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Interview de Chérif Ghemmour

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Il est égocentrique, radin et autoritaire. Le journaliste Chérif Ghemmour ? Mais non : Johan Cruyff, le héros de son livre. Biographie lyrique d'une star du football.

Journaliste à So Foot, Chérif Ghemmour consacre son dernier livre à l'un des plus grands footballeurs de son temps : le Néerlandais Johan Cruyff, "génie pop et despote" (édité par Hugo Sport et préfacé par Michel Platini). L'occasion d'en apprendre un peu plus sur le leader de la Hollande 74, de l'Ajax et du FC Barcelone.

En quoi Johan Cruyff te semble-t-il « pop » ?

Cruyff était un jeune joueur dans les années 60, issu de la génération du baby-boom. Il a été très marqué par la musique pop et ses groupes emblématiques comme les Beatles ou les Rolling Stones. Cela a pas mal déteint sur sa personnalité et son look. Cette musique l'a même inspiré dans sa façon de jouer, à titre individuel comme collectif : Cruyff savait jouer sur le même tempo, sur le même rythme. À l'époque, tous les joueurs de l'Ajax avaient le même look, ils avaient des dégaines de rock star. En retour, ils ont eux-mêmes inspiré la jeunesse de leur pays !

Égocentrique, despote, intéressé par l’argent, hypocondriaque… quel était le pire défaut de Cruyff ?

Son pire défaut était aussi sa plus grande qualité, une qualité que l'on peut retrouver chez toutes les grandes personnalités dans le domaine artistique. Quand t'es un super crack, tu chopes le melon, tu deviens dominateur. En général, le génie va de pair avec le côté odieux. On retrouve ça dans les grands réalisateurs de cinéma, les acteurs, les peintres. Dans le sport, c'est pareil : tu regardes Maradona, Jordan ou encore Ali... L'autre défaut majeur de Cruyff était son rapport pathologique à l'argent. C'était l'un des premiers joueurs à être attiré par l'argent. Il voyait cela comme une forme de reconnaissance, au même titre que celle donnée par les journalistes ou les supporters. Lui voulait absolument que ça passe par l'argent. Ce comportement de diva lui a d'ailleurs coûté son capitanat en 73. Aujourd'hui, ce comportement a été banalisé par des Ronaldo ou des Messi. À l'époque, c'était nouveau.  

Cruyff était un coach sur le terrain, il dirigeait ses coéquipiers. Peut-on être un génie du foot sans imposer sa loi ?

C'est possible dans le cas de Cruyff, car il avait un côté tyrannique, mais aussi un côté pédagogue. Il parvenait à transmettre son savoir tactique sur le terrain. Même s'il avait des problèmes avec pas mal de joueurs, ces derniers l'écoutaient quand même au final. Il a accumulé un savoir phénoménal sur le foot, et tout ce savoir, il l'a transmis. Et Cruyff avait le plus souvent raison. C'est la différence entre l'autorité et l'autoritarisme. Tu connais Guy Lacombe par exemple ?

Pourquoi n’a-t-il pas persévéré dans sa carrière d’entraîneur après le Barça ?

Cruyff a commencé le foot très tôt, il a joué jusqu'à 37 ou 38 ans et a eu une carrière très chargée et très dure car il jouait sur tous les tableaux. Quand en 96, il s'est fait virer du Barça, ça été un choc pour lui, il a été humilié. Cela l'a marqué psychologiquement, il l'a très mal vécu. Il a eu son accident cardiaque en 91 qui l'a pas mal affaibli. Et puis, il y a une autre raison : dans les années 90, les clubs italiens sont devenus super puissants. Cruyff et les autres coachs de Liga ont compris qu'ils ne pouvaient pas s'aligner financièrement : il y a eu le cas Bergkamp qui devait venir au Barça mais qui a filé en Italie. Et puis Cruyff voulait tout simplement profiter de la vie. Comme tous les footballeurs, il n'était pas souvent à la maison et n'a pas vu ses enfants grandir. Il avait ce besoin d'aller voir son fils jouer à Manchester et de développer d'autres projets personnels, comme sa fondation.

Cruyff a lancé Guardiola en équipe première du Barça. Pep s’est-il inspiré de son mentor une fois entraîneur ?

