Pardonnez mes péchés
Par Général
dans« - Pardonnez-moi mon Père, car j’ai péché.
- Je vous écoute, Ludovic.
- Samedi dernier, au Winamax Poker Tour de Bordeaux, sur le coup de 20 heures 40, j’ai serré la main des deux gagnants de l’étape et je leur ai dit “Bien joué les gars, on se voit à Paris !”. Mon Père, je leur ai menti.
Je leur ai menti deux fois en une seule phrase.
Je ne serai pas à Paris fin février pour la finale, ni même à Deauville ce week-end pour l’EPT. Je resterai chez moi, car je ne fais plus partie du Team Winamax.
- Mon fils, pourquoi mentir ?
- Cela fait plusieurs mois maintenant que ma motivation est en baisse, mon Père, et je n’étais pas sûr de prendre la bonne décision. Mais je joue au poker depuis déjà neuf ans, et voyage d’un tournoi à l’autre, d’un pays à l’autre depuis près de huit ans. Il est temps pour moi de tourner la page, de faire autre chose. J’ai une opportunité que je ne peux pas laisser passer, je sais les reconnaître. C’est effrayant et excitant, comme le poker au début, c’est ce que je veux faire.
Au sein du Team j’ai vécu des moments géniaux. Des victoires, au pluriel les victoires, car quand Davidi gagnait, on gagnait en équipe ; des déceptions, au pluriel, car quand Davidi perdait, on buvait en équipe ; et bien entendu des rires, des voyages, des histoires. Ils vont me manquer, mon Père.
- Leur avez-vous dit ? Il est important de faire part de vos sentiments aux personnes que vous aimez.
- J’ai commencé à le faire, timidement. C’est que, j’ai toujours été assez pudique en matière de sentiments. Je crois que je veux juste leur souhaiter de continuer longtemps à être tels qu’ils sont. Juste un peu meilleurs au poker, peut-être…
J’espère que Michel racontera encore des dizaines de fois l’histoire du corps étranger à des petits jeunes aux dents longues,
Que Ludovic chantera encore le Jerk à sept heures du matin dans un Dublin désert, sans se faire griller par le coach,
Que Sylvain continuera à faire des misclicks en live qui le font passer pour un filou,
Qu’Aurélien lancera encore ses chaussures dans de nombreuses discothèques européennes,
Que Gaëlle fera encore longtemps transpirer le Kevin debout derrière elle, carnet à la main,
Que Bruno et Davidi exaspéreront encore longtemps les femmes de ménages des hôtels du monde entier,
Quant aux petits nouveaux, Guillaume et Adrien, je leur souhaite de vivre dans ce groupe ne serait-ce que la moitié de ce que j’ai eu la chance de vivre. Et si par chance un jour ils atteignent la moitié de mon niveau au poker, qu’ils s’estiment heureux.
- Voilà une réflexion fort hautaine, mon fils. Auriez-vous donc été parfait en tous points ?
- Loin de là mon Père, loin de là… Mais je doute que vous ayez toute la journée à me consacrer.
J’aurai quelques regrets, évidemment. Je ne serai jamais champion du monde, je ne ferai jamais de place payée sur un High-Roller, je ne battrai jamais Paco en heads-up, je ne remporterai jamais le tournoi du Comité d’Entreprise de Wina, je réussirai jamais un amorti contre Stéphane… (Ceci dit, sur ce dernier point je tiens à signaler qu’un jour, je lui ai mis un demi-amorti et un demi-ace, ce qui devrait compter comme un accomplissement à part entière.)
