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[Blog] Biais cognitifs : remettez-vous d’équerre

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Il y a un peu plus d'un an, j'avais donné un cours en vidéo sur la façon dont les biais cognitifs affectent notre prise de décision. Je n'ai pas structuré le cours en me concentrant sur le milieu du poker ; cependant, les cartes restent un domaine où la prise de conscience de nos biais cognitifs nous procurera des avantages incroyables. J’en ai sélectionné quelques-uns dans ce blog pour me concentrer spécifiquement sur la manière dont ils nous influencent lorsque nous prenons des décisions à une table de poker. Si vous êtes attiré par le monde des biais cognitifs et l'amélioration de vos processus mentaux à la table et en dehors, je vous recommande vivement ce cours. Vraiment, même ma grand-mère dit que c'est génial... Voici déjà l'introduction (en langue espagnole) :

L'heuristique de disponibilité

Imaginez quelqu'un qui vous dit que s'il possède une paire de Rois en main, il préfère faire tapis directement avant le flop avec n'importe quel stack, car sinon il se fera toujours raser à la fin. Disons que cette personne s'appelle Monsieur Malin.

- Monsieur Malin : "Souviens-toi de Pierre Calamusa qui, avec un stack de 40 BB en table finale du High Roller, n'a fait que 3-bet avant de perdre contre un brelan de Huit !"

- Vous : "Monsieur Malin, c'est une heuristique de disponibilité. Vous ne devriez pas donner autant d’importance à une seule anecdote isolée."

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Ce biais est un raccourci mental, qui s'appuie sur les exemples immédiats qui viennent à l'esprit d'une personne lorsqu'elle évalue un sujet, un concept, une méthode ou une décision spécifique.

L'heuristique de disponibilité repose ainsi sur la notion suivante : si on parvient à se souvenir d'un événement, c'est qu'il doit être important, ou tout du moins plus important que d'autres événements dont on ne se rappelle pas aussi facilement.

En tant que joueur de poker, je vois constamment des personnes aux tables être victimes de ce biais. Il y a des joueurs qui choisissent de mal jouer une main spécifique, simplement parce qu'ils ont récemment vu un autre joueur gagner gros en exécutant ce play en particulier. Même si le résultat était aléatoire, ils surestiment le taux de réussite de ce move et le répètent en se basant sur leurs informations les plus récentes.

De même, d'autres joueurs choisiront volontairement une line non optimale pour jouer une excellente main comme une paire de Rois, juste parce qu'ils ont récemment vu un autre joueur perdre beaucoup d'argent avec deux Rois. Moi-même, dans un souci de professionnalisme, je ne peux pas me laisser aller. Je dois toujours rester concentrée et alerte, car je suis consciente de ce biais et j'essaie de l'éviter. On ne peut pas oublier que le cerveau opte toujours pour la facilité, ce qui signifie qu'il voudra utiliser des raccourcis mentaux qui nous feront souvent prendre de mauvaises décisions. 

Le biais de confirmation

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À mon avis, c'est le biais par excellence, celui qui nous affecte le plus car il manipule la partie la plus profonde de nous-mêmes : notre façon d'interpréter le monde. Le biais de confirmation, c'est la tendance à rechercher et à interpréter les informations qui nous parviennent de manière à confirmer ce que nous pensons déjà et, dans le même temps, à ignorer ou à accorder moins d'importance aux informations qui nous contredisent.

Nous reconnaissons tous ce biais chez les autres, mais il est assez difficile de l'appréhender quand il nous concerne directement !

Laissez-moi vous donner un exemple personnel qui s'est déroulé lors du premier EPT Monte-Carlo auquel j'ai participé. J'étais au Day 2 du Main Event, et je n'avais pas reçu de main décente depuis des heures. La patience, et le fait de savoir choisir quand jouer et quand ne pas jouer sont des compétences essentielles au poker. Du moins, c'est ce que je me disais… Jusqu'à ce que je reçoive enfin une main ! Une paire de 10 ! J'étais prête à risquer mon tapis s'il le fallait, mais je ne m'attendais pas à ce qu'un monsieur plus âgé, alias "la mega serrure" et qui n'avait pas joué une seule main depuis le début de la journée, surrelance. Une mini-relance, tout sourire, pour être précise.

