Winamax

Récital à Montréal

Par dans

(Deuxième partie du blog Claque sur claque au Québec)

Day 2

Me voilà donc au départ du Day 2 du WPT Montreal. J’ai un tapis confortable qui me place dans le Top 30. Le classement importe peu mais il est toujours bien de savoir qu’on est devant à « la course ». J’opte pour une stratégie plus tight que d’habitude en début de journée en voyant que ma table risque de casser rapidement. Je n’y retrouve personne de connu si ce n’est Giacomo Fundaro, l’Italien le moins classe du circuit, et le directeur du Playground Club Spencer Stacey que je félicite pour son excellent travail… avant de l’éliminer sur un coinflip avec As-Roi contre deux Dames. Une grosse partie du field l’imite. Je suis alors déplacé à une table, qui selon mes calculs cassera après la bulle, et donc à laquelle je vais pouvoir jouer un peu plus au poker, mettre en place des read et une metagame favorable. Enfin ça, c’est le plan…

Et le plan fonctionne ! Je double pratiquement mon tapis après six niveaux de jeu, il reste 128 joueurs au moment où le directeur de tournoi annonce la pause dîner, et les places payées approchent. La pause est très courte, quarante-cinq minutes environ, car tout le monde peut commander à sa table le même menu qu’au restaurant. C’est vraiment pratique, chacun gère son alimentation et il est moins difficile de finir la journée que dans un EPT où tout le monde revient du diner avec comme seule envie celle de dormir. Je profite de la bulle pour prendre des gros risques, avec succès puisque j’atteins les places payées avec 360,000, l’équivalent de trois fois mon tapis de départ.

Une fois dans l’argent, la partie devient très chaotique : les joueurs se libèrent, les shortstacks font tapis dans tous les sens et moi, en pleine bourre, je me retrouve à 700,000 ! Je suis alors déplacé au siège 1 de la table numéro 1, juste à gauche de David ‘gaucho2121’ Paredes qui en profite pour se présenter :

« Hello Ludovic, tu ne le sais pas mais tu es le joueur qui m’a mis le plus en tilt de ma vie en 2009, et nous n’avons jamais joué ensemble »

Devant mon regard perplexe il continue…

« Avec mon associé, nous avions payé l’inscription à une vingtaine de joueurs pour le Main Event des WSOP, quand nous faisons le bilan au Day 4, nous voyons que la plupart des joueurs, sauf un certain Ludovic, ont sauté… On est en plein tilt, mais on continue de garder un œil sur tes performances. Au milieu du Day 5, je rafraichis la page du site Pokernews et vois Ludovic Lacay en tête à 60 joueurs restants ! Je me mets à y croire jusqu’à ce que mon associé m’appelle pour me dire que le Ludovic que nous avions mis dans le tournoi était en fait Ludovic Lachance… »

La table est hilare.

Un gros coup va alors se dérouler : Byron Kaverman, qui a 32 blindes, relance UTG à 20,000. C’est un joueur que je sais loose et capable d’utiliser sa position pour voler les blindes à une table extrêmement difficile à manœuvrer avec la hauteur de son tapis. Je décide donc de le 3-bet à 44,000 du bouton avec 10-6. Curieusement, il décide de simplement payer. Il est rare de voir des européens payer dans ce spot : ils vont généralement opter pour un 4-bet, un push ou un fold. Mais les américains, eux, le font très souvent, pensant pouvoir outplay les ranges faibles malgré leur mauvaise position.

Le flop révèle T 7 8  et Byron check. Il y a un peu plus de 100,000 dans le pot et il a 270,000 derrière. Je décide de checker car je pense que je n’obtiendrai d’action ici que de mains qui sont plus fortes que moi, et qu’il passera toute la partie faible de sa range (As-Valet, As-Dame, Roi-Valet, Roi-Dame, Dame-Valet, etc.).

