À la suite d'une finale foudroyante, Espen Jorstad s'impose devant l'Australien Adrian Attenborough. Le Scandinave remporte le bracelet de champion du monde, encaisse dix millions de dollars et hisse pour la première fois la Norvège sur le toit du poker mondial.
Main Event 10 000 $ : c'est fini !
Un nouvel éclair dans ce heads-up orageux. Pour la troisième fois en moins d’une heure, Espen Jorstad demande le tapis de son adversaire sur un pot massif. Cette fois, il ne craint rien. Dans un pot limpé, son adversaire, le check-raise alors qu’il touche brelan floppé, 2-barrel sur une brique et check sur une river qui lui donne le full.
Le Norvégien n’a plus qu’à avancer le tapis. Un nouveau tank d’Adrian Attenborough, plus court cependant que le précédent, celui qui restera dans les annales de ces WSOP. Il hésite, se frotte les mains, se gratte la barbiche, rigole, se reconcentre puis termine par un rapide « OK Fuck ! » en avançant brusquement une pile de jetons et retourner sa double paire. Espen retire alors la figurine Super Mario qui lui servait de porte bonheur et de protège-carte pour afficher son full. Ça y est ! Espen Jorstad vient de remporter le Main Event des World Series of Poker.
« Allo maman, j’ai gagné le Main Event »
Il se lève calmement, fait un signe de prière pareil à celui du Namaste indien en direction de son clan, jette un coup d’œil à la table, puis s’en va rejoindre les siens. Le clan norvégien sert son héros dans ses bras, le congratule quelques secondes, puis Espen s’extirpe pour faire deux choses en urgence. Un : saluer son adversaire, Adrian Attenborough, avec beaucoup de respect. Deux : appeler sa maman, directement depuis le plateau télévisé, à côté du butin et du bracelet qu’il vient de remporter. (A noter : le streaming étant diffusé avec une heure de décalage, maman Jorstad a donc été proprement spoilée par son propre fils !)
Le fiston partage quelques mots avec sa mère, le temps d’un coup de fil où Espen, solide, impassible tout le long de cette finale, ne peut s’empêcher de lâcher quelques larmes. « Elle était en train de pleurer aussi, beaucoup. On a pas réussi à beaucoup parler, confie Espen au moment de l’interview post-victoire. Elle était très fière bien sûr, c’est ma fan numéro 1. C’était assez émouvant comme coup de téléphone ».
Espen se fait mitrailler de photos pendant quelques minutes, puis se prête au jeu des micros, à chaud, pour commenter sa victoire. « Ça fait beaucoup de bien, mais je ne réalise pas vraiment encore, je pense que ça deviendra plus réel dans quelques jours, déclare le joueur, qui embraye tout de suite sur la qualité de son runner-up. J’ai eu un heads-up vraiment difficile, contre un excellent joueur. Adrian m’a causé beaucoup de problèmes, depuis le Day 6 où on a commencé à se jouer. Je lui ai d’ailleurs dit, “peu importe ce qui arrive, j’aimerais jouer le heads-up contre toi » et c’est ce qu’on fait, mais j'ai eu des meilleures cartes que lui aujourd’hui ».
Le guerrier méditant
Comme chaque vainqueur de tournoi, Espen a eu les cartes en sa faveur. Pendant toute la fin du Main Event, il s’est positionné dans le haut du chipcount grâce à un run favorable, mais aussi grâce à ses qualités de joueur. La technique bien sûr, que le grinder a aiguisée durant des années sur les plus hautes limites des rooms online. Mais aussi la maîtrise de soi, en montrant une attitude exemplaire, caractérisé par un calme, une quiétude presque troublante.
Même quand son adversaire tankait pendant 19 minutes, Espen restait imperturbable, confortant sa stature droite et fière en regardant fixement son adversaire, derrière ses élégantes lunettes rondes. « J’essayais juste de me concentrer sur ma respiration, explique le joueur en revenant sur ce fameux tank. C’était un peu une pratique de méditation. Où on se concentre sur différentes parties de votre corps. Ce doigt là, puis ce doigt là » illustre le joueur. Imperturbable, le Jorstad mêlait à cette froideur un certain enthousiasme, une volonté d’apprécier ces moments de jeux, à l’image de ce sourire en coin, qui ne l’a pas quitté de la partie. Une sérénité et une gaieté qu’on retrouvait jusque dans les T-Shirt arborés par son rail, floqués de cette question improbable « Do you even meditate ? » (Est-ce que tu médites, au moins ?, parodie zen du célèbre meme "Do you even lift, bro ?", "Est-ce que tu vas à la salle au moins ?").
