[Blog] An American Story (Part 4)
Par Tournois Live
dansRésumé des épisodes précédents : à la fois impressionné et ému par un joueur américain rencontré lors d’un tournoi au Planet Hollywood, Pierre Calamusa décide de le coacher, et de financer sa participation au Main Event des WSOP 2018. Bonne pioche, très bonne pioche : un mois plus tard, après sept jours d’efforts et d'émotions intenses, Tony Miles est en finale du plus gros tournoi du monde. Après deux jours de combat supplémentaires, il ne reste plus que trois joueurs dans la course. Aussi excité que son poulain, Pierre est aux premières loges pour la partie de poker la plus regardée de la planète...
Day 10 : la der des ders
J’arrive chez Tony à dix heures. Harper et Tapis Volant sont avec moi pour documenter en vidéo la préparation de Tony avant la journée la plus importante de sa vie. Tony est crevé : il n’a pas réussi à trouver le sommeil. On se met rapidement au boulot. Notre travail est d’abord axé entièrement autour de Michael Dyer : c’est un joueur dangereux, ulta agro mais qui n’a plus beaucoup de jetons. Tony est très appliqué : en moins d’une heure il a appris et récité par cœur toutes ses ranges d’open shove et de call contre le petit tapis de Dyer. Chantier suivant : le jeu de petite blinde contre les ouvertures au bouton de John Cynn. On met au point une stratégie de 3-bet assez agressive avec des ranges extrêmement polarisées. Nous développons également une range de flat constitué de mains relativement fortes, avec un petit pourcentage de pièges, histoire de contrer d’éventuels resteals de Dyer.
Une fois ma partie technique terminée, je contacte Shaun Deeb : il me confirme qu'il prendra le relai en cas de heads up final. Le duel est un format que je maitrise moins : je ne me sens pas pleinement compétent pour prendre sur mes épaules le poids d'un heads up à 3,8 millions de dollars.Reste alors ce qui est sans doute ma mission la plus importante en tant que coach et ami : ramener la bataille sur le terrain mystique. Je m'inspire beaucoup du travail de Stéphane qui m'a épaulé ces quatre dernières années et qui a l'expérience du coaching dans ces moments à forts enjeux. La pression autour de Tony m'inquiète. Les discussions autour d'éventuels sponsorings avec des rooms prennent beaucoup de temps et d'énergie. C'est un dilemme difficile à résoudre car si les contreparties financières sont évidemment à considérer, l'influx nerveux consommé au cours des négociations peut faire la différence en fin de journée. Il faut que Tony prenne du temps pour lui. Ce temps, nous le prenons autour d'un déjeuner avec ses parents. Nous nous prenons la main et nous prions ensemble. Prions non pas pour la victoire mais pour le moment que nous vivons. Celui d'un jeune homme qui accomplit son rêve et deviendra quoiqu'il arrive une star mondiale dans le monde du poker. Puis nous échangeons sur la vie, sur son vécu et comment il doit s’en servir pour aller chercher ce bracelet de champion du monde. Je lui raconte mes erreurs, comme celle commise à 15 restants sur l’EPT Prague parce que j'ai été nerveux et impatient. Ce déjeuner a marqué ma vie : c’est un moment que je n’oublierai jamais. Souvent, je me surprends à aller sur Youtube pour revoir le documentaire qu’a tiré Tapis Volant de cette journée pareille à aucune autre.
