[ITW Deepstack] Antoine Labat, poker total
dans15 ans de carrière, des gros deep runs et un discours bien senti sur le jeu : bienvenue dans le monde d'Antoine Labat. Rencontre avec un passionné de la première heure.
Il n’a que 36 ans, mais il est presque un vieux de la vieille : cela fait désormais quinze ans qu’Antoine Labat est joueur pro de poker. Avec réussite : depuis ses débuts en ligne à la fin des années 2000 - sous le redoutable pseudo Mpiyavv - jusqu’à aujourd’hui, le Parisien a enchaîné les perfs majuscules sur tous les terrains, du Main Event des WSOP au circuit EPT, sans oublier une friandise bien sucrée sur un Expresso à 400 000 €. Le tout, sans jamais squatter les feux de la rampe.
À l’inverse de nombreux grinders de sa génération, trop vite starifiés, Antoine parvient donc à mener une carrière au long court, durant laquelle il s'est essayé - sérieusement - à de nombreux formats de poker. Une expérience qui a permis à ce passionné de jeux et de "Game Theory" en général de se forger une vision bien à lui sur l’essence même du Texas Hold’em. Pour vous, le résident anglais rembobine le fil de sa riche carrière, entre cash game dans les cercles parisiens, grind intensif aux tables online, deeps runs mémorables sur le circuit live et bien d’autres choses encore. C’est parti pour une interview très instructive…
Comment as-tu découvert le poker ? Peux-tu nous raconter tes débuts ?
J’ai toujours été fan de jeux en général, et j'ai commencé le poker très tôt sur des freerolls. J’aime la théorie des jeux : prévoir qui va faire quoi, pour faire mieux. En plus, il y avait de l'argent à gagner dans le poker, alors pas de raison de ne pas devenir le meilleur là-dedans. Le jour de mes 18 ans, je suis allé directement jouer au Cercle Concorde, à Paris : dans le métro, j'hésitais entre mettre 30, 40 ou 50 euros sur la table... Je jouais donc en cash game live, et en tournois online, car je trouvais le cash en ligne assez robotique. C'était en 2006, l'année où j'ai eu mon bac, et je suis passé pro trois ans plus tard, en 2009. Entre-temps j’ai fait Math Sup/Math Spé, où je n’ai pas excellé même si j’ai intégré une école d'ingénieur à Caen. Je faisais l’aller-retour tous les week-ends à Paris pour jouer. Puis les week-ends sont devenus des week-ends de trois jours, puis quatre, jusqu’au jour où je ne suis pas revenu du tout. Après une période où j’avais arrêté le live car j’étais complètement broke, j’ai aussi joué à l’Aviation Club de France. Je faisais du cash-game, les tournois à 50 € du matin jusqu'au 500 € du mercredi, je jouais tous les jours, le maximum d’heures possible. Je jouais aussi en ligne. Je n'avais pas d’horaires, pas de rythme, pas d’hygiène de vie.
Tes connaissances supérieures en maths t'ont-elles aidé à comprendre le jeu plus rapidement que la moyenne ?
Ça aide. C’est une façon de réfléchir, une volonté de résoudre les choses. J’ai lu Mathematics of Poker en 2009, c’était révolutionnaire, visionnaire pour l'époque. Cela m’a passionné tout de suite, j'y ai notamment appris comment construire des ranges. Le jeu le plus connu, c’est le dilemme du prisonnier : tu mets deux personnes dans une cellule. Leur meilleur atout, c'est si aucun des deux ne se dénonce. Mais s'il y en a un qui dénonce l’autre il est libre, et l’autre prend cher. Quelle est la meilleure stratégie ? Le poker c’est toujours un peu ça, comment l’autre va s’adapter en fonction de ce qu’il pense de toi.
Tu as connu l’explosion du poker online entre la fin des années 2000 et le début des années 2010. C'était un peu l'eldorado, non ?
Ma première année, en 2009, j'ai gagné beaucoup d'argent. J'avais eu la chance de faire troisième d’un tournoi à 500 $ sur Full Tilt Poker, pour finir mon année avec 160 000 $ de plus. Ça m’a beaucoup aidé. Mais ce n'était pas si facile que ça. C'était le far-west, on avait tous nos idées, chacun avait ses petites techniques, une vision particulière du jeu, comment exploiter les autres, c'était drôle. On ne pourrait plus faire comme ça aujourd'hui. Par la suite, j'ai moins gagné. J'étais moins bon. Mais c'était aussi l'écosystème qui voulait ça, car il y avait davantage de pros. Aujourd'hui, certains paramètres permettent de savoir s'il y a beaucoup de pros : quand les cryptos sont élevées, certains s'arrêtent, et quand elles sont basses, ils reviennent jouer au poker. En fait, j'ai l'impression que c'était encore plus facile avant 2009. Mais j'étais trop jeune, je ne connaissais pas le jeu et mon père ne m'aurait jamais laissé faire ça.