Enfin, c’est vrai quand on y pense, je ne me suis pas toujours pointé dans les meilleures conditions pour jouer, j’ai fait des bluffs pourris et jeté des tournois par la fenêtre, j’ai été hautain et pas toujours sympa… Mais j’ai changé, un peu, avec le temps (et Stéphane), et je pense être devenu un meilleur joueur, et une meilleure personne…
- Le Seigneur est grand, et vous pardonne vos péchés mon fils. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
- Non mon Père, figurez-vous d’ailleurs que je ne suis même pas croyant. Mais il fallait bien que j’invente une mise en situation un peu marrante afin de pouvoir dire au revoir à tout le monde indirectement…Alors pour terminer, je vais juste remercier Winamax d’avoir recruté en 2007 un petit étudiant en droit toulousain que personne ne connaissait et qui ne connaissait personne, et de l’avoir fait grandir et vivre des trucs géniaux. Je ne vais pas donner de noms, mais je remercie tous ceux qui ont cru en moi et avec qui j’ai un jour partagé une bière (ou douze), ils se reconnaitront. Que dire des journalistes de Winamax ? Ils ont dissimulé mes spews dans les reportages, escamoté mes sautes d’humeur en vidéo, et traduit mes phrases incompréhensibles pour toucher le plus grand nombre. Merci Paco, Regis, Junior, Benjo, Harper, Kinshu et Nico. Et puis évidemment merci à tous mes soutiens, sur les réseaux sociaux, lors des étapes du WiPT, sur le rail, dans le tchat, parfois même dans la rue.
A bientôt,
Et à tous les joueurs parmi vous, méfiez-vous quand même. Si un jour Ludovic Lacay vient s’asseoir à votre gauche, même retraité il sera meilleur que vous.
- Puisque je vous tiens, mon fils, j’ai une Hand History à vous montrer, je ne suis pas certain d’avoir bien joué cette paire de Valets dans le dernier Sunday Surprise… Merde, il est parti.
Epilogue : Là-dessus, Ludovic envoie l’e-mail à Benjo, Harper et Kinshu. Une toute dernière fois, ils vont relire son brouillon, le corriger, le reformuler, histoire que Ludo passe pour un mec cool, qui sait écrire. Ils sont sympas ces mecs quand même, on en reboira des coups, ça c’est sûr. »
La vache ! On ne l’avait pas vu venir, celle-là. Je te l’accorde, Ludo : tu as toujours su nous prendre à contre-pied, à la table de poker comme en dehors. Et plus que jamais aujourd’hui, pour annoncer ton départ en plein milieu de la saison poker. Tu as gagné : l’effet de surprise est total. Mais on est censé faire quoi, maintenant ? Parce que, tout de même, c’est un pilier qui plie bagage, un qu’on croyait indéboulonnable, tatoué à vie au signe du W rouge : Cuts faisait partie de la toute première mouture du Team Winamax, recruté dès la création de l’équipe à l’été 2007, repéré par Guignol et les dirigeants du site qui ont eu le nez creux de miser sur un inconnu total, sur la foi d’excellents résultats en cash game online et d’un capital sympathie illimité.
Cuts, je vais te le dire, et ce sera d’autant plus sincère que ta décision est prise et qu’il semble inutile de vouloir te convaincre de rester avec nous : pour une boîte comme Wina, tu étais le joueur sponsorisé idéal. À la fois un mec au talent dingue, à l’aura de rock-star sur le circuit : toute la communauté rêvait de se mettre dans tes baskets, et de décrocher ne serait-ce qu’une fraction de ton palmarès. Mais aussi, et surtout, un mec humain, avec ses hauts et des bas, ses coups de génie comme ses coups de gueule, ses humeurs et ses failles, des opinions bien arrêtées, de l’autodérision à revendre derrière une façade de joueur sûr de lui, et un sens de l’humour tranchant comme une lame de rasoir : je ne connais pas un joueur qui ne s’est pas, ne serait-ce qu’une fois, identifié à toi et tes frustrations au fil des années, après avoir lu une de tes sorties rocambolesques sur un coverage (non, on ne taisait pas tout de tes spews !) ou une énième paire d’As craquée à quelques places de la finale. Un mec qui, malgré les succès, n’a jamais oublié qu’il était parti du bas de l’échelle avec une bankroll de quelques dollars, et, il n’y a pas si longtemps, roulait encore dans sa 205 pourrie d’étudiant à la boîte de vitesse complètement à la ramasse (je le sais, j’en ai déjà pris le volant.)