Pourtant, c'était mal barré
Le voilà donc champion du monde. Pourtant, on peut parier que personne n'aurait misé un kopek sur le Norvégien à l'issue du Day 1A : il s'était qualifié pour le Day 2 certes, mais avec seulement le 605e tapis des 630 joueurs restants, soit 17 600 jetons, moins d'un tiers du stack de départ ! Sauf que la courbe s'est radicalement inversée lors du Day 2ABC : Espen terminait la journée avec... 463 500 jetons, en 40e position au chipcount. Sa progression fut ensuite assez linéaire lors des trois jours suivants, durant lesquels il se tint en embuscade, bien calé en outsider derrière les tapis de tête.
C'est vraiment lors du Day 6 qu'Espen sortit de l'ombre, puisqu'il passa de 4,665 millions à 31,175 millions, multipliant donc son tapis par plus de six et terminant en 5e position au classement. Puis il a surfé sur la vague lors du Day 7, atteignant la finale en position de chipleader : une TF où il a mis un peu de temps avant de passer la seconde, puis d'éjecter tour à tour Mathija Dobric (5e) et John Eames (4e). Largement en tête pour le 3-handed, il a laissé Adrian Attenborough se charger du cas Michael Duek, avant de travailler au cerveau l'Australien en heads-up, jusqu'à ce que ce dernier fume ses derniers neurones. Une preuve de plus que la structure du Main Event est définitivement exceptionnelle, et que dans ce tournoi, rien ne sert de courir : il faut surtout partir à point.
Les vikings, encore eux !
Et maintenant ? Que faire après avoir remporté le plus beau tournoi du monde, pour une somme affolante ? D’un point de vue financier, le joueur reste fidèle à la réponse classique des tournois de poker : Jouer plus cher, investir, et acheter des cryptos. « J’aimerais m’installer sur la scène High Stakes. Jouer plus de 25 000 $ par tournoi par exemple », affirme le joueur, qui n’avait jamais ITM en live plus cher qu’un 5 000 $ jusqu’à aujourd’hui.
Au-delà de l’argent, l’homme qui vient de vivre le premier jour du reste de sa vie aura besoin de temps pour prendre la mesure de son exploit et savoir quelle direction prendre après cet accomplissement. « Je ne sais pas quoi faire tout de suite, avoue Torstad. Je suis comme un sans abri, j’essaie de comprendre où je veux aller. Je vais prendre un break, et peut être aller à Barcelone pour refaire un peu de poker. Je n’ai pas décidé encore ».
Peut-être pourra-t-il prendre conseil aux côtés des champions présents dans son rail. Un certain Koray Aldemir, mais ausso Manig Loeser, Dietrich Fast, Jack Sinclair, et bien sur Patrick Leonard, avec qui il remportait le Tag Team Event deux semaines plus tôt, s’étaient glissés dans le kop norvégien. Après avoir célébré en compagnie de leur ami champion, ils auront certainement quelques bons conseils à lui partager.
Avant de penser au futur, il est temps d’apprécier le moment. Espen Jorstad vient de remporter le titre ultime du joueur de poker. Le natif de Steinker, petite commune située dans le comté de Trøndelag, hisse la Norvège sur le toit du poker mondial. Il sera le troisième scandinave à voir son poster afficher sur les murs de l’Event Center, après Martin Jacobson et Peter Eastgate et s’installe directement tout en haut de la All-Time Money List nationale, devant un certain Felix Stephensen, runner-up en 2014… Derrière Martin Jacobson. Jadis, il paraît que les vikings ont envahi l’Europe. Dans l’histoire moderne, leur conquête s’étend jusqu’à Las Vegas.
NB : Voilà pour ce Main Event. Vous voulez du rab ? Il reste encore un 10 000 $ 6-max pour le déssert. On a du Romain Lewis, du Adrian Mateos, du Davidi Kitai et un énorme Pierre Calamusa (en termes de stacks hein), accompagnés de toute une flopée de grinder français, qui, on ne sait pour quelle raison, se débrouillent plutôt bien en format short-handed. Rendez-vous dimanche pour déguster ensemble le der des ders de ces WSOP.