Le poker est-il un sport ?
Par Général Life Style
dansJ’ai encore récemment entendu au détour de certaines interviews des joueurs de poker expliquer que le poker est un sport, et ce sans nécessairement préciser pourquoi. J’ai pour ma part toujours eu du mal à considérer le poker comme un « vrai » sport, et, ayant lu un peu de tout à ce sujet, j’ai donc décidé de me pencher un plus précisément sur la question.
Commençons par ouvrir un dictionnaire et recherchons la définition du mot sport :
« Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises ».
Si être en bonne forme physique est important (voire indispensable) pour jouer de façon optimale au poker, il semble évident que l’essentiel de ce jeu ne repose pas sur les aptitudes physiques. En prétendant le contraire, on pourrait être amené à se demander si les spécialistes d’une émission culinaire comme « Top Chef » ne seraient pas également des sportifs professionnels. Et puis, quel joueur de poker oserait, sans la moindre gêne, répondre « sportif de haut-niveau » à quelqu’un lui demandant son activité ? Le seul bémol à apporter est le cas des échecs, considérés depuis 1999 comme un sport par le Comité International Olympique. Exception faite de la notion de hasard, les échecs paraissent être un jeu similaire au poker. On peut alors légitimement se demander pourquoi est-il classé comme sport au vu de la définition donnée par le dictionnaire.
Alors pourquoi voit-on si fréquemment des joueurs dire que le poker est un sport ?
Je pense tout d’abord qu’il y a une raison psychologique et sociétale. Auprès du grand public et des médias généralistes, le poker a encore très souvent une image sulfureuse et négative liée à la triche, à l’addiction, au bluff ou au mensonge. Il ne faut pas se leurrer : le poker est un jeu de cartes et surtout un jeu d’argent. Comparer le poker à un sport semble donc redonner quelques lettres de noblesse à ce jeu. Mais je me méfie un peu de cette approche, d’une part car le poker n’est pas un sport à proprement parler, d’autre part car je me suis rendu compte qu’à chaque fois que j’étais un peu trop insistant sur les similitudes entre le poker et le sport, c’est tout simplement parce que j’étais gêné d’avouer à mon interlocuteur que je passais fréquemment dix heures par jour à jouer aux cartes !
Aussi, les joueurs aiment comparer le poker au sport car il y a énormément de similitudes entre le sport de compétition et le poker à partir du moment où l’on ne joue plus au poker par simple plaisir de toucher des cartes et de voir des flops, mais pour progresser et gagner. Il y a alors exactement les mêmes notions d’entraînement, de progression et de compétition. J’ai pratiqué plus jeune le tennis et l’athlétisme dans une logique de compétition, et je retrouve les mêmes sensations lorsque je suis assis à une table de poker ou derrière mon écran.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si notre manager Stéphane Matheu ou notre coach mental Pier Gauthier sont des anciens joueurs de tennis professionnels. Avec eux, on ne parle pas vraiment de technique pure et d’analyses de mains, mais plutôt de la meilleure façon de se préparer psychologiquement pour un tournoi de poker et de la meilleure attitude à adopter une fois à la table. Pour cela, beaucoup d’exemples sont pris sur des champions tels que Novak Djokovic ou Michael Jordan. Aujourd’hui, pour être au-dessus du panier au poker, il faut être capable d’avoir le degré de concentration, l’endurance, la volonté de gagner, la gestion des émotions et du stress qu’ont constamment tous ces grands sportifs. Sauf qu’à la différence d'eux, notre cerveau est finalement le seul « muscle » que l’on entraîne et utilise réellement à une table de poker ! C’est ce qui fait de ce jeu une activité tellement usante mentalement. Le poker serait donc un sport oui, mais un sport cérébral.
Il reste enfin deux différences fondamentales entre le poker et le sport ou les échecs :
- la notion de hasard. On parle souvent de la « glorieuse incertitude du sport », mais excepté quelques décisions arbitrales hasardeuses ou une bourrasque de vent imprévisible, le sport ne laisse pas vraiment la place à l’aléa. Certes, on entend couramment après un match des sportifs expliquer que cela ne s’est pas joué à grand-chose ou parler d’un manque de réussite sur les points importants, mais est-ce vraiment du hasard ? Je n’ai jamais entendu un tennisman hurler « qu’est-ce que je déchatte ! » après avoir raté un ace à un ou deux centimètres près. Au sport, à partir du moment où vous êtes meilleur que votre adversaire, vous gagnez. Vous pouvez perdre deux sets à zéro au tennis, si tout à coup vous jouez mieux que votre adversaire, vous allez renverser la vapeur et finir par l'emporter. Au poker, si vous perdez 90% de vos jetons au début d’un tournoi et que vous jouez dix fois mieux que vos adversaires ensuite, vos chances de gagner n’en resteront pas moins très réduites.
- l’incertitude. Excepté quelques rares situations inexploitables comme payer un tapis avec une paire d’As, vous êtes rarement certain à 100% d’avoir pris la meilleure décision au poker. Et vous fier au résultat de votre tournoi pour savoir si vous avez bien joué ou non est clairement insuffisant, voire contre-productif. Certes, il est difficile dans un sport d’être sûr d’avoir effectué le coup parfait, mais si vous battez votre adversaire, vous pouvez en général considérer que vous avez été meilleur que lui.
Au final, je pense que le poker n’est pas un sport au sens premier du terme. Mais à partir du moment où l’on joue pour gagner et progresser, on peut le considérer comme un sport cérébral, avec les mêmes mécanismes mentaux que doit utiliser un sportif pour être le plus performant possible. C’est ce qui rend à mes yeux ce « sport » tellement riche, instructif et révélateur de notre façon de fonctionner.