Justement, tu as directement bifurqué des études vers le poker. Comment cela s'est passé avec ta famille quand tu as annoncé ton intention de devenir joueur pro ?
Pas top. Quand j'ai appelé ma mère pour lui dire, elle m'a coupé la parole en me disant que mon frère l'avait déjà appelé il y a quelques jours, pour lui dire que lui aussi voulait être joueur de poker ! Alors j'ai changé de discours : j'ai dit que j'allais arrêter mes études, que j'avais un projet, et que je lui expliquerai plus tard. Finalement, mon frère n'est pas devenu pro, même s'il a été tenté. On n'avait pas le même rapport au risque.
Ensuite, tu pars t'installer en Thaïlande.
Je suis parti en Thaïlande en 2012, jusqu’en 2015. Mais en 2014 j’ai eu un gros bad run, j’étais déprimé. Alors je suis rentré en France, j’ai repris le cash game live et là je me suis dit : "Attends, c’est trop facile." Je suis resté, ça m’a remonté le moral et j’ai rencontré ma copine quelques mois plus tard.
C’est là que tu gagnes ce fameux Expresso à 400 000 €…
Au bout d’un mois, j’ai amené mon ordi chez elle car j’avais un ticket de tournoi que je devais jouer, à 1 000 €. À l’époque je faisais beaucoup d’Expresso, et c’est là que je suis tombé sur l’Expresso à 400 000 €… Sa réaction était du genre : “C'est génial ! Le mec vient de gagner 400 000 € sur le canapé de mon 20 mètres carrés !" [À cette époque, le vainqueur remportait l'intégralité de la dotation de l'Expresso, NDLR] Moi je me suis dit : "Faut que je garde cette nana-là..." En 2014, c'était le "bear market" des MTT, il n'y avait pas assez d’argent mort, trop de pros et pas assez de joueurs récréatifs. Beaucoup de pros perdaient de l'argent en tournois, et comme j'avais envie d'être le meilleur, j'ai lâché l'affaire et j'ai essayé d'autres choses : les Sit&Go heads-up et les Expresso donc, ainsi que du cash-game live. Après les Sit&Go, les Expresso étaient la suite logique pour moi. J'ai dû en jouer 30 000 avant de tomber sur le 400k, et seulement sur Winamax. Tu vois, je suis vraiment corporate... Mon pseudo de l'époque était "PaKaiKai". "Casse-toi de là," en thaïlandais.
Ces 400 000 €, ça a changé quoi pour toi ?
Déjà, au niveau monétaire, j'ai au moins doublé ma bankroll. Et il y a surtout cette sensation d’avoir gagné une somme complètement folle en quelques minutes. Tu ne t’y attends pas. J'imagine ce que c'est de faire deuxième ou troisième, de te dire que t'es passé à rien du tout du jackpot... Ce n'est pas facile comme format.
Ensuite, le confinement est arrivé...
Durant le confinement, ma femme a continué de travailler et ma fille était en bas âge, donc je me suis occupé d'elle. J'ai "résolu" les questions d'éducation, lu les bouquins, réfléchi à ce qu'il fallait faire à ce niveau. Mais j'entendais tout le monde dire : "Il y a plein d'oseille à se faire sur le poker online". Donc vers la fin 2020, je me suis remis à travailler mon jeu. J'ai acheté les solvers, j'ai tout solvé moi-même, je me suis mis à réfléchir de nouveau à la nature du jeu. Online, il y a tout de même eu un gap au niveau de la compréhension du jeu, les joueurs avaient beaucoup étudié. Comme je n'avais pas fait le travail, je me suis fait déchirer. Après, j'ai repris le live.
Tu nous disais que lors de tes débuts comme pro, chaque joueur avait ses petites idées. Quelles étaient les tiennes ?
