Riehl aux éclats
Par Général
dans« L'important, c'est le travail des pieds. Les pas doivent commencer petits, être les percussions d'une mélodie endiablée. Plus tu t'approches, plus les pas s'agrandissent. Une puissance va alors envahir le bas de ton corps, puis générer un balancier senti jusqu'au bout des bras. Paume de la main vers la haut, tu ne fais plus qu'un avec l'objet. Laisse ensuite glisser la précieuse boule... »
Devant la piste de bowling, Michel Abécassis distille ses conseils à Ludovic Riehl. Dix secondes passent, durant lesquelles le regard de 'Mikedou' se perd au milieu des quilles, avant qu'il ne dise :
« Je crois que je préfère le poker. »Il y a quinze mois, Ludovic remportait la Top Shark Academy, une épreuve mastodonte réunissant des milliers de joueurs avec, à l'issue pour le meilleur, un contrat d'un an au sein du Team Winamax. Un Graal qu'il n'a pas matérialisé sur son compte en banque, empochant sur l'année (seulement) 27 295$ autour des tables en dur, le plus faible résultat du Team. En fin d'année, il était pourtant renouvelé par l'équipe la plus titrée d'Europe, une décision naturelle aux yeux de tous. Car 'Mikedou' est avant tout un génie du poker en ligne. Sur Winamax, il a remporté la quasi-intégralité des tournois du site et multiplié les exploits lors de ses différents défis. Quel homme se cache derrière la machine ?
A Chamonix, le Team Winamax s'est réuni afin de préparer les championnats du monde. Au programme : des activités sportives et des ateliers stratégiques. Au cœur de la salle du séminaire, Ludovic est à son aise. Il fait désormais partie intégrante du Team et porte un regard protecteur sur Yann del Rey, vainqueur de la seconde édition de la compétition Top Shark.
Dix jours plus tôt, ‘Mikedou' était dans son Alsace natale. Sereinement installé chez ses parents, il décidait sur un coup de tête de quitter le domicile familial afin de prendre un avion pour Alicante, en Espagne. Seul. Objectif : faire une pause poker (« ou presque, il fallait que je termine mes tickets Révolution »), quelques footings et profiter de la vie nocturne. Ce n'est pas une première. La machine 'Mikedou' est un solitaire dont la vie est rythmée par des coups de tête.
Retour dans les Alpes, où le manager de l'équipe Stéphane Matheu convoque ses troupes à 8h30. « Du matin ? » rit Ludovic, ne plaisantant qu'à moitié. Au programme : du canyoning, une randonnée en eau vive. Trois quarts d'heure sont nécessaires pour se rendre sur place, et Ludovic redoute quelque peu l'aventure qui l'attend : « ManuB, si tu te mettais à jouer du saxophone dans le bus, on serait au moins content d'arriver ! » plaisante 'Mikedou', qui provoque un fou rire chez Yann Del Rey. Une fois sur place et équipé, Ludovic se jette dans une eau n'excédant pas les sept degrés, et il ne lui faut pas plus de deux virages pour foncer sur Davidi Kitai sous le regard de ses coéquipiers hilares. Le lendemain, alors installé dans un rafting, c'est de nouveau à 'Kitbul' qu'il assène un coup de pagaie sur la tête, une sanction infligée au Belge pour un non-respect des consignes élémentaires de sécurité. Au cœur des Alpes, l'Alsacien oublie la compétition, et pagaie sans forcer.
Sur le chemin du retour, Ludovic ferme les yeux. « Je n'ai pas pensé au poker durant deux heures. Enfin presque. Un moment, je me suis dit : ‘'Tiens, je ne pense pas au poker''. » Ludovic déclenche des sourires et, très rapidement, la discussion tourne à nouveau autour des cartes. 'Mikedou' y prend part, bien sûr. Dans le flot de paroles, il est celui qui attrape les informations de ceux qui parlent fort, avant d'exposer ses théories en petit comité. Mais tous tendent l'oreille pour boire ses mots. Il est beaucoup moins à son aise à l'heure d'aborder ses objectifs sur le circuit professionnel et devient (encore un peu plus) rouge : « c'est étrange, mais cela semble plus confus dans mon esprit que l'an dernier » lance Ludovic, qui ne sait pas s'il doit se fixer des objectifs en terme de victoires ou bien de gains. Dans sa ligne de mire, Las Vegas, une ville binaire qui l'attire autant qu'elle lui fait peur. D'un côté, il y a ses bracelets et ses gains qui peuvent changer une vie mais, d'un autre, il a toujours ressenti un certain mal-être après quelques semaines passées au Nevada.
C'est toujours mieux qu'être enfermé dans une cave, la proposition que lui a faite Manuel Bevand. A savoir, être enfermé durant dix ans dans un sous-sol contre la somme de dix millions de dollars. Pour l'aider à survivre, il possède un capital de 30 points à utiliser dès son entrée dans la cave. Une partenaire sexuelle coûte 18 points, un accès à internet 16 points, une fenêtre 2 points, des médicaments 1 point ou une serre 4 points, entre autres. Son choix dans la liste ? « Aucun ! Jamais je ne mettrai les pieds dans la cave » assure Ludovic, qui poursuit : « Arrêtons de parler de ça, j'ai l'impression que ça nous déprime. Enfin moi, je suis déprimé, ça y est. »
Alors Ludovic reparle immédiatement de poker. C'est son repaire, ce dans quoi il se réfugie : les cartes. C'est avec Gaëlle Baumann qu'il aborde le fait que les joueurs sur-jouent leurs mains sur les European Poker Tour. Point spécifique : les paires de Dames hors de position face à un cold 4-bet. Le soir, il retrouve son élément, son ordinateur pour disputer la session du dimanche. On l'imagine calme et posé tant il fait du volume mais Ludovic est comme de nombreux joueurs : soumis à d'importantes émotions quand les cartes lui tournent le dos. Et comme pour tous, les nerfs peuvent lâcher, comme lorsqu'il reprend Joe Dassin et emmène ses coéquipiers vivre un été indien. Sa session se conclue avec comme seul résultat une maigre 9e place obtenue sur le Rush Hour.
Le lendemain et comme chaque matin, Ludovic est le dernier à se pointer au petit-déjeuner. Le réveil, c'est pas trop son truc. A l'heure du bilan, 'Mikedou' confie avoir de nouveau été conquis par le stage et a pour seule envie de retrouver les tables. Le poker, il l'a dans le sang, « et ça ne [lui] déplairait pas de jouer cinquante ou soixante ans de plus. » Sa prochaine échéance : Las Vegas. Avec un avion en classe économique, quelques places derrière Manuel Bevand, qui a opté pour un vol en business. « Je te ferai coucou ! » chambre ‘manub_'. « L'important, ce n'est pas d'aller à Vegas en business » assure Ludovic, « c'est d'en revenir. »