Le turn est un 3  : il décide de miser 48,000, s’attendant à ce que je passe le plus souvent du temps. Je paie donc puisqu’ici encore, je ne pense pas avoir d’action d’une main beaucoup plus faible. Le fait que je paie a cependant une conséquence immédiate : il sait maintenant que j’ai un « bluff-catcher », une main faible, ou même éventuellement une main à tirage.

J’espère une river facile à jouer. Et elle tombe : le 2  (celui qu’on appelle toujours à la river). Après un timing trop rapide à mon goût, il annonce tapis pour 220,000. Il y a maintenant deux clés dans la main. Il fait tapis assez vite donc il se polarise légèrement selon moi, avec Valet-10 ou Dame-10 il aurait surement réfléchi plus longtemps : il a donc une main qui a vraiment bien touché le flop, ou une main très forte préflop.
Je bloque pas mal les combos forts au flop, et ne perd virtuellement que contre Valet-9 et 8-7 assortis avec lesquelles il n’aurait pas forcément payé avant le flop. Ces possibilités-là sont marginales, je me concentre donc sur les mains fortes préflop : paire de Valets, de Dames, de Rois et d’As.

Est-ce que par le passé, je lui ai donné une raison de penser que je pouvais être light dans mes 3-bets contre son tapis de 32 blindes UTG, assez light pour qu’il opte pour un slowplay plutôt que de faire tapis avec une main qui domine vraisemblablement ma range strong ?
Indigeste ? En résumé : supposé qu’il a une grosse main, pourquoi ne pas faire tapis préflop s’il pense que j’ai une main légitime ?

Je prends donc mon temps pour réfléchir à notre historique et ne me souviens pas avoir fait le fou préflop contre lui, ou même contre d’autres joueurs quand il était à la table (en réalité je fais très rarement ce genre de 3-bet avec une main n’ayant aucune value). Je décide donc de payer et remporte ce joli pot face à Roi-Valet.

Cette journée de rêve s’achève tranquillement. Il reste 59 joueurs et je suis chipleader avec 1,2 millions !

Day 3

Au matin du Day 3, j’analyse ma table de départ et découvre que je jouerai avec Mark Radoja, un ami canadien qui habite à l’appartement juste à côté, Guillaume Darcourt,  le « boa » français connu pour son style de jeu presque aussi fantasque que ses colorations de cheveux, et Griffin Benger, un autre joueur canadien qui excelle en ligne.

C’est assez amusant pour moi de jouer aux cotés de Griffin, car c’était une véritable légende à Counter-Strike, le jeu vidéo auquel je m’adonnais avant de me lancer dans le poker. J’ai évolué à un assez haut niveau national, mais nous les français (à l’exception de deux ou trois autres équipes selon les périodes) étions largement en dessous de son équipe All Stars, les « NoA ». J’ai donc passé des heures à regarder jouer ce mec à un jeu vidéo ! C’est ce que je lui dis un peu avant le « shuffle up and deal » et il m’avoue à son tour un peu gêné qu’il a passé des heures à me regarder jouer moi aussi… mais au poker ! Un petit avantage psychologique qui ne fait pas de mal juste avant de démarrer une journée cruciale.

Cette journée sera cependant rapide et très mauvaise pour moi. Je perds un gros coup contre Guillaume Darcourt, je fais doubler Griffin avec As-Valet contre paire de Dames, sur une grosse erreur de ma part… Je perds tous les coups moyens dans lesquels je m’engage et les blindes aidant, je me retrouve finalement moi-même shortstack, avant de doubler sur un petit coup du destin, en gagnant avec paire de 10 contre paire de Rois. Une parenthèse assez courte puisque je reperds deux gros coups avec As-Roi et paire de Valets ensuite pour finir la journée avec 540,000, un peu moins de 20 blindes. Nous sommes 18 joueurs.

Une journée assez catastrophique car je pense avoir fait pas mal d’erreurs, j’essaie donc d’oublier tout ça le soir même et le lendemain matin, je me repose un maximum, car le pire que l’on pourrait faire dans ces cas-là, c’est de penser que tout est foutu et ne pas se préparer correctement pour aller au bout ! Je crois en mes chances et décide de passer au niveau supérieur de concentration.