Tout à fait ! Cela fait partie des bons côtés de Cruyff : il a eu pas mal de fils spirituels, sorte de descendance pour lui. Le principal, c'est Guardiola, mais il y a eu Rijkaard, Koeman, De Boer... Dans le cas de Guardiola, il a été le chercher dans les équipes de jeunes, et l'a confié à Ronald Koeman : « Maintenant tu t'occupes du petit, tu lui apprends tout ! » Guardiola est un pur produit de la Masia. Il y a un rapport de maitre à élève, Guardiola s'est énormément inspiré de Cruyff. Mais Guardiola a apporté un plus au Barça : il a ramené cette rigueur tactique défensive qu'il a apprise en Italie.

Y a-t-il un joueur actuel qui se rapprocherait de Cruyff ?
 
Ce serait un joueur composite, un mélange de Ronaldo et Messi. Ronaldo pour la vitesse et le côté complet, Messi pour le dribble le sens du but. Je rajouterais également un numéro 10, comme Ozil ou Pirlo. Et puis aussi un Zlatan pour le côté spectaculaire. Cruyff c'était un numéro 9 et un numéro 10 à la fois, il était tous ces joueurs.

Dans le panthéon du foot, pourquoi cite-t-on toujours Cruyff loin après Pelé, Maradona et les autres ?

La différence, c'est qu'il n'a pas gagné la Coupe du monde. C'est le truc fondamental ! Il n'a joué que celle de 74 d'ailleurs. C'est ce critère qui fait qu'on considère aussi aujourd'hui que Messi et Ronaldo ne sont pas de "super" joueurs. Ils le sont bien sûr, mais Ronaldo ne fait pas gagner le Portugal et Messi ne fait pas gagner l'Argentine. Et puis Cruyff n'a pas bénéficié de la couverture médiatique que Pelé ou Maradona ont eue en marquant des buts de légende devant des millions de téléspectateurs.

Ton livre regorge de références musicales. Quelle chanson définit le mieux Cruyff ?

Je pense à deux titres :  "Get off of my cloud" des Stones et "I Saw Her Standing There" des Beatles. Je commence d'ailleurs mon bouquin par cette chanson... Il y a un parallèle entre le début de carrière de Cruyff et le début de la Beatlemania.

Quelle autre star du football aimerais-tu interviewer ?

J'ai déjà interviewé Platini, on a super bien parlé, c'était très enrichissant. J'aimerais bien Maradona, mais je ne parle pas espagnol, il me faudrait un traducteur ! Mais aussi un type comme Paul Scholes, que j'admire énormément. C'est un joueur très sous-estimé, et l'un des meilleurs de sa génération. Il y aurait aussi Sócrates, mais il n'est malheureusement plus de ce monde.

Session one shot

Quel est la pire équipe de loser de l’histoire ? Les Pays-Bas 74 ou le Stade Rennais ?

Stade Rennais !

Qui est le Hollandais le plus surcoté : Huntelaar ou Van der Vaart ?

J'inverse la question : le plus sous-évalué est Huntelaar.

Si le talent est héréditaire, il s’est passé quoi avec Jordi Cruyff ?

Le talent pourrait être héréditaire, mais le génie ne l'est pas : donc il n'avait aucune chance !

Le pire entre perdre à la 116e contre l’Espagne en finale de CDM 2010 et une non-qualification à l’Euro 2016 ?

Perdre en finale, car les Hollandais y croyaient dur comme fer. Ils ont été extrêmement déçus, c'est pour ça qu'ils ont fait un mauvais Euro en 2012.
 
En club, Van Gaal ne fait plus rien depuis 2010. Est-il devenu un loser ?
 
C'est compliqué avec Van Gaal. Il a beaucoup hésité à reprendre après 2014. Il était très enclin à prendre sa retraite, mais voulait relever un dernier challenge : entrainer un grand club anglais. Quand on te propose Manchester United, ta réponse ne peut être que oui...  Il ne s'éternisera pas, ne fera pas dix ans là-bas. Mais c'est vrai que depuis qu'il est à Manchester, ça ne ressemble à rien !

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Kinshu

La vie est un long tilt tranquille. Titulaire d'une Licence IV à l'université Jean Roucas.

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