Ça s'annonçait mal, mais bon, je possédais ma paire de 10 et j'avais déjà décidé que si on me donnait de l'action, je serai in. En suivant mon schéma de pensée, j'ai fini par risquer tous mes jetons. Le gentleman a payé, a montré deux As et… j'ai sauté.

Après coup, j’ai discuté de la main avec des amis en expliquant : "J'avais 20 BB, nous avons fini par faire tapis, et j'ai perdu 10-10 vs As-As". Raconté de cette façon, c'est un cooler clair.... mais pas tant que ça en réalité. Mon récit omettais des données très pertinentes, comme le fait que j'avais fait tapis sur une relance de l'homme le plus serré de l'univers, et que si j'y avais réfléchi objectivement, il était impossible que ce joueur ait une main pire que la mienne. Mais bien sûr, en faisant abstraction de ce fait dans mon discours (celui que je leur racontais et celui que je me racontais à moi-même à ce moment-là), je recevais le feedback dont mon cerveau avait besoin pour se sentir bien. Mais en tant que joueurs, combien de fois trichons-nous mentalement pour justifier une certaine line ? Car autant nous voulons nous améliorer rationnellement, autant notre cerveau reptilien n'en a rien à faire... Il veut se sentir bien, et le biais de confirmation nous aide à ce niveau.

L'effet Dunning-Kruger

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Allez sur Twitter un instant, enfilez votre costume de voyeur et regardez n'importe quel thread sur une main de poker. Ou alors, allez au bar et abordez n'importe quel sujet : politique, économie, ou même le sport.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais souvent, les personnes les moins bien informées sont les premières à donner leur avis, souvent très tranchés. Enivrés par un effet illusoire de supériorité, ils sont convaincus de détenir la vérité absolue et il est très difficile de débattre avec eux car ils ne veulent pas céder. Ils sont là pour gagner la bataille, pas pour débattre.

C'est ce que l'on appelle l'effet Dunning-Kruger, selon lequel les personnes ayant peu de compétences ou de connaissances pensent être mieux qualifiées qu'elles ne le sont en réalité.

Ce biais a aussi l'effet inverse : les personnes très compétentes dans n'importe quel domaine, ou très spécialisées dans leur domaine, ont tendance à sous-estimer leur niveau d'expertise. En d'autres termes, ils ne considèrent pas qu'ils possèdent des compétences ou des connaissances extraordinaires, bien que si nous devions les comparer objectivement à la population moyenne, ils se situeraient dans la sphère haute.

Une ignorance bienvenue ?

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Quand j'ai commencé le poker, je pensais être relativement forte au début, et au bout de trois mois, je pensais être devenue vraiment bonne à ce jeu. Oui, je croyais que j'étais capable de prendre de bonnes décisions et de commenter des mains jouées par des professionnels.

C'est précisément lorsque j'ai commencé à prendre le poker au sérieux et à y consacrer une grande partie de mon temps que j'ai paniqué et traversé une période de crise, au cours de laquelle j'étais convaincue que je ne serais pas capable de franchir le pas pour devenir joueuse professionnelle.

Normalement, plus vous approfondissez un sujet, plus vous vous rendez compte du peu que vous en savez... et plus il devient évident que vous avez encore beaucoup à apprendre. Heureusement, il arrive aussi un moment où, bien que vous compreniez que vous pouvez toujours continuer à apprendre, vous avez acquis suffisamment d'expérience et de confiance pour vous considérer comme un expert.

Nous sommes tous très doués pour identifier les autres joueurs qui sont victimes de ce biais, mais l'astuce consiste à être suffisamment introspectif pour se rendre compte que nous ne sommes pas non plus à l'abri. L'avantage de se plonger dans le monde des biais cognitifs est que, bien qu'il soit pratiquement impossible de les éliminer, nous pouvons les neutraliser si nous les connaissont bien.

D'ici mon prochain blog, je vous souhaite donc de prendre un maximum de bonnes décisions ! On se voit aux tables !


Leo Margets

Révélée par un mémorable deep-run sur le Main Event des WSOP, la Barcelonaise est l’une des figures emblématiques du poker Ibérique.

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