Ma vision, c'était que les gens passaient trop. En tournoi, en 2009, je relançais n'importe quelles cartes au bouton et au cut-off. Et quand les gens checkaient, je misais tout le temps. C'était limité, mais ça marchait bien. Après, on apprend à réfléchir sur comment les autres s'adaptent à nos stratégies à nous. Au poker, on a la chance d'être puni tout de suite quand on fait des erreurs, on a du feedback. Quand on a envie de progresser, ça va vite. Mais la douleur instantanée, elle est là, on n'a pas envie de la ressentir trop souvent, alors on essaie de faire mieux. J'imagine que les pros raisonnent comme ça.
D’où vient ton pseudo de l'époque, “Mpiyavv" ?
Piyavv, ca veut dire boire de l'alcool à outrance. C'est peut-être de l'argot parisien.
Comment faisais-tu pour progresser, à une époque où le contenu pédagogique poker était limité ?
On lisait des livres, des Dan Harrington qui étaient la référence à l’époque, et Mathematics of Poker donc. J'avais des carnets où je notais des choses, et je réfléchissais au jeu. Un jour, j’ai lu un truc qui s’appelait The Poker Tournament Formula II, et ça a changé ma vie. Ce livre rejoignait des choses que je pensais, notamment que les gens foldaient trop, et il conseillait de jouer un tournoi live en mode blind [sans forcément regarder ses cartes], ce que j’ai fait en relançant any two cards au cut-off, bouton et small blind : à chaque fois que quelqu’un check, tu mises, et dès qu’il y a de la résistance tu passes. C'était la meilleure stratégie en 2009, et tu pouvais t'adapter en passant les mains les plus faibles. Mais j’apprenais surtout en jouant. Puis j’ai voulu monter de limite, faire des tournois à 100 € et à 200 € online, et là ça ne marchait plus. Donc je le faisais un peu moins : on n'est pas obligé d’exploiter les gens en permanence, car quand ça se voit, ils s’adaptent à toi. Et si tu dérives, au final, c’est toi qui te fait exploiter par les autres.
En 2011, tu disais dans une interview à Poker52 que ton joueur préféré était Steve « gboro780 » Gross (photo). Pourquoi ?
Je le voyais comme un des meilleurs. Je lançais ses tables en observateur, pour voir les showdowns. Il n'y avait pas de raison particulière, je m’étais entiché de lui, il avait juste l’air d’être le meilleur.
As-tu d’autres modèles aujourd’hui ?
Aujourd’hui, pas spécialement. Il y a plein de joueurs forts, mais je ne me suis jamais fait coacher par l’un deux, ce qui aurait pu m'aider à avoir une vision différente. Et je n’ai jamais suivi l’actu. Je suis connu pour ne connaître personne : quand je suis revenu en live en 2021, on me disait "Tu le connais lui ?" "Non, pas du tout. Donne-lui des cartes, là on va voir s'il est fort." Mais en vrai, cela ne veut rien dire d’être fort, surtout en live. Il y a plein de gens forts avec des profils complètement différents, et c'est vrai qu'il y a des gens qui donnent de l’action, qui font des trucs de fou, qui n’ont pas de ranges…
Tu as un peu raté le train en marche pendant l’âge d’or du sponsoring poker en France, même si tu faisais partie d’une agence, The Korporation. Pourquoi n’as-tu pas trouvé chaussure à ton pied à l’époque ?
Trouver un sponsor, ça aurait été pas mal. Mais je ne le "méritais" pas je pense. Il y avait plein de meilleurs profils que moi, des gens plus sociables sur les réseaux, moins négligés... Aujourd’hui, je me rends compte des raisons qui font que je n’ai pas eu de propositions. Et The Korporation, ça n’a rien donné. Ils pensaient qu’il y avait une opportunité pour ce produit, le fait d’être agent de joueur, mais il n’y avait pas tant de place que ça. Plusieurs rooms ont arrêté leur activité, plein de joueurs sont partis des rooms en .fr, ça n’a pas aidé.
Un contrat de sponsoring avec un opérateur de jeux en ligne, ça pourrait te tenter aujourd’hui ?
Pas spécialement, non. C’est trop lié à des contraintes de temps. Je ne dirais sans doute pas non si j’avais une proposition, mais je ne vois pas pourquoi on viendrait me voir. Et je joue très peu en live, j’ai juste eu la chance de perfer les seuls tournois que j’ai joués.