Un final hallucinant
Curieusement, je n'ai que très peu de souvenirs du Day 10. La der des ders. J’ai passé la première heure auprès de Tony, jusqu’à ce coup où son As-Valet a tenu contre le As-10 de Dyer. En heads up, je n'ai plus du tout eu accès à Tony. Comme convenu, Shaun Deeb a repris en main le coaching pour le duel et mis en place une stratégie ultra agressive basée sur de très hautes fréquences de 3-bet. Du haut des gradins, au cours des dix heures et 199 mains qu’ont duré le dernier mano a mano (un record), j'ai assisté à l’un des plus beaux spectacles jamais donnés dans le monde du poker. Un face à face incroyable entre deux joueurs de classe mondiale, et des coups absolument hallucinants. Deux mains me reviennent à l'esprit. Un 4-bet shove au flop de Tony avec 76 sur Q58, payé par John Cynn avec… 74 ! (Le pot sera partagé) Puis ce bluff irréel de mon protégé avec, encore une fois, une simple hauteur 7, à tapis sur la rivière : Cynn réfléchit longuement avant d’abandonner une petite paire. Avec ce bluff de classe mondiale, Tony prouvait encore une fois qu’il avait du courage et du cœur.Le Main Event des WSOP 2018 s’est joué sur un coup du sort incroyable. Terrassé par la fatigue, Tony croit apercevoir l’une des deux cartes de John Cynn au moment de la distribution : un 10. Fair play, Tony prévient son adversaire mais le jeu se poursuit. Fort de cette information, sûr que son adversaire ne possède pas AA/KK/QQ/JJ, Tony agresse et 3-bet avec une main marginale : la fameuse Q8. Le flop vient tombe KK5. La présence du roi de cœur rassure Tony car John aurait probablement jeté Roi-10 offsuit préflop : sa range est donc capée ! Tony c-bet et sa fait payer assez rapidement. La turn est magique : un 8 qui lui donne une paire et amène un deuxième flush draw. Le pot fait 133 millions, il reste 115 millions à Tony. Il effectue le move logique : tapis ! A la fois pour value et pour protection.
Ainsi le tournoi s’est joué, comme je le pensais, sur un terrain autre que la technique, sur un plan presque mystique. Il s’est joué sur une quasi hallucination, du genre qui ne peut vous arriver que dans un état de fatigue extrême. Avec KJ, Cynn ne pouvait pas payer plus vite. Tony a 0% de chances de gagner le coup : le titre s’était déjà envolé avant même que ne tombe la rivière.
L'inévitable redescente
Après le Main Event, Tony est entré dans une période très difficile. Il avait accompli le rêve de tous les joueurs de poker. Aller jusqu’en heads up du plus gros tournoi du monde. Gagner 5 millions de dollars (avant impôts mais tout de même.) Se mettre à l’abri pour le reste de ses jours. Pourtant, à l’image des sportifs souffrant souvent après une immense perf, le spleen s’est emparé de Tony. Il ne voyait plus l'intérêt de jouer, l’intérêt de gagner, l’intérêt de travailler pour devenir meilleur encore. Alors je lui ai conseillé de faire ce que j'ai toujours fait quand je vais mal. Partir. Loin de chez lui. Vers une destination inconnue. Pour retrouver des amis chers. Ainsi, après l’été, Tony a rendu visite à Paul, mon voisin d’enfance à Grenoble, qui s’était qualifié pour les WSOP sur Winamax et avait une chambre au sein de la villa du Team tout l’été. Je suis passé leur faire un coucou une semaine au cours du mois d'octobre. En plus du Vercors, on lui a fait découvrir les fromages de Bernard Mure-Ravaud, la raclette et la charcuterie, les déjeuners qui n’en finissent pas de ne pas finir, bref toutes les choses qui font de l’art de vie à la française le meilleur remède contre le spleen.
Tony est reparti de chez Paul avec certes quelques kilos en plus, mais surtout le moral regonflé à bloc. La quête continue. Une quête à laquelle je prendrai part moi aussi, tout au long des mois de juin et juillet. Moi, Tony et Victor Choupeaux allons partager la même villa, avec une intention bien précise : ramener le bracelet à la maison. Avec un rêve un peu fou en filigrane : mettre un point final à ce projet que Tony fut si proche de réaliser il y a un an. Gagner le Main Event des World Series of Poker…
An American Story - Part 1
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