Depuis tes débuts sur le circuit live, correspondant plus au moins à tes débuts dans le Team (marqués par un essai transformé d’entrée de jeu au WPT Barcelone en octobre 2007 : second tournoi avec l’équipe, première place payée en live, et deuxième place, à une marche du titre !), on t’a regardé grandir, on a vu mûrir ton talent et ton caractère, on a connu avec toi l’amertume de la défaite, tous ces titres manqués de peu, ces perfs manquées qui se sont jouées à un rien (j’ai encore des frissons en repensant à ton incroyable parcours lors du Main Event des WSOP 2009, huit jours d’une partition parfaite au milieu de 6 494 joueurs qui se solde par une tellement décevante 16e place, mais surtout on a bien rigolé, dans les bars de Varsovie, dans les boîtes de Venise, jusque très tard à Vegas, à Copenhague, à Marrakech ou aux Bahamas, car jamais tu n’as laissé les frustrations propres au poker de haut niveau prendre le pas sur ton appétit de vivre.
Dur de condenser huit années en quelques lignes. Du palmarès de Ludo on retiendra, bien sûr, le titre à l’EPT San Remo en 2012, consécration incontestable devant 796 joueurs, regardée en direct par les fans de poker du monde entier. Mais peut-être plus encore que ses accomplissements à la table, on se souviendra de son apport à la communauté : des cours stratégiques par dizaines en cash-game, MTT, No-Limit, Omaha, deux participations à Dans la Tête d’un Pro dont on parle encore aujourd’hui, en particulier ce run mémorable au Partouche Poker Tour en 2011, des discussions stratégiques enflammées sur les forums et ailleurs (si Ludo ne nous avait pas expliqué que ça ne servait à rien, on serait peut-être encore tous en train de relancer « pour info »), et tous ces articles pour le blog, où Ludo laissait le poker au second plan la plupart du temps, préférant nous régaler d’anecdotes vécues un peu partout dans le monde. Qui d’autre que lui aurait pu écrire un OVNI tel que « Les trois fois où l’on m’a pris pour David Guetta… Et où je n’ai pas nié » ?
C’est certain : alors que Ludo met derrière lui huit années d’une aventure humaine intense, faite de voyages quasi-ininterrompus aux quatre coins du monde, de fous rires par milliers, de frustrations en nombre égal, et quelques moments de triomphe indélébiles, c’est une personnalité différente, transformée, enrichie par cette école de la vie qu’est le poker, qui nous dit au revoir aujourd’hui. Une personne désormais prête à utiliser dans un autre domaine tous les talents que le poker lui a enseignés, prête à s’attaquer à un nouveau terrain de jeu, à de nouveaux défis et, c’est certain aussi, à de nouvelles réussites.
J’appréhende déjà le prochain tournoi pro où je traînerai mes guêtres. Quelque part aux alentours de minuit, durant le Day 2 ou le Day 3, alors que je serai en train de raconter un double-up d’un membre du Team, l’élimination d’une star américaine où je ne sais quel coup alambiqué entre deux jeunes cadors d’internet, je ne te verrai pas débouler en salle de presse d’un pas alerte pour me proposer « un verre, deux verres, et plus si affinités, on est tous chauds, manque plus que toi, tu viens ? », comme tu le faisais à chaque fois avec un grand sourire Monégasque, malgré une élimination encore fraîche quelques heures plus tôt. Et je ne pourrai pas te répondre, comme je le faisais à chaque fois, « Non, je peux pas, tu sais j’ai un métier, MOI. » Et Bon Dieu, qu'est-ce que ça va me manquer.
Mec, donne des nouvelles !
Benjo