Si on met de côté 2018, ces deux dernières années ont été les plus belles pour toi en live [Antoine est 6e du classement GPI français actuellement]. Pourtant, tu occupes moins l’espace médiatique que d’autres joueurs français aux résultats similaires depuis le début de ta carrière [Antoine est 23e de la France All-Time Money List]. Est-ce une volonté de ta part de rester discret ? Ou juste que tu n’es pas davantage sollicité ?
Pour attirer l’attention sur soi, il faut le vouloir. Je n'en rajoute pas, je ne suis pas sur les réseaux sociaux, je ne cherche pas spécialement la lumière. Mais je comprends qu’il y a des gens qui suivent le poker, et c’est pour cela que j’ai dit oui pour cette interview. Ça fait marcher l’écosystème, et si mon parcours intéresse des gens, pourquoi pas. Je joue le jeu.
Tu nous avais gratifié de quelques petites punchlines durant le Main Event des WSOP 2022. En vrai, t’es un blagueur ? Ou c’est juste une façon de décompresser sur un tournoi ?
Quand j’ai parlé de cette question à ma copine, ça l’a beaucoup fait rire. Demande-lui ! J’ai un certain humour, mais plein de gens ne comprennent pas pourquoi c’est drôle. J’aime bien faire des blagues, directes, un peu sèches. Et parfois, c’est drôle.
Comment parviens-tu à rester concentré plusieurs jours d’affilée sur un tournoi ?
C’est assez facile pour moi de rester concentré, car je ne joue pas beaucoup en live, et quand je joue, je ne fais que ça. Je joue toute la journée, le but est de rester focus tout le temps sans se laisser abattre par les événements, de réfléchir en permanence à la stratégie à mettre en place à ma table.
Le mental, tu le travailles ?
Je n'ai jamais été coaché. Mais le mental, tu l'acquiers aussi avec l’expérience, avec les événements. Avec ma femme, notre mantra, c’est qu’on n'a pas le droit de râler. Et quand on ne râle pas, on n'a pas de problèmes mentaux, on avance. On peut appliquer ça au poker : quand un coup de poker est terminé, ça ne sert à rien de le ressasser si t’es encore en train de jouer. Il faut se remettre dedans. Mais ce n’est pas si facile, car perdre beaucoup de coups, ça peut être fatigant. Au poker, on subit, on ressent des choses, la dopamine, les rivers… On est en permanence poussé par des hormones, des émotions. Mais cela fait une différence de voir que tu n'as pas jeté le tournoi et qu’à la fin, tu finis troisième. Maintenant, j’arrive à gérer.
Sur le Main Event des WSOP, en 2018, tu perds ce pot avec les Rois à la bulle de la TF avant de finir 9e. En 2022, tu sors 38e avec les As. Comment on se remet de ce genre de setups ou de bad beats ?
Sur le coup, c’est toujours dur. Mais on essaie de remettre les choses dans le contexte, de voir plus grand. Il vaut mieux garder de la gratitude que du ressentiment, car on a toujours une bonne raison de ne pas être content en tant que joueur de poker.
Sur ce coup avec deux As contre Roi-Dame en 2022, je perds contre un récréatif, alors ça me dérange moins. Ils font des erreurs, mais ils ont aussi le droit de gagner. Karim Rebei, il est un peu particulier, il a quand même donné de l’action, du show, il a fait rigoler des gens. Alors bon appétit, et on passe à autre chose.
Les deux Rois contre deux As que j’ai perdu en demi-finale du Main Event en 2018… Il était un peu plus dur celui-là, moins marrant. Mais j'avais tout de même gagné 900 000 $... On peut toujours râler, dire qu'on a perdu 700K d'EV, mais personne ne va venir te plaindre. Ça ne sert à rien de raconter sa vie aux autres. On perd tous des coups. Quand on joue des MTT avec des gros fields, il y a des coups qui valent cher, c'est normal. Il y en aura d’autres.
Maintenant, j’ai une nouvelle technique. Sur l'Estrellas High Roller à l'EPT Barcelone, où je finis 2e, je gagne avec deux Valets contre deux As. Ce Valet, il vaut 400 000 €... Quand je perds un coup, je me dis que ça fonctionne aussi dans l'autre sens. Ça aide d'avoir déjà perfé, car quand c'est la première fois, c'est terrible. Et il ne faut jamais convertir l'argent à gagner dans les tournois vers ce que tu pourrais acheter avec. Du genre, j’ai perdu l’équivalent d’une Rolex. Les gens qui pensent comme ça sont dans la souffrance permanente.
