Sueurs froides à Graz

Par dans

J'ai depuis peu repris une vie de globe-trotter et aventurier... L'objet de ma quête ? Une belle partie de cash-game. Elles sont de plus en plus rares en France. Aussi mes pérégrinations récentes m'ont menées à Graz, en Autriche, puis à Tanger, au Maroc, où j'étais encore à la veille de la finale du France Poker Tour. Deux villes qui ne se ressemblent guère... Et où l'on pratique deux poker complètement différents aussi.

En débarquant à l'hôtel Marriot de Graz, je croise le légendaire Surinder Sunar, qui vient de terminer en seconde place à l'Irish Open. Un tournoi qu'il dispute depuis sa naissance il y a trente ans.

Surinder : Hey !
Moi : Hi, rock ! [C'est son surnom : Surinder est le joueur de cash-game le plus tight d'Europe] How's the game ?
Surinder : A guy just lost 100,000 two days ago, and 500,000 yesterday. But he left. ("Un type a perdu 100,000 il y a deux jours, et 500,000 hier. Mais il est parti. »)
Moi : Blinds ?
Surinder : 50/100 with a few straddles (« 50/100 avec une option de temps en temps »)

Voilà, j'ai encore loupé l'action juteuse. Je suis une grosse feignasse, à chaque fois ça me prend deux jours pour me décider si je vais me déplacer ou non. Ce qui n'est pas très intelligent, étant donné que lors des semaines de cash-game planifiées à l'avance, c'est toujours au début de la session qu'il y a le plus d'action. Oui, vous n'êtes peut-être pas au courant, mais dans beaucoup de pays européens, les parties de cash-game sont organisées longtemps en avance. Les tables de ce genre n'apparaissent pas comme par magie. Il y a des coups de fils à passer, des gens à mobiliser, et un intermédiaire au centre pour rassembler le casting et s'en occuper.

Bon, je prends la direction du casino. Je tombe sur l'organisateur de la partie. Il me présente aux joueurs. J'en reconnais trois ou quatre, dont Niki Jedlicka (« Kaibuxxe ») et David Benyamine. La partie s'annonce corsée. Ces deux-là ne sont pas du genre à attendre la rivière et le jeu max pour envoyer leur tapis au milieu.

Je prends place à la table. Les blindes sont à 50 et 100 euros, nous jouons en Pot-Limit Omaha.

Je décide de commencer avec une cave de 10,000 euros.

Les trois fish de la table s'en vont.

Je perds rapidement ma cave.

Je remets 10,000 de plus.

Et encore 10,000.

Puis je double mon tapis... Ouf. Je suis revenu à égalité quand arrive ce coup :

J'ai [Ah][5h][Ks][2s]. Un joueur a fait option à 200€. J'ouvre à 600€. Niki est en position et me 3-bet (pour la énième fois) pour 2,100€ au total. Avec mon tapis de 30,000, je décide de payer. L'éventail de mains de Niki est large, et la valeur potentielle de ma main combinée à notre profondeur de tapis (il me couvre) rendent le call évident.

Flop [Kc][8c][5d].

Deux paires pas très max. On est bien, mais pas top. Je checke. Niki mise, bien entendu (chez lui la fréquence de continuation bet est de 100%) pour 2,900. Je décide de payer.

Turn [2d].

Deux tirages couleur sont maintenant possibles. Avec la gueule du tableau et ma position, et je vais devoir prendre des risques si Niki bouge une oreille.

Je checke, et Niki mise 6,300.

Me contenter de payer, ce serait une erreur ici. Il me faut protéger ma main. Trop de cartes dangereuses peuvent apparaître sur la rivière, et sur le turn, je pense être devant Niki dans la majorité des cas. Il ne me reste donc qu'un seul choix : envoyer mon tapis. 26,000 euros et des poussières.

Niki se gratte la tête, mais finit par payer. Il me proposer de donner deux rivières. Une technique habituelle en cash-game high-stakes pour réduire la variance. J'accepte.

Il me demande ce que j'ai. Deux paires, je lui réponds. Il me répond que j'ai la meilleure main, sans être favori cependant. Gloups.

La première rivière est un [2c]. J'ai trouvé un full.

C'est la sensation que je préfère au poker : remporter la première moitié d'un pot que l'on a « run twice ». Quoi qu'il arrive, je suis en freeroll, je ne peux plus perdre d'argent. Je me sens bien, léger.

La deuxième rivière est un [Kh]. J'ai trouvé un autre full.

Niki avait [Qc][Jd][4c][3d].

Et c'est ainsi que je remporte ce joli pot contenant plus de 600 blindes.

Je n'ai rien dit à Niki, mais je pense que j'étais bel et bien favori pour gagner. (Et après vérification sur l'ordinateur, j'avais en effet 55% de chances de gagner - bon, j'avoue, c'était pas non plus évident de gagner sur les deux rivières. Quel chattard, ce Lellouche !)

Dans le même temps, Niki est occupé sur trois tables online à la fois, et décidera de quitter la table une heure plus tard, suite à l'abandon des trois fish. Je fais de même.

J'ai gagné 27,000 euros sur cette session. Pas si mal.

Graz - Jour 2

Je croise deux bons potes de France, Stéphane Cohen (aujourd'hui directeur de la salle de poker du cercle Haussmann) et John. Les deux s'assoient à la 50€/100€, avec deux jeunes allemands plutôt bons.

La partie redémarre. Très vite, je gagne 13,000 euros mais je suis malheureux. Derrière nous se joue une partie de Limit en Mixed Games avec Niki, Benyamine et un joueur Autrichien « assez » faible. Le hic ? C'est trop cher ! 1,200€/2,400€ les enchères en short-handed, ça peut aller très vite et je n'ai pas assez sur moi pour y jouer.

Je rentre dans ma chambre en me disant que gagner 100,000€ le lendemain en Pot-Limit Omaha me donnerait assez de munitions pour aller voir à la table du dessus...

Graz - Jour Final

Il est 21 heures. Après avoir perdu au tennis contre Stéphane et m'être enfilé trois schnitzels, je suis prêt à attaquer une nouvelle partie.

Je joue tous les coups. Je suis pressé de gagner. Je sais que dans une heure, les joueurs de la partie de Limit vont se pointer, et je veux monter assez de jetons pour les rejoindre rapidement. A cet effet, je rabaisse mon objectif de gain de 100,000 à 50,000 euros.

Je gagne 5,000, puis 11,000, et puis 16,000. Mais la machine se bloque : je perds le coin-flip qui allait me faire monter à 30,000. Il ne me reste plus que 2,000 de gains quand Benyamine vient à ma rencontre. « On va baisser les enchères », il dit. 500 et 1000 euros les mises. Un tour de Hold'em, un tour de Deuce to Seven, et un tour de Seven Stud.

[à suivre...]