Winamax

Lecture et courage

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Le Winamax Poker Tour n'est pas seulement la grande fête du poker amateur français. En tant que membre du Team Pro, c'est aussi un exercice intéressant à plusieurs titres.

Tout d'abord, c'est un baromètre assez précis du niveau des amateurs. D'année en année, j'ai pu observer l'augmentation globale du niveau des joueurs français. Les tailles de mises sont plus précises, les joueurs plus attentifs, les schémas de jeu plus solides et les bluffs mieux construits et plus osés. Il est facile d'en conclure que le vivier des clubs forme de mieux en mieux et que le poker en ligne tire tout le monde vers le haut. Cette année, parmi mes adversaires à la table, la majorité s'en sortait bien. Deux savaient très bien ce qu'ils faisaient et seuls un ou deux paraissaient perdus. C'est un progrès formidable par rapport aux premières éditions du France Poker Tour.

J'ai ainsi saisi l'occasion de m'entraîner à faire des lectures aussi efficaces que possible. Le challenge est le suivant : si je suis aidé dans mes "reads" par un environnement moins "créatif" et plus solide que les années passées, avec des décisions structurées autour de principes logiques, la structure ne laisse pas trop de place à l'erreur et chaque once d'EV doit être maximisée. Contre les amateurs, la lecture du langage du corps et le décryptage des tells deviennent prioritaires. C'est à la lumière de ces éléments que je veux aborder une des mains disputées pendant le tournoi.

Nous sommes déjà aux blindes 1,000/2,000. J'ai un tapis d'environ 70,000 alors que nous avons débuté avec 20,000. Je suis au bouton, le joueur à ma gauche vient d'être éliminé et un nouveau joueur avec un tapis d'environ 40,000 entre seul de grosse blinde. Tout le monde passe jusqu'à moi et je relance à 4,000 avec [Kd][Tc] pour faire pression sur la grosse blinde seule. Trois secondes plus tard, ce joueur pousse son tapis au milieu.

Évidemment, payer un tapis de plus de vingt blindes avant le flop avec Roi-Dix est rarement profitable. Il faut être sûr que la range adverse est très large. Je n'ai pas encore de raison particulière de le penser, je n'ai pas d'infos sur ce joueur et le cadre du WiPT se prête rarement à des contre-vols kamikazes. Avant de me coucher, je me prête cependant à un examen de routine pour être sûr de ne pas faire d'erreur.

Mon adversaire est plutôt jeune, disons 23 ou 24 ans. Il a l'air confiant, ses jetons sont bien rangés, et je ne lis pas de traces d'inquiétude sur son attitude. De plus, son pseudo Winamax évoque un jeu de mot très courant sur les forums de poker. Suis-je tombé sur un shark ?

Fidèle à ma routine, je pose la question habituelle : « C'est combien ton tapis ? » Ce à quoi il répond instantanément : « Quarante-deux mille trois cent. »

Deux indices cruciaux me frappent alors :

- la rapidité de sa réponse est un aveu de faiblesse. Elle indique que, inconsciemment, il n'a pas envie de faire durer le spot.
- le degré de précision de sa réponse associé à cette rapidité en fait un tell majeur d'énorme faiblesse. Le réponse semble préparée.

J'essaie alors de me mettre à la place de ce jeune joueur apparemment compétent qui vient de s'asseoir à la gauche d'un membre du Team Pro. Il se doute que ma range d'ouverture au bouton va être très large. Il a la taille de tapis requise (un poil trop) pour tout envoyer et me faire passer très souvent. Je commence à me douter qu'il a très possiblement anticipé ma relance et s'est préparé mentalement à faire tapis avec n'importe quelles cartes ! D'où la précision de sa réponse : il sait exactement combien il a car il vient de recompter s'il avait le tapis nécessaire pour obtenir ce résultat...

Reste un problème : ma main. Roi-Dix est évidemment une bonne main pour payer un tapis si on est certain que notre adversaire peut avoir n'importe quoi. Cela dit, même dans ce cas optimiste, je n'ai que 60% contre 40% de gagner le coup avant le flop. En élaborant une hypothèse encore plus optimiste (il fait tapis avec les moins bons 90% de sa range et sur-relance moins cher ou paie juste avec les toutes meilleures mains), je m'approche à peine de 63%...  La côte du pot est d'environ 45%, cela reste donc un call automatique. Mais quelle est ma marge d'erreur ? Mon adversaire peut-il exhiber les mêmes tells de faiblesse avec une range plus serrée ? S'il envoie par exemple son tapis avec n'importe quel As, n'importe quelle paire et la plupart des broadways, mon équité retombe soudain à 40%. Insuffisante pour faire un bon call...

Le résultat ? Je me suis torturé un moment devant cette décision en annonçant mon processus de réflexion à haute voix pour voir si cela me permettait d'avoir de nouveaux indices. Rien de particulier, mon adversaire reste légèrement nerveux quand je décris ma lecture sur lui mais ne laisse rien transparaître. Malédiction ! Si je paie et me retrouve contre un As ou mieux, je vais avoir l'air idiot... Je me résous finalement à jeter ma main en prenant l'air très déçu (comme si je couchais quelque chose de très fort) afin de l'inciter à montrer... Et il dévoile [6c][7s] !

Un vif rappel qu'au poker, faire de bonnes lectures n'est pas suffisant... Il faut le courage de prendre les décisions qui vont avec. Rendez-vous désormais sur les étapes de province et la Finale !