À quoi attribues-tu tes gros deepruns en live ces deux dernières années ?
J’ai beaucoup travaillé à la sortie du Covid pour rattraper le train de retard que j’avais. Ça m'a amené à beaucoup réfléchir sur le jeu préflop. Les solvers n'ont pas beaucoup de sens à partir du moment où il y a trois joueurs ou plus dans le coup, ils n’ont pas compris ça. La question du jeu préflop est donc encore très ouverte au poker. Mais personne ne joue la solution parfaite. Je te donne un exemple concret : quand tu relances au cut-off et que le bouton te 3-bet trop, il peut faire ça sans perdre d’argent sur le long terme. Ceux qui vont gagner de l'argent, c'est les blindes, car parfois elles ont deux As ou deux Rois. Celui à qui ça va coûter de l'argent, c'est toi au cut-off. Le bouton peut te nuire sans se nuire à lui-même. Ça veut dire quoi ? Ce que tu dois essayer de voir, c’est comment tu penses qu'ils vont jouer. Et il ne faut pas hésiter à prendre des décisions radicales. Si tu veux une punchline : ce que j’ai du mal à vendre aux autres, c’est que le poker est un jeu de défense, alors qu’on l’imagine comme un jeu d’attaque, où le but est seulement d'exploiter l’autre.
Aujourd’hui, comment définirais-tu ta façon de jouer par rapport à tes premières années en tant que pro ?
C’est tout l’opposé. Avant, je voulais exploiter au maximum, quelles que soient mes cartes. Maintenant, je suis plutôt un défenseur de jouer moins de mains que le tableau. Sur le Main Event des WSOP, j’ai même une stratégie encore plus radicale que les gens n’aiment pas, mais bon… Ça se résume en : il est interdit de bluffer la river avant 300 joueurs restants. Il y a davantage de joueurs récréatifs par table, et on n’est pas pressé, donc on peut attendre les bonnes mains, et abandonner river quand on n'a pas la meilleure main. C’est un tournoi où toutes les trois heures, quelqu’un te fait une livraison ! Et il faut être prêt à perdre des coups, on sait qu’on ne va pas gagner toutes les mains, ça dure dix jours.
Comment en es-tu arrivé à cette nouvelle approche ?
J'ai rencontré un mec qui "crushait" et qui était un peu tight, donc j'ai réfléchi à une autre stratégie. Il vaut mieux se prémunir des erreurs des autres, plutôt que de chercher à exploiter leurs erreurs. Les gens ont une approche directe du jeu, ils veulent valoriser leur EV dans tel spot. En fait il y a une vision plus stratégique qu'on peut avoir : comment je peux m'organiser, avant même d'avoir des cartes, pour réfléchir à quelle EV je peux lâcher pour en gagner plus par la suite. Quelle erreur je vais laisser les autres faire, qui va me rapporter plus d'argent qu'une approche directe. J'en ai parlé à certaines personnes qui m'ont dit que je racontais n'importe quoi, ça ne fait pas l'unanimité du tout. Si on parle des Tritons par exemple, jouer comme ça, c'est peut-être un petit peu weak, car les mecs vont s'adapter de toute façon, ce sont les meilleurs. Mais dans les grands fields, il vaut mieux favoriser la survie, car si t'as perdu et si quelqu'un fait une erreur sur la main suivante, tu ne pourras pas en profiter. Certains appellent ça l'EV future. Les gens ont une vision statique du jeu car ils sont étudié les solvers. Mais ça ne dit pas ce qu'il faut faire si les autres font des erreurs : si tu utilises les solvers sans réfléchir, tu vas te faire défoncer. On parle de situations instables et uniques. On ne sait pas ce que les autres font, pensent, ça dépend ce qu'ils pensent de nous. Ceux qui ont pas compris que la clé, c'est l'adaptation, ils sont perdus.
Comment s’adapter aux fields EPT, particulièrement sur les Side Events, qui sont les tournois live où tu as le plus cartonné l’an passé ?
