait beaucoup de handball dans ma jeunesse, et ça m'a fendu le cœur quand ils ont rendu le ballon à six secondes de la fin en quarts de finale...
Merci beaucoup Alexis, et encore bravo !
Crédit photo portrait : France Poker Open
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