Day 4

Et le début de la journée est parfait ! Je passe longuement jusqu’à resteal deux fois d’affilée et trouver un double up avec paire de Valets contre paire de 10. Me voilà de retour dans la partie avec 1,6 million. J’en profite pour martyriser ma nouvelle table qui est beaucoup facile que la précédente : je monte à 2,8 millions quand arrive un autre coup clé contre le futur vainqueur du tournoi.

Nous sommes 5 à la table et il relance assez fréquemment, mais il a été très tight jusqu’à présent postflop, jouant un jeu assez prévisible. Il relance une première fois au cutoff et je décide de le 3-bet de la petite blinde avec Roi-Dame, il paie avant le flop puis passe sur un flop Roi-Dame-5. Le tour suivant, même topo : il relance au cutoff et je le 3-bet cette fois-ci avec A 8 . Il paie.

Flop : Q 8 3

J’opte ici pour un check-call, pour de nombreuses raisons que je ne veux pas vraiment révéler. Le turn est maintenant un 4  de pique. Je check à nouveau et il mise assez rapidement 375,000. Je continue ici de payer pensant être devant assez fréquemment. La river est un T  et il annonce instantanément 800,000 après mon check.

J’entame alors une longue réflexion. Le manque d’information sur le joueur est horrible à ce moment-là de la partie. Que ferait-il avec As-Dame ? Roi-Dame ? Dame-Valet ? Il me semble que ce profil de joueur aurait du mal à value correctement ces mains, mais je ne le connais pas assez bien. Une chose est sûre : il miserait avec couleur, Valet-9 assortis, un brelan et probablement As-Dame, ou une paire au-dessus.

Je me concentre sur les timings et les tells. Il a payé préflop avec une certaine difficulté non feinte, j’exclus donc les paire d’As, de Rois et de Dames, ainsi que paire de 8, marginale vue ma main. Avec une paire de 10, il ne jouerait clairement pas comme ça flop ou turn… Reste donc l’action river. Il a annoncé de vive voix sa mise pour la toute première fois, peut-être une tentative désespérée de paraitre fort ? Encore une fois, je n’en sais rien et refuse de spéculer après les erreurs de la veille.

A la table derrière moi, Griffin Benger se fait éliminer et tout le monde se tourne vers notre table pour le redraw de la table finale à dix joueurs. Je ne laisse pas cela me déconcentrer et continue de réfléchir… Au bout d’une dizaine de minutes, je décide de suivre la seule info solide que j’ai : c’est un joueur tight qui n’a que 3,000 dollars de places payées jusque maintenant, il est à la bulle de table finale avec un énorme tapis, il devrait rarement bluffer dans ce spot. S’il m’a bluffé, c’est bien joué. Et je jette finalement mes cartes.

Il montre K 5  en prenant le pot et j’ai un peu de mal à cacher ma grimace, mais je suis aussi content du peu d’effet que cela a sur mon mental (merci Pier !).

La fin, beaucoup d’entre vous l’ont suivie… Je joue assez agressif en table finale et concède pas mal de coups disputés avant le flop, jusqu’à la main fatidique, où après une relance au cutoff payée par le bouton, je paie en petite blinde avec Valet-10 assortis, le joueur en grosse blinde paie également. Le flop affiche 10-Valet-6 tout à pique. Tout le monde check. Le turn est une brique : je fais tapis pour presque deux fois le pot avant d’être payé par le joueur au bouton qui possède deux Rois dont celui de pique, mon adversaire trouve alors une doublette du 6 sur la river qui lui offre deux paires supérieures.

Au moment de dresser un bilan, je ne retiendrai que du bon de cette compétition : je n’étais pas loin d’une belle performance et ce tournoi a été très utile en m’ayant fait beaucoup progresser. La fin peut paraitre cruelle, mais je ne peux pas contrôler les cartes, je sais que mes objectifs sont proches d’être réalisés et je vais continuer à travailler pour les atteindre !