Déjà, c’est les seuls que j’ai joués, donc c’est normal que je perfe dessus. Et je préfère des tournois avec des gros fields. Le truc, c’est de jouer un petit peu plus tight, car les gens jouent trop de mains. Et comme certains jouent n’importe quoi, on se dit qu’on va récupérer plus d’argent en jouant davantage. Mais il faut surtout avoir la meilleure main à la river, c’est là qu’on gagne le plus d’argent, ce qui amène à se poser cette question : comment faire pour avoir un peu plus souvent la meilleure main à la river ? Réponse : il va falloir savoir passer tes mains plus rapidement, préflop ou au flop. Comme il y a pas mal de récréatifs et que chacun fait des trucs bizarres... C’est plus facile de réagir face à un mec qui fait des trucs chelous quand tu as une range tight. Si ta stratégie d'exploiter se heurte aux erreurs des autres et que tu n'as rien... C'est toujours dans l’idée de se prémunir des erreurs des autres.
Combien ça coûte, une saison de tournois live pour un joueur non sponsorisé qui ne fait que les gros festivals, et quelques tournois locaux ?
Pour moi, un EPT c’est à peu près 40 000 € en terme de buy-ins, cela dépend si on fait le 10 000 € en début de festival. Vegas c'est plus de 80 000 €, sachant que j’y reste trois semaines. Et il y a 10 % de frais à chaque fois, même si on peut s'en sortir pour moins cher. Il vaut mieux perfer ! Si on ne perfe pas, on enlève les tournois à 10k.
En tant que joueur live, as-tu fait ou fais-tu d’autres choses que les tournois ?
Je peux jouer en cash game live, j’ai eu des périodes à Vegas, en 50/100 $. Mais sur les EPT, les tables ne sont pas très belles en général.
Quelle est ton activité de joueur online aujourd’hui ?
Quand je joue online, j’ai un average buy-in de 400 $, je fais des tournois entre 100 et 1 000 $, et aussi les 50 € sur Wina. J’ai fait les Series quelques jours. Sur Wina, ça fait d’ailleurs trois ans que je n'ai pas cashout, plutôt l'inverse ! Je m’en rappellerai : si un jour je gagne le 5 Million Event, je me dirai qu'il fallait payer pour ça...
Quels sont tes objectifs poker pour cette année 2024 ? Quel sera ton programme en live ?
Je n’ai pas d’objectif particulier. Pour en avoir en termes de gains, il faut être courageux. C'est un peu facile à dire quand tu as perfé et que tu as un peu d'argent de côté, mais je n’ai pas la pression du résultat. Comme l’année dernière, je vais jouer les EPT et partir à Vegas trois semaines. Je vais avoir un troisième enfant début juin, j’ai réussi à le caler avant début juillet, donc ça va (sourire). C’est plus difficile quand tu as des enfants de voyager beaucoup. Des déplacements poker en famille ? Ça ne viendra pas je pense, à part peut-être à Chypre. Mais mes enfants vont à l’école, ma femme travaille, et ils ne me verraient pas de toute façon, vu que je joue toute la journée.
En 2011, tu désignais aussi Gary Kasparov comme étant ton sportif préféré. Pourquoi ?
Je jouais aux échecs. Il avait une intelligence particulière, une certaine élégance, la finesse. Les gens plus intelligents que nous sont fascinants. On a du mal à comprendre, mais j'adore.
Quelles sont tes autres passions en dehors du poker ?
Les jeux de société, la macro-économie, suivre les avancements informatiques. Quand j’ai vu arriver ChatGPT au tout début, j’ai prévenu tout le monde : c’est incroyable ! Je me dis aussi que je devrais me mettre à coder, je devrais apprendre des skills plutôt que de jouer à des jeux toute la journée, étudier plus en profondeur certains sujets.
Ça fait déjà très longtemps que tu joues. L’envie de faire autre chose t'a-t-elle déjà effleurée l'esprit ?
Quand j’ai rencontré ma copine, je lui disais : dans un an, j’aurai arrêté le poker, et ce pendant plusieurs années. Puis en 2018, j'ai "frappé" le Main Event WSOP, et ça m'a vraiment donné envie de refaire des tournois live. J'aurai bientôt trois enfants, c’est déjà un sacré projet de les faire grandir. Mais dans le futur, il est probable que je change de métier. Le poker n'est pas encore résolu, mais ça va dans ce sens. De plus en plus de joueurs maitrîsent la tactique, alors ce sera de moins en moins intéressant de jouer au poker, et aussi online pour d'autres raisons. Mais il faudra bien occuper ses journées, quoi qu'il arrive...
Propos recueillis par Rootsah
Retrouvez notre coverage de l'EPT Paris 2024 dès le 14 février dans la section Reportages. Antoine Labat y débutera le dimanche 18 sur le High Roller FPS.
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